"Moi, j'aime bien la mort !"

Ce matin, je ne travaille pas, je me repose. Au réveil, je me retrouve la tête pleine de rêves étranges. Les dévoiler ici dans leur totalité pourrait s'avérer intéressant mais c'est impossible, définitivement. Je me contenterai donc d'un extrait onirique qui n'a rien à voir avec le reste des histoires imaginées cette nuit : j'ai rêvé que Noam Chomsky, le célèbre linguiste connu pour son engagement politique et ses convictions anarchistes, était mort. Je pleurais comme une Madeleine à lecture de la nouvelle, en criant : "Non, non, pas Chomsky, ce n'est pas possible !"... Ou bien une situation vaguement approchante. Le cauchemar était tellement réel qu'il m'a réveillé et que je me suis précipité sur le Web pour vérifier si Chomsky était toujours en vie. Conclusion : il a passé 80 ans, mais il pète toujours la forme... 
Je me dis, mais je me trompe peut-être, que cette mort imaginaire traduit l'élan de pessimisme qui me paralyse le cerveau actuellement : pessimisme quant à ma propre vie mais surtout pessimisme quant à l'état du Monde en général. Faire mourir Chomsky dans un rêve, c'est en quelque sorte détruire dans mon esprit ce qui reste d'idéalisme et d'optimisme quant au progrès de l'humanité. C'est d'un joyeux ! 

Il faut que je lise de la philosophie, c'est très urgent. Pas n'importe laquelle. En tout cas autre chose que l'indigeste Logicomix (qui n'a de toute façon pas grand chose à voir avec de la philo). J'ai donc commandé trois ouvrages de Wittgenstein : Recherches philosophiques, Le Cahier bleu et le Cahier brun et De la certitude (faut bien commencer par quelque chose), ainsi que Le mythe du progrès du Finlandais Georg Henrik von Wright, intrigué que je fus par un article de Jacques Bouveresse sur le même sujet. La suite quand j'aurai reçu et digéré ces livres.

* * *
 
Discussion avec Claire sur Facebook. Elle me rappelle que je dois toujours lui conseiller des films. Je lui réponds : "Je crois, vu que je suis très en retard sur mon blog, que je te ferai ma réponse sur les films via un article." La réponse prochainement donc : dix films qui m'ont marqué et que je conseillerais. Je vais écrire la liste tranquillement et la posterai lors d'une journée calme.

Claire me répond : "Comme ça tu vas prendre 2 machins avec un truc. Je connais pas l'expression en français". Claire est Italienne. Elle veut parler de l'expression "Faire d'une pierre deux coups", sauf qu'en Italien, ça ne se dit pas comme ça mais bien : "prendere due piccioni con una fava", c'est-à-dire : "attraper deux pigeons avec une fève". C'est très amusant car en anglais, pour la même expression, il est à la fois question d'oiseaux et de pierre (un mélange de l'italien et du français ?) : "kill two birds with one stone" (tuer deux oiseaux avec une pierre). En allemand, il est toujours question d'oiseaux : "zwei Fliegen mit einer Klappe schlagen" (frapper deux oiseaux d'un coup). Même chose ou presque en néerlandais : "twee vliegen in een klap slaan". Dans les autres langues, est-il question d'oiseaux et/ou de pierre ? Je n'en sais rien car Google translate est vraiment trop mal foutu.

En ce qui concerne l'expression française, en cherchant un peu, je tombe sur une étymologie sans aucun doute fausse mais loufoque : l'histoire d'un homme, un rien fainéant, logeant dans un entresol situé entre une cuisine et l'appartement de son amoureuse : quand il voulait recevoir la nourriture de l'un et l'amour de l'autre, il lançait une pierre au plafond. Le texte se trouve ICI.  

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Deux discussions avec Gaëlle, 6 ans, qui en valent la peine... Il s'agit presque de la retranscription exacte. Dois-je m'en inquiéter ? Dois-je amener ma fille chez un pédopsychiatre ?

(Regardant Tamala 2010: A Punk Cat in Space, un dessin animé japonais psychédélique qui n'est pas vraiment fait pour les enfants, mais qu'elle adore néanmoins.)
 — Le loup a mangé Tamala, mais ça ne me fait rien car moi, j'aime bien la mort !
— Hein ?
— Quand mon chat Ishu est mort, maman pleurait. Moi, je ne pleurais pas, parce que j'aime bien la mort. Ishu, il a été empoisonné. On croyait que le Monsieur l'avait fait exprès mais non, en fait. Ishu, il a juste mangé du poison qui n'était pas pour lui.
Tu sais c'est quoi la mort, Gaëlle ? 
— Oui, la mort, c'est quand on a peur. 
— Non, ce n'est pas vraiment ça.
— Je sais, mais je ne sais pas l'expliquer.
C'est quand on arrête de vivre, quand le cœur ne bat plus et qu'on ne peut plus voir, entendre, réfléchir... Quand on n'existe plus.
— Je sais. Je fais même des rêves de gens qui sont morts, puis quand on les revoit, ils sont vivants.
— Euh...
(Help !)

(Essayant de déchiffrer le titre d'un livre dans ma bibliothèque.)
A-na-lo-gi-pue
C'est presque bon, mais ce n'est pas "pue", c'est "que". Analogique. Dictionnaire analogique.
—  C'est pas grave. C'est presque la même chose.
— Ben non. Si tu utilises une lettre à la place de l'autre, personne ne te comprendra.
— Oui, mais c'est pas pour ça qu'on appellera la police.
(Mais où va-t-elle chercher ces expressions ?)

Logicomique

L'aventure commence lors de la nuit de la Saint-Sylvestre, durant laquelle Léandra m'offre son "cadeau de Noël en retard" : ça s'appelle Logicomix ; c'est un roman graphique, une bande dessinée au long cours ; c'est signé Apostolos Doxiadis, Christos Papadimitriou, Alecos Papadatos et Annie Di Donna ; c'est consacré à la quête des fondements de la vérité scientifique rien que ça ! On y croise des géants des mathématiques et de la philosophie de la première moitié du XXe siècle, comme Bertrand Russell (le principal protagoniste), Ludwig Wittgenstein, Moritz Schlick, Kurt Gödel, Henri Poincaré et bien d'autres. 

En toute logique – c'est le cas de le dire –, cette BD de plus de 300 pages aurait dû me passionner tant j'adore le sujet : le paradoxe de Russell, l'écriture des Principia Mathematica, la rencontre entre Russell et Wittgenstein, les débats du Cercle de Vienne, les débuts du positivisme logique, tout cela mis en cases dans une BD ! J'aime la période en termes de découvertes scientifiques et j'admire bon nombre de ces intellectuels. Bref : j'aurais dû applaudir l'initiative des deux mains (parce qu'avec une seule main, c'eût été beaucoup plus difficile).


"Aurais" ? Oui, car ce fut vraiment loin d'être le cas. Après la lecture de ce pavé, je suis même plus proche de la haine que de l'engouement. Dès les premières pages, j'ai été saisi d'un sentiment de malaise quant à la narration et ce sentiment n'a pas changé en cours de route – que du contraire ! 

"Il s'agit certainement du meilleur et du plus extraordinaire roman graphique que j'aie jamais eu entre les mains (Sunday Times)", pouvons-nous lire sur l'un des rabats de la jaquette. C'est à croire que le chroniqueur qui a signé cette critique n'a jamais rien lu d'autre. Maus d'Art Spiegelman, Persepolis de Marjane Satrapi, Jimmy Corrigan de Chris Ware, Pinocchio de Winshluss, Asterios Polyp de David Mazzucchelli, Bottomless Belly Button de Dash Shawn, pour ne citer que ceux-là : il existe des dizaines de romans graphiques bien plus extraordinaires que ce "machin". Alors quoi ? 

Du calme, Hamilton, ça va aller mon gars... On respire un bon coup et on reprend tout depuis le début, de manière posée et structurée.

L'intrigue dans les grandes lignes

Avant d'expliquer pourquoi je n'ai pas aimé ce livre, voici quelques informations sur la façon dont est construite l'intrigue, ou plutôt les intrigues.

Le scénario repose sur trois niveaux chronologiques : 1) "aujourd'hui" (une mise en abyme où nous pouvons observer les auteurs de la présente BD s'interroger sur la marche à suivre pour créer leur BD) ; 2) le 3 septembre 1939 (où nous suivons une conférence de Bertrand Russell dans une université américaine, consacrée au "rôle de la logique dans les affaires humaines") ; 3) la période 1876-1939 (un flashback sur la vie de Russell et sur ses rencontres, réalisé par Russell lui-même depuis la tribune de sa conférence de 1939). La BD joue sur ces trois niveaux : les auteurs qui racontent la conférence de Russell qui raconte sa vie.  

L'ouvrage s'ouvre, non pas sur Russell en 1939, mais sur Apostolos Doxiadis, mathématicien-écrivain et scénariste de la BD. Dès la sixième case, Doxiadis nous "parle" directement, il brise le quatrième mur : Doxiadis "voit" que nous sommes là et nous propose de le suivre pour rencontrer un de ses potes, Christos Papadimitriou, chercheur en informatique théorique, avec qui il va travailler sur le projet Logicomix.

Autoréférence, onanisme intellectuel et manque flagrant d'humilité

Car voilà : faire une BD sur Russell et les logiciens ne suffisait pas, non, non et non ! Il a fallu que les auteurs s'intègrent eux-mêmes dans leur œuvre, qu'ils se mettent à l'avant-plan, qu'ils fassent dans l'autoréférence afin de montrer leurs hésitations, leurs doutes, leurs petites chamailleries quant au cours que devait prendre leur histoire. Dès les premières pages, j'ai détesté ce procédé, non pas pour l'artifice en tant que tel mais parce que, dans ce cas précis, il n'améliore en rien le récit, contrairement à ce que croient dur comme fer lesdits auteurs. L'autoréférence, utilisée à bon escient, peut pourtant apporter beaucoup à une BD. Par exemple, dans Maus, Spiegelman utilise le même procédé pour créer une distance entre l'histoire réelle de son père et celle – forcément subjective – qu'il couchait sur le papier...

Ici, rien à voir... Imaginons le tableau... Bertrand Russell parle de sa vie à un parterre d'étudiants : il revient sur son enfance à Pembroke Lodge, sur ses premières découvertes, sur ses rencontres décisives, sur ses amours... Et puis – badaboum ! – retour au XXIe siècle et zoom sur les auteurs, qui ne peuvent pas s'empêcher de ramener leur fraise. Ils sont d'un orgueil démesuré, alors que le sujet aurait nécessité au contraire énormément d'humilité. Le dessinateur les représente toujours avec de petits yeux blasés, arborant un sourire ironique, genre "chuis universitaire et j'ai tout compris, ô lecteur !". Même le petit chien, "Manga" ("mec sympa" en argot grec, nous dit-on), est antipathique et sans relief (à la fin de l'histoire, il emmerde une chouette qui ne lui a rien demandé). Bref, c'est horripilant, mais ça passe encore.

Ça passe beaucoup moins quand les auteurs remplissent leurs phylactères – au lettrage mal centré soit dit en passant, mais peut-être est-ce là un défaut de l'édition francophone uniquement ? – d'autosatisfaction. Leur projet de BD ? "Franchement la chose la plus démente que j'aie jamais entendue !" (Christos, p. 22). La tautologie ? "Je sais ce qu'est une tautologie, merci ! Mais le lecteur moyen le sait-il, lui ?" (Christos, p. 97). La fidélité du dessin ? "Le petit garçon ressemble-t-il vraiment au petit Kurt Gödel ? — Son portrait craché !", répond le dessinateur (p. 199). Le Tractatus logico-philosophicus ? "Franchement, pour moi un des dix livres les plus surévalués !" (Christos, p. 265). Ben voyons... Tout comme Logicomix ?

Les deux chapitres les plus horribles en termes d'autoréférence sont ceux intitulés "Entracte" et "Finale", dans lesquels toute l'intrigue se déroule au XXIe siècle et s'éloigne du sujet. Les auteurs se disputent quant au fond de l'histoire : est-ce le chemin emprunté, avec tous ses tournants et ses culs-de-sac, ou la morale finale qui compte ? La logique est-elle "fille de la folie" ? Bref, des questions qui auraient dû être réglées avant d'écrire le scénario et non pas intégrées dans celui-ci.

Durant l'entracte, nous accompagnons Christos et Anne (celle qui s'est occupée de la recherche visuelle et du lettrage de la BD) à une répétition de théâtre. Christos n'arrête pas de lui parler de logique (et d'algorithmes), à la manière de Russell avec ses différentes épouses. La balade est l'occasion pour lui de visiter Athènes la nuit, qu'il ne reconnaît plus : il est très étonné de voir, dans un quartier qu'il connaissait bien, des prostituées, un magasin chinois, ainsi qu'un coiffeur avec une enseigne en hindi (oui, et ?). Il se fait harceler par un clochard pas net, puis se fait voler son portable par un "voyou". Ces quelques pages pourraient presque illustrer un tract du Front national sur "la déliquescence de notre belle société occidentale". Bon, OK, j'exagère un peu mais ça m'a marqué, tout de même : qu'est-ce que cette putain d'histoire de quartier pas sûr vient foutre dans l'histoire d'une "quête des fondements" ?

Même remarque pour la fameuse finale, où nous sommes tenus d'assister à l'Orestie d'Eschyle, qui permet aux auteurs de continuer leurs digressions et d'établir des liens ténus entre les différents aspects du récit (comparaison entre la rage des furies et la rage d'Hitler, mise en avant de la force de la raison, etc.). Trois niveaux chronologiques ne suffisaient donc pas : il fallait en rajouter in extremis un quatrième, ancré dans la Grèce antique. C'est maladroit, barbant et somme toute très pédant.

Graphiquement bon mais sans plus

Et les dessins dans tout ça ? Hé bien ils sont grosso modo dans le style de la ligne claire... Heureusement d'ailleurs, au vu de la difficulté et de la complexité du propos ! Dès la première page, j'ai néanmoins l'impression de voir une référence explicite à Scott McCloud, l'auteur de BD américain à l'origine de plusieurs essais théoriques sur la BD (dont le célèbre Art Invisible, 1993). McCloud, dans ses BD théoriques tout au moins, s'adresse lui aussi directement à ses lecteurs.

Pour le reste, le dessin reste assez banal, un peu fade. Je ne dis pas qu'Alecos Papadatos ne sait pas dessiner, mais simplement qu'il ne dessine pas comme quelqu'un qui est censé cosigner "le plus extraordinaire roman graphique de tous les temps". Tout n'est pas négatif, loin de là (ha bon ?) : il y a malgré tout une preuve certaine de savoir-faire : on reconnaît directement chaque personnage... Le "vieux Russell" ressemble au vieux Russell, avec son éternelle pipe ; Wittgenstein (assez réussi) ouvre, sur chaque case où il apparaît, ses grands yeux de génie excentrique... Revers de la médaille : le tout reste assez figé et il est possible de trouver des pages entières sans presque aucune variation de visage (à ce sujet, les scènes décrivant la conférence de 1939 sont assez exemplatives – voilà, j'aurai au moins placé un belgicisme dans ce texte).

Et puis, pourquoi toutes ces bulles gorgées de longues explications ? C'est un gâchis tellement dingue que j'ai du mal à y croire : nous avons devant les yeux une BD qui traite de philosophie et de logique, mais qui n'exploite pas l'immense possibilité du média. Quitte à copier Scott McCloud, pourquoi ne pas le faire jusqu'au bout ? Pourquoi ne pas avoir remplacé ces centaines de cases remplies de gros phylactères gorgés de textes par des schémas, des dessins expliquant plus légèrement certains concepts ? Mis à part quelques exemples rapidement expédiés (comme le paradoxe du barbier, représenté sous la forme d'un dessin plus "cartoon" qui ne paie pas de mine), rien, nada, que dalle.

Et sinon, ça parle de quoi ?

Enfin, un dernier constat : ce livre traite de tellement de sujets à la fois qu'il est difficile d'en connaître le thème principal. En bref : ça parle de quoi tout ce bazar ? De la quête des fondements des mathématiques ? De la philosophie humaniste de Russell ? De sa vision du pacifisme et, au-delà, de son avis sur la Seconde Guerre mondiale ? Du rapport entre les questions posées par la tragédie grecque et le monde contemporain ? De l'apport des logiciens de la première moitié du XXe siècle à l'informatique ? Ou tout simplement de la manière d'écrire un roman graphique sur la "quête des fondements" ?

Les auteurs savaient-ils eux-mêmes où ils mettaient les pieds ? S'ils avaient su ce qu'ils devaient écrire, ils auraient pu supprimer sans problème un des niveaux : celui de l'autoréférence, cette partie futile où ils se mettent constamment en avant. La BD aurait gagné en fluidité : Russell parlant de son passé, c'eût été parfait, plus intéressant et beaucoup moins lourd. Seulement voilà : j'ai comme l'impression que ce livre est autant une apologie de Doxiadis, Papadimitriou et consorts qu'un retour sur la vie de Russell... Ou bien tout simplement une expérience qui a permis à quelques universitaires de digérer une matière et de faire leurs dents dans le monde de la bande dessinée. 

À force de vouloir traiter de tout, ce livre traite de... pas grand chose. Les auteurs prennent de grandes libertés avec l'histoire, inventant des rencontres qui n'ont jamais eu lieu : ce n'est dons pas un livre à vocation historique. Et malgré de nombreuses conversations, les questions de logique et de philosophie ne sont qu'effleurées : ce n'est donc pas non plus un livre de vulgarisation (à moins de ne pas du tout connaître le sujet). 

Je ne sais donc toujours pas quel est le sujet central de cette BD. Ce n'est pas grave : ça ne m'empêchera pas de dormir la nuit... Quoique...

Une journée en mono

Les écouteurs de mon lecteur MP3 sont définitivement usés, foutus, cassés, morts... C'est toujours le même problème : un jour, à force de triturer les fils dans tous les sens, l'écouteur gauche rend l'âme. Pendant quelques heures, je peux réparer le problème en chipotant au fil comme un forcené. Et puis, après un dernier soubresaut accompagné d'un déchirant "krprschribfrxfprtkrt", c'est le décès, le vrai, celui dont on ne revient pas, et je n'entends plus tristement que le canal droit de la stéréophonie, ce qui est très désagréable car j'ai comme l'impression d'être sourd d'une oreille. La vie en mono est d'un triste. Je ne demande pas le 5.1, simplement un existence en stéréo.

Impossible de vivre plusieurs jours sans musique dans mes (deux) oreilles : après mon boulot, je me rends donc à la FNAC près de la place Saint-Lambert à Liège pour m'acheter de nouveaux écouteurs : des Logitech qui ont la merveilleuse capacité de couper tout bruit extérieur. J'en profite pour m'acheter un nouvel appareil photo : pas le gros appareil reflex de la mort, mais un petit Canon Ixus 115 HS en réclame. C'est marrant, du moins en français, de donner "HS" comme nom à un appareil photo, ça apporte un éclairage sur son avenir : "Hors service".

Cela faisait longtemps que je ne m'étais plus acheté d'appareil photo et je suis légèrement abasourdi par les avancées technologiques effectuées en dix ans sur les appareils de type compact : miniaturisation, diminution du poids, haute sensibilité qui permet de se passer quasiment tout le temps du flash, prise en main facile. Revers de la médaille : impossible de modifier le diaphragme et la profondeur de champs, de jouer convenablement avec la vitesse d'obturation. Pour ça, mon gars, faut que tu t'achètes un reflex.  
Et dire que j'en ai un, de reflex, un Leica "R3mot Electronic", un vieil appareil argentique qui appartenait au grand-père de Maïté. Celui-ci était photographe professionnel et conservait de nombreux appareils photos dans sa cave/chambre noire : des Leica et des Hasselblad principalement, soit deux marques extrêmement réputées pour la qualité de leurs appareils. À la mort du grand-père, ma belle-mère m'a proposé de récupérer un appareil au choix et deux-trois optiques. Le boîtier que j'ai choisi (le R3 électronique, un peu gadget) ne fonctionne plus très bien. Par contre, les optiques sont de petites merveilles, surtout les deux premières : deux objectifs Leitz de 35 mm et 90 mm ainsi qu'un grand angle. Je ne m'en sers pas pour le moment. Il faudrait que je rachète un boîtier numérique qui accepte les vieux objectifs Leica de type "R", pour autant que cela existe (je ne me suis jamais posé la question, pour tout dire).

* * *

Je suis fatigué, presque autant qu'hier, mais je n'ai guère envie de me morfondre chez moi. J'envoie un message à Emily pour savoir si elle ne veut pas aller boire un verre quelque part, "peu importe l'endroit" (à l'exception d'un pub anglais du cœur de Londres). Réponse : "Je suis déjà à la Maison du Peuple, si tu veux." Ben voyons !
Maison du Peuple, donc. Emily est installée à une petite table au centre du café, près d'une des colonnes. Elle travaille sur son PC portable et le range quand j'arrive. La salle est noire de monde, il y a beaucoup de bruit et des clients qui passent dans tous les sens. Pendant qu'Emily va chercher deux Chimay blanches au bar, j'ouvre rapidement mon ordinateur à mon tour car j'ai besoin de récolter quelques renseignements la concernant. Lorsqu'elle revient, je lui demande donc : "Alors, Emily, les mathématiques, universelles ou pas ?". Je ne me rappelais plus de sa réponse (intéressante) de ce dimanche et j'en ai besoin pour terminer un article.
Amusant : les branches scientifiques préférées d'Emily sont la biologie et la chimie (elle est d'ailleurs biologiste de formation), soit les deux que je déteste le plus. De mon côté, je préfère les mathématiques et la physique. Allez savoir pourquoi... Peut-être à cause de l'intérêt que je porte à l'informatique et à l'astronomie ?

Emily me reconduit chez moi en voiture en fin de soirée, pas trop tard, comme d'habitude. Je m'installe chez moi à la petite table que m'a passée Léandra pour mon réveillon. Je mets de la musique. Je passe mon temps à relire d'anciens articles de ce blog. J'ouvre une bouteille de vin et je ne vois pas le temps passer... Double erreur : lorsque je regarde l'heure, il est déjà 2 heures du matin et quand je regarde la bouteille, elle est déjà presque vide. 

Cholécystectomie laparoscopique et stoemp saucisse

Reprise du boulot. Ma collègue Charlotte est de retour après un mois de congé "maladie". Elle a été opérée, comme moi, pour une ablation de la vésicule biliaire, mais curieusement pas de la même façon. En ce qui concerne mon petit (?) ventre meurtri, mon chirurgien italien sympa a effectué une seule incision au niveau du nombril. Dans le cas de Charlotte, il y a eu quatre incisions et elle a dû porter des agrafes pendant quelques jours. Pourquoi cette différence ? Ha, mais Madame c'est que moâââ j'ai été opéré par un génie, spécialiste mondial de la cholécystectomie laparoscopique par incision ombilicale unique... Ou bien alors c'est une vaste conspiration contre ma personne et l'on ne m'a rien enlevé du tout. En tout cas, si je dois subir une seconde opération du ventre, je demanderai à ce que ce soit le même chirurgien de l'hôpital Saint-Pierre à Bruxelles qui s'en charge.

Je suis exténué par ma reprise du boulot. Je suis totalement décalé, car je n'ai presque pas réussi à dormir cette nuit... Même si je n'ai pas besoin de beaucoup de sommeil pour être opérationnel, j'accuse tout de même (comme Zola – elle est nulle, je sais) une fatigue certaine. Petit sourire intérieur quand ma collègue Christiane me dit de bon matin, lorsque je remarque qu'elle a de petits yeux cernés : "Oh, c'est rien : je n'ai pas pu aller dormir avant minuit à cause de mon fils, qui est malade pour l'instant."

* * *

Le soir, Léandra m'invite à manger chez elle. Elle avait envie de cuisiner et a donc préparé un revigorant "stoemp saucisse". J'ai apporté deux Orval, au cas où... Un peu comme Marius qui apporte sa bouteille de Bordeaux rien que pour lui dans les Bronzés font du ski, parce qu'il ne "digère pas le vin blanc, c'est dingue !"

Après le souper, je m'allonge sur le divan. J'ai vraiment besoin de dormir. Je suis trop paresseux pour prendre quelques notes durant la soirée et ne me souviens plus vraiment des discussions que nous avons eues. Nous avons parlé de Jonas et du fait que Léandra et lui ressemblent plus à un "vrai couple" pour le moment. Nous avons parlé de Logicomix (le roman graphique sur Russell, Wittgenstein et compagnie, que Léandra m'a offert pour la Noël), dont la lecture me déçoit (la suite prochainement). J'ai sans doute également ennuyé Léandra avec mes questions existentielles sur tel ou tel sujet barbant ou sur telle ou telle personne, mais je ne m'en souviens plus.

Après un dernier thé (oui, oui, un thé) en compagnie de mon amie, je rentre chez moi, totalement crevé. Il est à peine dix heures du soir lorsque je reviens à mon appartement. Le problème, c'est qu'une fois dans mon lit, je n'ai plus sommeil du tout et rallume mon ordinateur... Cela me fait penser à un discours d'une psychologue de l'ONE (Office de la naissance et de l'enfance), il y a environ cinq ans : "Faites en sorte que votre enfant ne prenne pas son lit comme un terrain de jeu mais bien comme le lieu où il dort, afin qu'il associe cet endroit à un endroit de repos et non d'activité physique ou intellectuelle." Je suis un grand enfant et, pour arriver à dormir dans ce lit, je devrais peut-être m'obliger à m'installer autre part quand je suis devant mon PC...

Badminton sans raquette

Tiens, qui voilà ! Mais quelle surprise ! Emily est installée à une table de la Maison du Peuple, avec le PC de son boulot, pour ne pas changer. Elle écrit ses vœux pour la nouvelle année. De mon côté, j'ai du travail : je dois rattraper le temps qui passe sur mon blog. C'est pas gagné...
Je cours après mon retard d'écriture en rédigeant un article prétentieux, égocentrique et autodestructeur sur l'intelligence et la dépression. En me relisant, je me dis que je devrais avoir honte de coucher pareilles idées sur le papier, tant c'est pédant : "Baudelaireuh, qui s'est laissé allé à la pensée aristocratiqueuh blablabla". Je n'aime pas Baudelaire et, par ailleurs, ce que j'écris à son endroit ne signifie pas grand chose. Marrant, cela dit : ce journal devient un lieu d'expression où je me critique moi-même. Strange Case of Dr Lionel and Mr Hamilton.
Emily me conduit en voiture jusqu'au badminton. Je croyais qu'elle me déposerait près de chez elle (soit à 500 mètres de la salle de sport) mais non : elle me dépose pile devant l'entrée du bâtiment. Merci Emily ! 
* * *
"Tiens, qui voilà ! Mais quelle surprise !" : c'est à peu de choses près ce que me dit Hamilton III, le serveur de la buvette qui surplombe les six terrains de badminton, lorsqu'il me voit débarquer. Ça fait environ quatre mois que je n'y ai plus mis les pieds : en prévision de mon opération chirurgicale, j'avais en effet décidé d'arrêter le sport dès septembre, histoire de ne pas payer une cotisation complète pour des prunes.
Je regarde avec Hamilton III la salle en contrebas : très peu de joueurs sont présents. Sur une moitié de terrain, Toine et Mary me voient et mon font de grands signes de la main. Pendant ce temps, Hamilton III me parle de sa vie qui change : "C'est l'enfer, mec, ma compagne est enceinte !", puis plus tard : "Si personne n'est là dans une demi-heure, je ferme la buvette et rentre chez moi !" Pour être auprès d'elle ? Pas du tout : "Pour jouer à la Playstation tant que le mioche n'est pas encore sorti !"
Après deux cafés, je descends dire bonjour à mes amis badistes. Les voir jouer me donne furieusement envie de recommencer ce sport. Ce sera sans doute pour la semaine prochaine. Quelques joueurs me saluent quand je passe. Pas de Lewis en vue. Flopov arrive un peu après moi et pousse un "Ooooh !", surpris comme si elle avait vu un revenant (c'est un peu le cas, en fait). Je leur explique la situation : pourquoi j'ai été absent, etc. De son côté, Toine s'est foulé la cheville en septembre et a lui aussi dû arrêter le sport pendant quelques mois. 
Jean, professeur de mathématique à la retraite, le plus vieux joueur du club, est dans la salle : il ne peut plus faire de sport mais est venu faire un petit coucou pour le Nouvel An. Je suis content de le revoir. Pendant ce temps, sur le terrain, Mary rate un coup et lance, furieuse, un "Haaaaa, fuck, fais chier, putain !". Je ne peux m'empêcher de faire, tout sourire, cette remarque à Jean : "Rien n'a changé ici, comme tu peux t'en rendre compte par toi-même."

* * * 

Après le badminton, Mary, qui est en voiture, m'invite à boire un verre chez elle (elle habite à un kilomètre de chez moi). Elle a notamment de la Tripel Karmeliet dans son frigo.

Trois de ses colocataires sont présents quand nous arrivons : John (celui qui monte toujours dans sa chambre très tôt), Matt (celui que je n'avais encore jamais vu) et Sebastian (celui qui ne parle pas beaucoup, du moins de prime abord). Sont également présents, au tout début de la soirée, le frère de John et sa compagne.

Au cours de la soirée, Mary revient sur son obsession : me rhabiller. Il faut que je me rhabille. Elle propose de m'aider. Elle me bassinera avec ça jusqu'au moment où je lui dirai : "Oui, Mary, je vais suivre ton conseil, Mary". En outre, elle sait déjà ce qu'elle va m'offrir à mon anniversaire : un vêtement. Par pitié, qu'on ne me parle plus de vêtements !

Mary me reconduit en voiture vers 23h. Merci Mary ! Je suis fatigué, il faut vraiment que je dorme mais ne suis pas sûr du tout d'y arriver, à cause de cet horrible décalage causé par ma soirée de Nouvel An...

Mathématiques martiennes

Étant donné que je me suis endormi hier (ou plutôt aujourd'hui) vers 10h30 du matin, je dors pendant toute cette première journée de l'an 2012. Lorsque je me réveille, il est passé 17 heures et l'obscurité fond déjà sur la ville. Une heure plus tard environ, Emily me téléphone : elle me demande si j'ai prévu quelque chose ce soir. Je lui propose de venir manger chez moi : il reste des légumes, de la viande, du vin, des toasts, de la tapenade, etc. Emily arrive un peu avant 20 heures. J'ouvre la dernière bouteille de Bourgogne Aligoté, prépare une salade avec des ingrédients piochés un peu partout dans ma cuisine : des tomates-cerises, des poivrons, de la moutarde, du vinaigre balsamique, du vinaigre de framboise, un fond d'huile d'olive... Je n'ai plus de beurre pour cuire la viande : Emily se charge d'aller en chercher au "Paki" à deux pas de chez moi et ramène une baguette par la même occasion. Nous mangeons bien.
Walter me téléphone pour savoir si je suis à mon appartement et s'il peut y passer pour reprendre l'appareil à pierrade de ses parents. Arrivé chez moi, il se précipite à toute vitesse dans différentes pièces pour récupérer les divers éléments de l'appareil, ce qui nous fait sourire, Emily et moi. Explication : la maman de Walter attend en bas, en voiture. J'aide à descendre une boîte, Walter dit au revoir à sa mère et reste avec nous : il mange un restant de viande et de salade, prend une bière...

* * *

Un des sujets de discussion de la soirée tourne autour de la question de la représentation du monde et de l'universalité des mathématiques (qu'est-ce qu'on se marre, wouhahaha !). Je ne maîtrise pas très bien ce sujet et espère donc ne pas raconter trop de conneries dans les cinq paragraphes qui suivent. C'est loin d'être certain.

Intuitivement, les mathématiques semblent universelles, non pas sur le plan du langage utilisé (qui est purement arbitraire) mais de l'idée sous-jacente que traduit ce langage. Par exemple, la valeur de Pi, c'est-à-dire le rapport entre la circonférence d’un cercle et son diamètre, est immuable. Le nombre 3,1416 est arbitraire dans la mesure où c'est une approximation de Pi exprimée en base 10, qui suit par ailleurs une série de conventions (utilisation de chiffres arabes, d'une virgule comme séparateur décimal...), mais le rapport qu'il exprime, par contre, ne change jamais¹.

A priori, si un hypothétique être extraterrestre avait la capacité d'imaginer le concept de cercle (une courbe plane fermée dont tous les points sont situés à égale distance d'un point), puis de diviser la circonférence de ce cercle par son diamètre – ou, dit autrement et plus basiquement, de calculer combien de fois le diamètre d'un cercle s'inscrit dans sa circonférence –, il tomberait lui aussi sur la même constante. Il "l'exprimerait autrement" (pour autant que ces termes aient un sens pour "lui") mais qu'importe ! 

D'où l'idée que si l'on voulait dialoguer avec une intelligence douée de raison qui n'a rien en commun avec l'esprit humain, les mathématiques ne seraient pas une trop mauvaise solution. Reste que même en utilisant un exemple très simple (comme compter un nombre restreint de cailloux), un "dialogue" avec une intelligence extérieure à la logique humaine risquerait de poser de nombreux quiproquos (voir ICI – ce blog est vraiment intelligent, plein d'humour, en deux mots : bien foutu !).

Arrachons-nous les cheveux jusqu'au bout : les mathématiques sont-elles réellement universelles ? Sont-elles concevables exactement de la même manière partout dans l'univers ou sont-elles liées à une perception extérieure, à une expérience sensorielle ? Les mathématiques sont-elles propres à l'univers ou au contraire internes à la pensée humaine ? Un cerveau humain (doué de conscience donc) qui serait, depuis la naissance – l'idée est horrible –, sans aucun contact avec le monde extérieur (ni ouïe, ni vue, ni toucher, ni odorat, ni goût) serait-il capable d'imaginer un concept comme la différence qui existe entre 1 et 2 (simple exemple) ? Une vie percevant le monde au travers de perceptions totalement différentes des nôtres pourrait-elle imaginer la valeur de Pi (peu importe le nom qu'on lui donne), en dehors de tout référentiel ? J'ai l'intime conviction (ce qui n'a strictement aucune valeur en soi) que oui. Walter en est beaucoup moins certain. 

Emily, quant à elle, pense que la base des mathématiques est faite de postulats (des principes non démontrés) qui, comme dans toutes les autres sciences dites "exactes", sont liés à des perceptions, à des expériences répétables, à l'empirisme ; que la logique n'est pas innée ; qu'on la croit innée parce qu'on baigne dedans depuis la naissance et que c'est notre référence ; que les mathématiques sont universelles en tant que telles mais qu'il faut être doté de sens autres que le "pur esprit" pour s'en rendre compte. Dit autrement, avec mes mots : qu'on ne peut s'extraire du monde, ni faire appel à aucun concept transcendant ou objectif. Je le savais déjà mais c'est passionnant d'en discuter, franchement.

Nous ne sommes pas sortis de l'auberge.
Pour tout dire, nous n'y sommes même pas entrés. 

* * *
"Et si on jouait à un jeu ?", propose Emily en fin de soirée. C'est une excellente idée et nous voilà donc lancés dans une partie de "Colons de Catane", ce jeu de société extrêmement bien foutu (un jeu allemand, comme d'habitude – sont forts, ces Allemands) dont le plateau, composé d'hexagones posés par les joueurs, change à chaque partie. Je gagne la première part haut la main, sans aucune contestation possible. La seconde part est beaucoup plus serrée et Walter aurait pu la gagner. La victoire m'appartient sur un coup de bol : la bonne carte piochée au bon moment.
Je jouerais bien une troisième partie (en fait, je jouerais bien jusqu'au petit matin), mais mes invités sont fatigués. Il est environ une heure du matin lorsqu'Emily et Walter reprennent la route du retour.
De mon côté, je ne ressens pas du tout le besoin de dormir. Je suis en congé demain. Et puis quand bien même ! Je veille jusqu'à 5 heures du matin. Je lis, j'écoute de la musique... Je suis tombé amoureux du premier album du groupe montréalais – Ha ! Montréal ! – Suuns intitulé Zeroes QC (sorti il y a plus d'un an – comme d'habitude, je suis en retard d'un quart de guerre). Le son hésite entre guitares anguleuses, rock répétitif et musique électronique. Quelques morceaux, notamment ceux où le chanteur déclame son texte de manière très saccadée, comme s'il bégayait (voir la vidéo ci-dessous), sont très proches du groupe anglais Clinic (je suppose que c'est un hommage et non un plagiat). Liars et ses dissonances ne sont pas loin non plus. En tout cas, chaque chanson est un trésor de minimalisme maîtrisé. Certaines, à la rythmique simple et implacable, pourraient faire danser un mort (pire : elles pourraient me faire danser, moi, en me saoulant avant). Et puis, en écoutant et réécoutant cet album sous le sceau de la haute fidélité, je découvre d'insoupçonnées basses en filigrane, de subtiles envolées de guitares sorties du néant... 


La première personne qui arrive à me retranscrire les paroles exactes de cette chanson gagne un verre en tête à tête avec moi à la Maison du Peuple (oui, je sais, il y a plus palpitant dans la vie !).


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¹ Base 10 : numération positionnelle standard utilisant 10 chiffres de 0 à 9 (un très ancien système de comptage sans doute dicté par le fait que nous avons dix doigts). En base 2 (la numération binaire utilisée en informatique, par exemple), Pi donne plutôt CECI.

Réveillon

Certains de mes invités ont-ils remarqué la disposition du jeu d'échecs installé sur la commode près de la table ? Sur le plateau de jeu, neuf pièces censées symboliser les neuf personnes présentes à ma soirée de Réveillon. Parmi les blancs, le roi, la reine, le fou gauche, le cavalier droit et un pion ; parmi les noirs, le roi, la reine, le fou droit et la tour gauche. Une des symboliques possibles, parmi les nombreuses combinaisons, est la suivante : les deux couples sont les deux paires de monarques (Léandra et Jonas sont-ils les noirs ou les blancs ?) ; Walter et Andrew les deux fous/évêques ; Emily la tour ; Flippo le pion ; moi le cavalier. 
Je m'étais dit au départ que les pièces auraient pu évoluer sur l'échiquier en fonction du déroulement de la soirée : une personne s'en allant se traduirait par le retrait de sa pièce de l'échiquier ; une personne arrivant, au contraire, par l'ajout d'une pièce ; une dispute qui éclate par la création d'une menace (ou d'un échec)... Néanmoins, j'ai, et ce dès le début de la soirée, complètement oublié de m'occuper de ce putain de jeu d'échecs. Aucune pièce n'a donc bougé, comme si rien ne s'était passé du tout. Pas grave : de toute façon, après réflexion, je trouve cette idée "d'échiquier mouvant" un peu nulle. 

Comme d'habitude, j'ai profité de l'occasion pour mettre une cravate. Arrivés en premiers, Jonas porte un nœud papillon et Léandra est joliment vêtue de blanc. Plus tard, sur le pas de ma porte, Andrew soupire : "Oh non ! Ne me dites pas que vous avez fait des efforts vestimentaires !". Quant à Flippo, il se moque (entre autres) de ma "laide cravate", du moins en début de soirée (l'alcool aidant, il finira par la trouver jolie).
Léandra m'offre un "cadeau de Noël en retard" : elle a eu l'excellente idée de m'acheter une bande dessinée (ou plutôt un "roman graphique", comme on dit) intitulé Logicomix, une œuvre qui devrait assurément me passionner puisque les principaux protagonistes sont de véritables héros-philosophes à mes yeux : Bertrand Russell, Ludwig Wittgenstein et une armée de logiciens ! Je donnerai sans doute très prochainement dans ce même journal mes impressions de lecture.

Comme apéro, j'ai décidé de réitérer le cocktail que j'avais proposé, il y a une dizaine d'années, à un réveillon organisé dans un ancien appartement (celui dans lequel je logeais, à la lisière du Bois de la Cambre, lorsque j'étudiais à l'ULB) avec certains des mêmes invités d'ailleurs : 1/5e de Disaronno, 1/5e de liqueur de groseilles, 3/5e de jus d'orange (en théorie mais c'est meilleur quand il y en a moins), le tout passé au shaker, auquel on rajoute un soupçon de mousseux (normalement, il faut du Champagne, mais ça me dérangeait de le diluer dans un cocktail). L'aspect visuel est assez répugnant (on dirait de l'eau stagnante !) mais c'est quand même très bon. 
Jonas s'occupe des toasts (il est très déçu de ne pas avoir trouvé du pain de mie, "comme en France") et Emily des Saint-Jacques à la fondue de poireaux (entre autres), une recette simple, paraît-il, mais délicieuse. Pour le plat principal, nous disposons de deux appareils à pierrade/grill/raclette. Quatre personnes ont apporté de la viande et des sauces, Andrew a apporté différents poissons marinés. Emily, qui revient de ses vacances à la montagne, a ramené du fromage. Cela fait en tout plusieurs kilogrammes de viande, dont l'engloutissement total relève de l'utopie : à la fin du repas, je devrai en congeler près de la moitié. Comme dessert, un tiramisu concocté par Léandra, ainsi que des biscuits italiens. Enfin, à minuit, j'ouvre deux bouteilles de Champagne Malard. Il m'a été conseillé par un vendeur de chez Nicolas (le magasin de vin) mais est loin d'être le meilleur que j'ai goûté de mon existence.

En seconde partie de soirée, nous jouons à différents jeux : Shabadabada, dont le règlement est resté assez flou (tous les protagonistes n'avaient pas les mêmes règles en tête, apparemment), Privacy (le jeu dont j'ai déjà parlé il y a presque six mois) et même Questions pour un Champion (Andrew se précipitera sur les cartes pour faire son Julien Lepers, seul rôle qu'il aime jouer).

À la toute fin de la soirée, ne reste plus que Flippo et Walter. C'est plus ou moins à partir de ce moment que je commence à leur "piquer" des clopes et à fumer (comprendre : c'est à partir de ce moment que suis commence vraiment à être saoul). Flippo s'en va prendre le premier métro vers 6 heures du matin. Walter, quant à lui, reste plus tard encore. Nous carburons à la bière pendant que Walter fait son Julien Lepers, me posant des questions en série (contrairement à Andrew, j'adore répondre à ce genre de quizz). 

Après le départ de Walter (vers 8h30 environ), je me mets à tout ranger frénétiquement et à faire l'énorme vaisselle restante : impossible d'aller me coucher sans avoir tout nettoyé. Vers 10h30 du matin, je suis content du résultat et je peux enfin m'endormir comme une masse.

Déprime et intelligence

"Journal : le besoin de consigner toutes les réflexions amères, par l'étrange peur qu'on arriverait un jour à ne plus être triste..."
(Cioran, Le crépuscule des pensées, 1940)

Après un début de journée passé en compagnie de mes parents et de ma fille dans un village de l'Entre-Sambre-et-Meuse, je suis de retour dans mon appartement bruxellois. Walter passe chez moi pour m'apporter un appareil à pierrade et raclette (demain, nous fêtons le Réveillon dans ma salle à manger, bigre !). Walter n'a presque plus de souffle, il est fiévreux : c'est, dit-il, une "rechute", neuf jours après [voir à la date du 21 décembre, dernier paragraphe] l'inoculation de six vaccins destinés à le protéger des éventuelles horribles infections qu'il pourrait attraper lorsqu'il sera au Congo dans moins d'un mois.


Walter est en voiture et nous allons boire un verre au Parvis de Saint-Gilles. À nouveau, je note sur mon téléphone portable plein de mots-clés pour me rappeler de ce dont nous avons parlé mais, comme à chaque fois ou presque, je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir en faire, de ces mots, et surtout comment rendre mon texte cohérent et un tant soit peu intéressant.
Un des sujets de discussion tourne autour de la relation entre la dépression (dans son sens le plus courant, c'est-à-dire un trouble qui entraîne du désespoir, une perte d'envie, de motivation et de confiance en soi...) avec l'intelligence : les gens intelligents sont-ils plus soumis que les autres à la dépression, à la déprime, au "spleen" ? 
Je raconte une anecdote à Walter : durant mes courses de Noël, à la librairie Tropismes, je suis tombé sur (et j'ai failli acheter pour Andrew et pour lui) un livre intitulé Trop intelligent pour être heureux ? L'adulte surdoué, écrit par la psychologue Jeanne Siaud-Facchin. La quatrième de couverture est éloquente :
"Et si l'extrême intelligence créait une sensibilité exacerbée ? Et si elle pouvait aussi fragiliser et parfois faire souffrir ? Être surdoué est une richesse, mais c'est aussi une différence qui peut susciter un sentiment de décalage, une impression de ne jamais être vraiment à sa place. Comment savoir si on est surdoué ? Comment alors mieux réussir sa vie ? Comment aller au bout de ses ressources ?"
Nous en arrivons au constat suivant : à trop observer, réfléchir et analyser une situation donnée, on ne peut qu'être décalé et dans la totale incapacité de vivre l'instant présent. 

Les personnes intelligentes, dans la mesure où elles comprennent tout plus vite, mieux et de manière plus profonde (bah oui), se rendent compte que la vie n'est qu'une somme de tragédies et d'absurdités : une petite planète qui trace sa "route" dans le néant et le vide absolu ; aucun but à notre existence ; un concours de circonstances totalement abracadabrant qui fait que nous vivons et que nous nous en rendons (hélas ?) compte ; la douleur et la mort au bout du chemin ; bref : l'humanité, une merde de mouche dans le Cosmos... Alors, que faire, si ce n'est tomber dans la déprime ou, afin de ne pas y sombrer, dans des croyances ou des religions sans fondement ? Ou encore faire n'importe quoi, tiraillé entre son éducation structurante et des expériences de vie qui ne le sont pas.

Baudelaire, qui s'est laissé aller à la pensée aristocratique (avec ou sans raison – ça le regarde ; dans un sens, je le comprends) et qui était loin d'être un con, a bien cerné le problème : "(...) ce que je sens, c'est un immense découragement, une sensation d'isolement insupportable, une peur perpétuelle d'un malheur vague, une défiance complète de mes forces, une absence totale de désirs, une impossibilité de trouver un amusement quelconque." (Lettre à Madame Aupick, sa maman, 30 décembre 1857)
Walter dira, à raison : "C'est là que l'expression 'imbécile heureux' prend tout son sens" : l'imbécile ne se pose pas de questions, il est content de tout ce qu'il rencontre dans l'existence, blablabla... Mais Walter et moi ne sommes même pas certains que ce soit vrai : des idiots dépressifs, ça existe aussi (nous avons plein d'exemples en tête). Je me rends bien compte, en écrivant tout cela, que je suis à la limite (à la limite ?) de l'élitisme et de la prétention déplacée, mais je m'en contrebalance.
Il a également été question du travail comme d'un moyen de lutte contre la dépression : en travaillant, on se rattache à une routine, à un horaire, on se sent moins hors système. À y réfléchir, c'est totalement paradoxal : le temps de travail, tel que je le conçois, devrait être limité au plus strict minimum tant il est abrutissant. En optimisant au mieux les compétences, les créativités de chacun, on pourrait travailler beaucoup moins. Cioran encore : "Le travail : une malédiction que l'homme a transformée en volupté" ; ou Russell : "L'un des symptômes d'une proche dépression nerveuse est de croire que le travail que l'on fait est terriblement important". Quand je lis Russell, je me dis que je ne suis pas dépressif. (J'y reviendrai (un jour).)

* * *

Nous décidons d'aller manger une pizza à la pizzeria de la Place de Bethléem, à deux pas du Parvis. Walter, exténué par ses vaccins (dit-il), prend sa voiture pour aller jusque-là. Nous faisons le tour du quartier pendant un quart d'heure, tout ça pour... nous garer à 100 mètres du Parvis.

Je m'étais déjà rendu quelques fois dans cette pizzeria mais toujours en terrasse, en été ou au printemps, jamais à l'intérieur. À l'intérieur, c'est... euh... différent. Il n'y a pas de serveur, simplement un type qui arrive de temps en temps pour nous servir, mais nous voyons bien que c'est le cadet de ses soucis. Son problème, à lui, c'est de parler avec d'autres gars d'un truc qu'il montre du doigt sur l'écran de son ordinateur portable. "C'est une couverture, c'est clair", dira Walter. La pizza, par contre, est délicieuse.

Walter me parle d'un curieux épisode de Columbo, "Last Salute to the Commodore" (1976), un des seuls de la série au cours duquel Columbo n'est lui-même pas certain du coupable (un affront au canon "columbien"). En effet, contrairement à la plupart des épisodes, le coupable est révélé à la fin : un "whodunnit", comme on dit dans le jargon policier (un "truc" plus typique d'Agatha Christie que du lieutenant à l'imperméable) !

Walter (en forme tout compte fait, malgré ses vaccins) parle également du rapport entre l'existentialisme de Sartre et En attendant Godot de Beckett. Dans la mesure où je ne connais ces sujets que de manière très superficielle, je suis bien incapable de comprendre, ni même de répondre quelque chose de sensé.

Emily revient de ses vacances en Haute-Savoie : elle est quelque part entre l'aéroport de Zaventem et la Gare de Bruxelles-Midi. Elle doit nous rejoindre. Après avoir mangé notre pizza, nous allons à sa rencontre et la retrouvons dans une rue de Saint-Gilles, avec son sac à dos et sa valise à roulettes qui fait du bruit (roulouroulouroulourou sur les pavés). La rencontre se passe presque exactement en face de l'immeuble où vit de Léandra.

Nous terminons la soirée à l'Union. Emily et Walter remarqueront à plusieurs reprises que "c'est bien mieux qu'au Verschueren", "qu'il y a moins de poivrots", "qu'il y a plus d'étudiants". Normal : quand on est étudiant et qu'on est au Parvis, on va à l'Union (rien n'a changé en dix ans). N'empêche : je préfère le Verschueren, je persiste et signe, et je vous emmerde tous autant que vous êtes !

Planning

6h16 : réveil.
6h32 : départ de l'appartement.
6h41 : arrivée du tram (station Albert).
6h57 : départ du train (gare de Bruxelles-Midi).
8h02 : arrivée du train (gare de Liège-Guillemins).
8h09 : arrivée du bus (devant la gare).
8h27 : arrivée au boulot (Jemeppe-sur-Meuse).
8h28 : préparation du café.
8h31-12h20 : travail.
10h04 : Aurèle passe pour se prendre un café et remonte directement dans son bureau.
12h21 : arrivée du livreur de Pizza.
12h24-13h14 : repas.
13h15-17h10 : travail, mise en ligne d'un article qui ne ressemble toujours à rien.
17h19 : départ du bus pour le centre de Liège.
17h47 : départ du train pour Namur-Charleroi.
18h47 : arrivée à la gare, où ma mère m'attend, en voiture.
19h01 : arrivée chez mes parents.
19h45 : souper.
21h44 : Gaëlle au lit. Histoire de Schtroumpfs et de bateau fantôme pour l'endormir.
Vers 22h : devant la télévision, avec ma maman, film Jo, avec de Funès et Blier.
0h44 : épisodes de Futurama dans mon lit.
2h17 : dodo.

(Et ouais : je rattrape le retard comme je peux, et je n'ai pas envie de me fouler pour une journée où il ne se passe pas grand chose.)

"Hamilton & le Temple du Conformisme"

Qu'est-ce que je vais bien pouvoir raconter aujourd'hui ? Si j'avais été un tantinet malin, j'aurais divisé le sujet d'hier en deux parts plus ou moins égales et gardé le morceau sur la psychologie comportementale pour ma journée de mercredi. J'aurais alors procédé comme dans un double album de Tintin : à la fin de la première partie, j'aurais tenté de garder le lecteur en haleine grâce à une série de questions ridicules :
La violoniste du Parvis de Saint-Gilles est-elle totalement dingue ? Combien d'argent Joshua Bell a-t-il récolté durant son expérience dans le métro de Washington ? Quels résultats Solomon Asch arrivera-t-il à tirer de son test de vision ? Asch est-il ophtalmologue ? Les humains ont-ils du caca dans les yeux ? Tout ça, vous le saurez dans le prochain épisode des aventures d'Hamilton, "Le Temple du Conformisme" !  

Hé bien non, c'est raté. Je vais être obligé d'écrire ma journée "passionnante" de ce mercredi.

Je me lève à 6h16, je pars de mon appartement à 6H32 et j'arrive à la Gare de Bruxelles-Midi à 6h47. À la sortie du prémétro, je prends un café et une bouteille de Coca-Cola dans un des commerces adjacents. Mon train de 6h57 est à l'heure. Le voyage se passe sans problème. 
Arrivé à la gare de Liège-Guillemins, avant d'aller chercher mon bus, je reprends un café à l'Espress "Oh" Juice. Le gars est un passionné du café : chaque semaine, il propose un café différent, ainsi que de délicieux "Macchiato". Il fait aussi des Smoothies, que je n'ai jamais goûtés. (Je pourrais sans doute écrire plusieurs articles sur le café, mais je garde ça pour une prochaine fois.)

J'arrive au boulot à 8h22 (en avance donc). Seul mon collègue Aurèle et une des stagiaires en bibliothéconomie sont présents aujourd'hui. C'est le calme absolu. Sans succube collègue pour me distraire, je travaille sans discontinuer. Je termine la réécriture d'un article sur les partis politiques sur le Web qui doit être en ligne demain. Notre vie (institutionnelle du moins) en dépend. Si cet article n'est pas en ligne, nous allons à l'encontre de très graves ennuis, etc., etc.

Et puis, je reprends mon train dans l'autre sens, je passe ma soirée seul à la Maison du Peuple. Je ne parle à personne, si ce n'est aux serveurs pour leur demander à boire. Et puis je rentre chez moi. Tout ceci est terriblement passionnant.