Asch_experiment

Génies hors contexte

Je pourrais écrire que mon train direct pour Liège a été supprimé pendant les vacances scolaires et que, comme d'habitude, ce changement d'horaire m'est complètement sorti de l'esprit le premier jour de son application.
Je pourrais écrire qu'à mon boulot, seul ou presque, je dois terminer en quatrième vitesse la mise en ligne d'analyses d'éducation permanente, sous peine d'excommunication.

Je pourrais écrire que je suis allé voir une série de courts métrages animés de Bill Plympton avec Léandra au ciné-club du Potemkine ce soir.
Je pourrais écrire que Léandra est très heureuse en ce moment car tout se passe bien avec Jonas, son amoureux, qu'elle va rejoindre en Normandie ce mercredi.
Cependant, je n'écrirai rien de tout cela car j'ai décidé de me consacrer aujourd'hui à une seule question, que Léandra et moi avons soulevée à la brasserie Verschueren, une heure après avoir souri devant les curieux dessins animés de Bill Plympton. 

* * *

Pour comprendre la question qui va suivre, il faut tenir compte de trois éléments.
1) À l'intérieur du Verschueren, la "violoniste attitrée" du Parvis de Saint-Gilles est venue jouer à 50 centimètres de notre table. C'est une dame curieuse, qui passe pour une folle mais qui vaut la peine d'être vue et entendue au moins une fois : elle joue du violon de manière légèrement hystérique, en pinçant de temps en temps quelques cordes ou en agitant son archet de manière saccadée. En parallèle, elle chante (ou plutôt crie), soit dans un registre très aigu, soit au contraire dans un registre très grave. Je n'ai jamais compris ce qu'elle chantait. Ça ressemble à "Ognomonokotomononono... Gniiiikitttikimigniiiikitimiki..." (j'ai fait une recherche sur Google mais ça n'a rien donné).

2) Parlant de violon, je mentionne l'expérience musicale, digne d'un test de psychologie sociale et devenue célèbre – l'initiateur, Gene Weingarten du Washington Post, a gagné un Pulitzer pour l'article qu'il en a tiré –, qui a eu lieu le 12 janvier 2007 à Washington, dans la station de métro "L'Enfant Plaza" : Joshua Bell, violoniste virtuose américain, coiffé d'une casquette de baseball, interprète incognito dans la station six morceaux du répertoire classique pendant 43 minutes, sur son Stradivarius vieux de près de trois siècles (le Gibson ex-Huberman de 1713). Conclusion du journal : sur les 1097 personnes qui sont passées devant lui, très peu (sept pour être exact) se sont arrêtées pour l'écouter réellement, une seule dame l'a reconnu (elle lui donné 20 dollars) et, en dehors de ces 20 dollars "de reconnaissance", il a reçu en tout et pour tout 32 dollars et 17 cents. Car oui, comme le notera Weingarten, certains des passants ne lui ont donné que de simples petits pennies...
3) Je parle à Léandra d'Orson Welles et du fait qu'il a été très vite reconnu comme un génie. Rien de plus normal : c'était un enfant extrêmement précoce, du genre à adapter du Shakespeare à l'école élémentaire... Nous avons également brièvement parlé de Mozart : selon un consensus général, Mozart était également un génie... Tout le monde (ou presque) est d'accord, mais pourquoi ? La plupart des gens (moi y compris) tiennent pour acquis le fait que Mozart était un génie non pas à l'écoute de son œuvre mais parce que les spécialistes ont toujours pensé, dit et écrit que Mozart était un génie (et ils ont d'ailleurs sans doute raison, mais ce n'est pas le propos).

* * *

Tous ces éléments se combinent pour donner naissance à la question du jour : est-il possible de reconnaître un génie (ou un virtuose) en dehors de tout contexte ? Question qui découle de la première : comment un public donné décide-t-il qu'une personne est (ou n'est pas) un génie ? 

Revenons à la "violoniste du Parvis", lançant ses sons stridents à l'intérieur du café, sous le regard amusé, moqueur ou interloqué des clients. Déplaçons la dans un autre environnement. Par exemple, disons que c'est la nouvelle violoniste avant-gardiste du moment, qui vient de sortir un album chez le label ultra-indépendant Constellation Records. Rajoutons à cette situation hypothétique quelques critiques dithyrambiques par-ci, par-là, de la part des Inrockuptibles ou d'autres journaux branchouilles. À ce moment, il se trouvera toujours des personnes pour adorer la violoniste... Pourquoi ? Parce que si des critiques disent que c'est bien et que plein d'autres gens qui ont lu les mêmes critiques disent que c'est bien, ben c'est que c'est forcément bien, t'as rien compris à la vie, toâââ ! 

Ce texte n'a ni queue ni tête. Comment vais-je retomber sur mes pattes ? Aucune idée... Et puis, je m'en fous un peu. La thérapie, tout ça...

L'exemple de la violoniste du Parvis est imaginé (elle existe bel et bien mais n'a pas encore rejoint un label musical), mais des exemples bien réels existent. Prenons Queen : presque tout le monde trouve que c'est fantastique, Queen... Même des gens très bien comme Flippo ou FBsr ! Pourtant, Queen, c'est de la merde en barres. J'aurais presque envie de dire que c'est encore pire que U2. Et pourtant je déteste U2. Mais je m'égare...

Joshua Bell, c'est l'exemple inverse : c'est un virtuose du violon (qui le dit ? Bah, les gens !) mais il n'a pas été reconnu comme tel par le public du métro de Washington. Pourtant, il y a fort à parier que si le même public avait écouté le même concert dans une salle consacrée à la musique, en sachant qu'ils écoutaient un virtuose, beaucoup auraient sans doute été chamboulés. Peut-être certains auraient même fondu en larmes devant tant de beauté blablabla.

* * *

Et c'est là que Léandra me dit : "Oui, et alors ? C'est normal !"

Peut-être est-ce normal, mais ça me fiche les jetons. Ça me fiche les jetons de penser que nos comportements, nos goûts, nos pensées, nos perceptions du monde sont forgées par l'idée que se font les autres de ce monde. Si je suis à un repas d'amis composé de 9 personnes et que mes 8 amis soutiennent que Queen est le plus grand artiste de tous les temps, vais-je arriver m'opposer à l'écrasante majorité ?

(Calme-toi, Hamilton, tout doux... Ça va aller, ça va aller...)

C'est la question que s'est posée Solomon Asch dans les années 1950. À cette époque, Freddy Mercury n'était encore qu'un enfant et le monde de la musique était en paix. Mais je m'égare à nouveau...

Dans l'expérience de psychologie comportementale d'Asch, il est demandé à un groupe d'étudiants (de 6 à 8 personnes) de participer à un "test de vision". En fait, il ne s'agit pas du tout de ça : dans le groupe, tous les étudiants sont de mèche avec l'expérimentateur sauf un seul, qui est le véritable "sujet" de l'expérience. Le test est très simple, presque stupide : une "ligne de référence" est présentée. Ensuite, l'expérimentateur pose à chaque membre du groupe une question concernant trois lignes (A, B et C) de longueurs différentes. Chaque membre du groupe doit donner sa réponse de vive voix et le sujet (le seul qui n'est au courant de rien, donc) est toujours le dernier ou l'avant-dernier à donner sa réponse. Exemple de question : "Laquelle de ces lignes est de la même longueur que la ligne de référence ?" :

Normalement, dans le cas ci-dessus, tout le monde devrait donner la réponse "C", c'est votre dernier mot ? Oui c'est mon dernier mot. Cependant, si tous les autres étudiants avant lui donnent une mauvaise réponse, il arrive que le sujet donne aussi la mauvaise réponse, pour rester en conformité avec le reste du groupe. Ainsi, sur 123 participants (uniquement des hommes dans l'expérience initiale), seul environ un quart n'a jamais donné une réponse fausse par conformisme ; les trois autres quarts l'ont fait au moins une fois (dont 5% qui se sont conformés à chaque fois !).

C'est à la fois effrayant et somme toute assez logique. Ça ne veut pas dire que les sujets sont stupides ou ont du caca dans les yeux ; ça montre simplement le poids de la pression sociale. Les mauvaises réponses du sujet peuvent être comprises de différentes manières : par la volonté de faire plaisir, d'être poli, de ne pas créer de dispute, de se faire apprécier des autres, de ne pas se poser en dissident ou même, tout simplement, par l'idée qu'il est plus rationnel, sur un jugement d'ordre purement visuel, de se conformer à un groupe plutôt qu'à sa propre perception (mais c'est une très mauvaise idée de penser une chose pareille, si on me demande mon avis). 

Tout n'est pas perdu cependant : si une seule voix dans le groupe (autre que le sujet) donne la bonne réponse alors que tous les autres en donnent une autre, le sujet saute très souvent sur l'occasion pour répondre correctement (seuls 5 à 10% des sujets se conforment alors encore à la mauvaise réponse). C'est une des preuves que l'expression d'une dissidence, même très minoritaire, dans un groupe dont l'opinion est a priori unifiée peut susciter un rapide ralliement. On pourrait aller encore plus loin et se dire que le ralliement à la dissidence n'est somme toute qu'une forme de conformisme déguisé... Nous nous conformons toujours à un référentiel donné, quoi que nous fassions... 

Pour terminer, comment ne pas penser au film 12 Angry Men de Sydney Lumet (1957), dans lequel douze jurés doivent décider à l'unanimité de la culpabilité d'un homme accusé de parricide (coupable, il est condamné à mort ; innocent, il est acquitté). Onze jurés le considèrent coupable. Un seul (le 8e juré, Mr Davis, joué magistralement par Henry Fonda dans la version de Lumet) a de sérieux doutes. Après de nombreuses argumentations (et reconstitutions !), les douze jurés finissent par voter l'acquittement. 

Voilà, dans toute sa splendeur, le poids de la dissidence, celui qu'un être humain isolé peut avoir sur le monde qui l'entoure..

Mais ceci nous éloigne d'Orson Welles. Ou peut-être pas, tout compte fait.

6ACV11

Le hasard existe-t-il ?

Considérant avec Andrew (rendons à César, etc.) que :
1) 9 personnes sont présentes à la soirée de Noël chez lui,
2) 9 personnes seront présentes à la soirée de Nouvel An chez moi,
3) 9 esprits sont permutés dans l'épisode 6ACV10 de Futurama,
4) certaines personnes sont permutées entre sa soirée et la mienne,

... quel est l'âge du capitaine ?
... comment peut-on encore croire en la contingence ?
Y s'passe quequ'chose, ici ?

Considérant en outre que :
1) je mentionne Orson Welles ICI, ICI ("Rosebud") et (War of the Worlds),
2) Claire discutait hier de "Rosebud" dans Citizen Kane,
3) Walter me parle, ce soir, de "Rosebud" dans Columbo (!),
4) juste après, Igor (le copain de Perrette) conseille Le Procès d'Orson Welles,
5) la tête du même Orson apparaît dans l'épisode 6ACV11 de Futurama,

... quelle est la couleur du cheval ?
... peut-on en déduire que le sieur Hamilton pète un câble ?
Y s'passe quoi, là ?

* * *

Neuf personnes au souper, donc. J'y rencontre (par ordre d'apparition) Andrew (l'hôte), Eugenia (une de ses collègues russes), Léandra, Romain et son compagnon Ramon (c'est Léandra qui a choisi le surnom, je n'y suis pour rien !), Igor (dont j'ai décidé de changer le surnom, l'ancien étant trop péjoratif à mon goût) et sa compagne Perrette (qui, en bonne anthropologue, part au Laos le 3 janvier prochain), et enfin Walter (qui, en bon économiste, part en mission au Congo en janvier prochain, pour le compte de l'ONG Acted).

Comme apéritif, nous avons droit à un magnum de délicieux Champagne, accompagné d'un très bon saucisson bien frais, de fruits secs et de verrines à la crème d'asperge. En entrée, des huitres et une salade. En plat principal, un chapon fourré avec une succulente préparation à base de foie gras. Tous ces plats sont néanmoins assez (trop ?) complexes pour moi : je ne peux pas manger d'huitre (une aversion sévère m'en empêche) ; quant à la volaille, j'ai du mal à en déguster des morceaux tout en la voyant entière, en pleine phase de décortication devant moi (heureusement, c'est Igor qui s'occupe de la découpe pour tout le monde et je ne me retrouve pas avec des morceaux d'os dans mon assiette : j'aurais eu l'air malin si Léandra avait dû m'aider à dépecer une partie de la bestiole, comme si j'étais un petit enfant dégoûté – en fait, je suis un petit enfant dégoûté)... Résultat : quand je vois arriver, en fin de repas, les "cantuccini" et le "panettone" apportés par Léandra, j'intériorise un soupir de soulagement : enfin un truc simple à manger ! 
* * *

Durant la soirée, j'ai noté au fur et à mesure quelques mots-clés sur mon téléphone portable, afin de disposer d'histoires pour mon journal (Léandra me sort d'ailleurs à un moment : "Tu dois la noter, celle-là !"). Alors que je me relis, je me demande ce que je vais bien pouvoir faire de ce bric-à-brac informe : "C'est pas Malte", "Le plaisir des zuitres", "Derrick", "Columbo", "Performances", "Cadeaux", "Blog et psychothérapie", "Poussin", "Noël 2012", "Anus de dinde"... Je peux au moins expliciter certains termes.

- "C'est pas Malte" est un jeu de mots (qui a dit "pourri" ?) lancé par Romain en début de soirée, après qu'on a parlé brièvement de Malte. Certains invités ont même osé continuer la série avec des "Tout ça va mal tourner" et autres jeux de mots de très mauvais aloi.

- "Derrick" : personne (ou presque) ne croit Léandra quand elle annonce que je possède l'intégrale en DVD de la première saison de la série allemande Derrick. Romain : "Non mais sans rire ? C'est vrai ? T'as vraiment l'intégrale de Derrick ?". Oui, oui, c'est même Maïté qui me l'a offerte pour mon anniversaire, trois petits jours avant de me quitter (véridique !). Je n'ai jamais compris (ou n'ai jamais voulu comprendre) la raison de ce cadeau. Peut-être n'y en avait-il pas ? Peut-être n'était-ce qu'une plaisanterie d'une très grande ironie ? Voilà la preuve absolue que le hasard n'existe pas.

- "Columbo" : Walter, sans emploi pour l'instant, n'a pas grand chose à faire de ses journées. Récemment, il a donc regardé, pendant plusieurs jours, tous les épisodes du célèbre inspecteur, toutes époques confondues. 

- "Performances" : Igor croit, a priori à tort, que Léandra se moque de lui. Igor est artiste : il organise des "performances", c'est-à-dire (si j'ai bien compris) des actes théâtraux dans lesquels il se met en scène (paraît qu'il s'est déjà suspendu au plafond). À 2 (deux) reprises, il regarde Léandra droit dans les yeux d'un air mi-sarcastique, mi-courroucé et lui dit quelque chose comme : "Mais allez, vas-y ! Arrête de marmonner, va jusqu'au bout de ce que tu voulais dire !". D'après Andrew, c'est normal : leur relation a toujours été "un peu" tendue.

- "Cadeaux" : plusieurs personnes ont apporté des cadeaux. Léandra, me voyant déposer trois cadeaux en bas du sapin, me lance : 
— Quoi ? Tu as apporté des cadeaux tout compte fait ? T'avais dit que tu n'en amènerais pas !
Haha ! Oui, mais c'était pour que tu n'en apportes pas pour moi !
— Ha ben je n'en ai pas apporté, du coup...
(Haaa, le don et le contre-don...)

D'Andrew (qui a par ailleurs offert un cadeau à tout le monde), je reçois un livre de Kazuo Ishiguro : Nocturnes, Cinq nouvelles de musique au crépuscule (je ne sais pas de quoi il est question mais le titre donne envie) ; de Walter, une double assiette creuse entièrement biodégradable. De mon côté, j'offre à Léandra deux livres dénichés aux librairies Tropismes (Galerie du roi, à Bruxelles) : un calendrier de jurons et un petit livre intitulé Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde d'Étienne Klein (physicien) et Jacques Perry-Salkow (pianiste de jazz et écrivain spécialisé dans les anagrammes – ça tombe bien), où l'on apprend (entre autres) que "Entreprise Monsanto" est l'anagramme de "Poison très rémanent" (woaw !) ; à Walter, une bouteille de Chimay Grande Réserve (Édition limitée 2010) ; à Andrew, une bouteille de Bush de Nuits (concrètement : une bière "Bush de Noël" murie 6 à 9 mois dans "des foudres de bois ayant contenu du Bourgogne de Nuits-Saint-Georges", puis refermentée en bouteille dans une chambre chaude – qui a dit que brasser de la bière était un exercice facile ?).

- "Blog et psychothérapie" : Romain parle de blogs. Actuellement, il n'écrit plus car il ne trouve pas le concept original qui lui permettrait de se lancer. Romain est (semble-t-il) comme Léandra : ce sont de vieux blogueurs, des vétérans qui refusent d'écrire sans avoir une idée précise quant à la forme que leur blog doit prendre, sans disposer d'une "charte éditoriale" bien établie. Il parle également de la tenue d'un blog comme d'une forme de psychothérapie. Je ne peux que lui donner raison. En tout cas, je considère mon propre journal comme une psychothérapie à part entière : j'écris tout ce qui me passe la tête, tout en essayant de structurer un minimum l'ensemble. Le but a été, est et sera toujours personnel : essayer de mieux me comprendre, même si le fait de savoir que je suis lu rajoute un certain piquant à l'expérience.

- "Noël 2012" : à table, Léandra imagine le prochain Noël : en décembre 2012, elle est toujours avec Jonas ; Walter s'est trouvé la personne de sa vie au Congo ; Andrew sort avec une Slave rencontrée via son travail d'agent secret à la solde de l'Occident ; Emily sort avec Lyric (m'enfin !) ; et moi aussi je suis avec quelqu'un (mouhahaha !). À un moment, nous avons émis l'hypothèse que la probabilité d'un seul suicide dans le courant de l'année prochaine était plus forte que cette situation "Tout le monde en couple" imaginée par Léandra. C'est toujours d'un joyeux, les discussions de la "dream team" sur l'avenir de la "dream team" !

- "Anus de dinde" : Romain provoque au bas mot 50% des rires de la soirée. Parmi les histoires amusantes qu'il a racontées, celle-ci : un jour, alors qu'il était en train de manger une dinde (ou un poulet ?), il tombe sur un morceau différent du reste, beaucoup plus sombre. Il le met en bouche et le trouve totalement répugnant, mais en même temps il a peur de passer pour un impoli en le recrachant. Il s'avérera qu'il a tout de même bien fait de le recracher car il s'apprêtait à manger l'anus de la volaille sans le savoir. D'après Andrew, certains raffolent de cette partie, au point de se la réserver ! Miam, miam, miam, it's delicious !

Il est passé une heure du matin lorsque Léandra et moi décidons de rentrer chez nous en taxi. Eugenia nous accompagne, car elle habite à quelques rues de chez moi. Comme souvent, je ne peux m'empêcher de faire la conversation avec le taximan, de parler de tout et de rien (la circulation, tout ça...). Je suis néanmoins très loin d'Andrew, qui arrive à discuter de sujets hautement philosophiques (l'athéisme, tout ça...) à des heures impossibles avec "ses" taximen.

Demain, je dois me lever vers 6h32. Je sens que ça ne va pas être facile.

Rosebud

Le présent article inaugure (ou presque) la mise en place d'un cycle "Orson Welles". Il semblerait en effet, comme le découvrira le lecteur attentif dans le futur, que tous les éléments de ma vie actuelle tendent vers le même objectif : me documenter sur Orson Welles. C'est comme ça...
* * *
Je me lève vers midi et tout ça pour quoi ? Pour voir sur la table du salon des "Apéricubes" (argh !), des petits morceaux de fromage de chèvre (nooon !), du saucisson et un "Picon vin blanc" (mmmh...). Pas de doute : ma mère a osé (c'est le mot) préparer un "petit" dîner pour le jour de Noël, après l'énorme repas d'hier soir chez mon cousin. Il va donc falloir que je me remette à manger : le cauchemar continue ! 
Quel rapport avec Orson Welles ?
Oh, je ne sais pas très bien.
Je suis un peu confus pour le moment. 
J'écris des salades sur tout et sur rien, histoire de combler les interstices.

* * *

Le soir, tout le monde a droit à une pause car ma mère n'a préparé aucun plat. C'est incroyable : elle est même un peu choquée quand je lui demande ce qu'il y a à manger ! Comme souper, je me contenterai donc d'une crème glacée au Grand Marnier préparée par ma grand-mère, accompagnée d'un café revigorant. Ma "bobonne" habite au rez-de-chaussée de la maison familiale, juste en dessous de chez mes parents. Quand ma grand-mère me voit descendre avec un ordinateur portable, elle me pose l'éternelle question : "Tu es constamment obligé de te balader partout avec ce bête machin en main ?". 
Aujourd'hui, j'ai une excuse : je discute avec Claire sur Facebook. Elle vient de voir Citizen Kane et sait enfin à quoi correspond le mystérieux terme "Rosebud", le dernier mot de Charles Foster Kane sur son lit de mort... Elle me parle aussi du Procès, autre film de Welles, adaptation du célèbre roman de Kafka. J'ai furieusement envie de (re)voir ces deux films.

* * *

Je n'ai pas grand chose d'autre à raconter si ce n'est que le soir, je joue avec Gaëlle aux "Fischertechnik". Toujours le même constat : ma fille n'a pas l'âme d'une technicienne, ni d'une ingénieure (malgré ses ridicules 100% en mathématiques). Elle préfère créer des machines imaginaires qui ne tiennent pas un seul instant debout : ça sert à quoi de placer un seul engrenage sur un axe de rotation ? Hein ? Hé bien ça ne sert à rien, si ce n'est à faire joli. Pauvres Fischertechnik... Et dire que l'on pourrait presque créer un cyclotron avec cette gamme de jouets.

Mais quel rapport avec Orson Welles ?
Aucun, j'en ai bien peur.
Quoique...

Un roi sans couronne

– Regarde Gaëlle, c'est le discours du roi, à la télévision !
– Mais j'en ai rien à faire, moi, Papa, du discours du roi !
(Remarque, moi non plus...)
– Et puis, continue ma fille sur sa lancée, pourquoi il n'a pas de couronne, si c'est un roi ?
(C'est vrai ça ! Pourquoi n'a-t-il pas de couronne ?)

* * *

Le soir, mes parents, ma fille et moi sommes invités à passer le réveillon de Noël chez mon cousin Fridric et sa femme Aude. Sont présents les deux enfants d'Aude ainsi que le petit dernier, Roberto. Sont présents également : ma bobonne (ma vieille grand-mère qui, du haut de ses 85 ans, a de plus en plus de mal à entendre ce qu'on lui dit et à se déplacer) ; mon cousin Fab (le frère de Fridric) et sa femme Bridget ; les parents d'Aude ; les parents de Fridric. En tout, ça fait seize personnes.

La chienne de la maisonnée a l'air malade. Elle pue, elle bave et regarde les invités bizarrement. Elle est enceinte. Lors de la dernière portée en date, elle a dévoré un de ses jeunes (miam !). Ma mère se méfie et ne veut pas que Gaëlle s'en approche.

Le repas est gargantuesque. En apéritif, nous avons droit à des dizaines de plats qui viennent et repartent dans tous les sens : des toasts, des ailes de poulet, des lardons farcis, des olives, de l'ail mariné, du fromage de Grimbergen, des chips, des verrines... Ensuite, nous mangeons une entrée froide (une terrine), puis une soupe aux chicons (préparée par ma maman), puis une seconde entrée, chaude cette fois-ci (une lasagne de saumon, avec de la pâte fraîche, faite "maison" par ma tantine et son mari Tino), puis le plat principal (de la volaille, des croquettes et de la salade), puis le dessert (des choux glacés préparés par mon père). Je bois et mange beaucoup, comme d'habitude lors d'un repas de Noël.

Durant la soirée, Fridric, qui est instituteur depuis presque vingt ans, nous parle des gamins à qui il donne cours : leur niveau baisse de manière catastrophique : ils sont pour la plupart incapables de se concentrer plus d'un quart d'heure et ne s'intéressent pas à grand chose. Quant aux nouveaux instituteurs, ils sont d'après lui en moyenne moins cultivés et moins formés qu'auparavant : "Comment intéresser une classe si on ne sait même pas soi-même de quoi l'on parle ?".

Mon père a apporté ses vieilles diapositives et l'appareil qui permet de les projeter. Mon papa est (entre autres) photographe de formation et a pendant une bonne dizaine d'années (de 1975 à 1988 environ) réalisé plusieurs centaines de diapositives de sa jeunesse et de mon enfance. En fin de soirée, il les projette sur un mur blanc. Avec le temps, les images font très vintage : photos de virées dans les "dancings" ; voyage en Irlande ; photos de ma mère jeune (une vingtaine d'années) en train de poser devant l'appareil, avec ses cheveux teints en roux, son visage très froid et boudeur ; voyage à Paris ; voyage en Italie ; photos de famille...
Ce n'est vraiment plus le même monde qui s'affiche sur le mur blanc : on y voit la vieille maison familiale perdue dans la campagne (alors qu'aujourd'hui ladite bâtisse est entourée de nouvelles constructions cubiques toutes aussi laides les unes que les autres), mes (alors jeunes) cousins qui font du vélos en plein milieu de la route déserte pas loin de la maison, les vêtements démodés du début des années 80, les fameuses couvertures à carreaux, le vieux tourne-disque, les vieilles bagnoles (dont une Lada et une Simca 1000 !).
Dans tout ce vrac, il y a également des centaines de photos de moi, de la naissance à l'âge de 7-8 ans. Une des diapositives me montre, âgé de 2 ans et demi, assis seul dans un grand transat, sur la plage de Sperlonga en Italie, parce que je "refusais catégoriquement de toucher le moindre centimètre de sable" (je ne m'en souviens plus, évidemment, mais ça ne m'étonne qu'à moitié) ; une autre me montre en train de poser, plus vieux, la mine très sérieuse, les yeux cachés par de ridicules lunettes noires, mimant un jeu de guitare sur une raquette de tennis en plastique. Paraît que j'étais fan de Michel Polnareff à l'époque. En tout cas, faudra absolument que je les numérise, ces diapositives-là !

Il est presque deux heures du matin. Gaëlle est très fatiguée et s'énerve pour un rien. Pas question de jouer à la belote ce soir. Nous retournons donc chez mes parents en voiture et, pour gagner du temps, nous racontons une histoire à ma fille sur la route du retour. Je joue le rôle du Schtroumpf à lunettes et ma mère celui du Grand Schtroumpf (qu'elle imite très bien). J'imagine une histoire où le Schtroumpf à lunettes découvre un second village schtroumpf qui n'est peuplé que de Schtroumpfs à lunettes. C'est l'horreur totale quand le Schtroumpf à lunettes, premier du nom, se rend compte qu'il existe des Schtroumpfs encore plus moralistes que lui. C'est une histoire débile mais ça nous fait rire.

De retour à la maison, j'ai trop bu et n'arrive pas à dormir, évidemment. Alors, pour passer le temps, j'écris ma journée de jeudi de manière assez virulente, l'alcool aidant. Non, je ne regrette rien...

(Futura)ma(thématique)

Raconter ma journée de vendredi ne me demandera pas beaucoup de temps.
À Bruxelles, je prends le train pour Namur un peu plus tôt que d'habitude, en trimbalant ma grosse valise remplie de vêtements. Le train n'a aucun retard. L'objectif de l'après-midi : acheter quelques cadeaux dans cette ville maudite avant d'aller chercher ma fille à l'école, puis revenir avec elle chez mes parents pour le week-end de Noël.

Je passe par le magasin de jouets situé dans la rue Saint-Jacques (celui qui vend de beaux jeux d'échecs et des globes terrestres), afin d'acheter un jeu de société pour ma fille. Je choisis Mille et un trésors, dont le but est de collecter le maximum de trésors dans une caverne avant l'arrivée des quarante voleurs. Je voulais également passer chez Nicolas (le marchand de vins), afin d'acheter une bouteille d'alcool pour mon père et une autre pour mon cousin Fridric, chez qui nous sommes invités demain. Pas de chance : le Nicolas de la rue de l'Ange est bel et bien fermé. Je prends donc des pralines et des truffes chez Neuhaus à la place des bouteilles. Pour ma grand-mère et ma maman, j'achète respectivement des savons et trois huiles culinaires chez Oliviers & Co. 

Le précédent paragraphe n'a aucun intérêt, si ce n'est celui de servir de mémoire à long terme.


Chez mes parents, Gaëlle veut absolument ouvrir son cadeau avant la Noël. Peu importe : mes parents ont prévu le coup et ont encore deux cadeaux à mettre sous le sapin, au compte-gouttes. Et la tradition de Noël alors, qui veut qu'on n'ouvre pas ses cadeaux avant la nuit du 25 décembre ? Hem... Dans ma famille, on n'a jamais trop aimé les traditions (voilà qui résout le problème !).

Je joue avec Gaëlle aux Mille et un trésors. Je me rends compte, une nouvelle fois, que ma fille n'aime pas respecter les règles d'un jeu. Tout l'inverse de moi quand j'avais son âge. En effet, quand j'étais petit, je respectais scrupuleusement chaque règle et piquait une crise au moindre soupçon de tricherie ou de contournement que je considérais comme frauduleux : fallait jouer à la loyale, sinon la victoire était factice. Somme tout, ça n'a pas beaucoup changé aujourd'hui : je dirais même que ça a vachement empiré. Gaëlle, elle, s'en fout complètement : tout ce qu'elle veut, c'est créer son propre univers à partir des pièces du jeu. Elle invente donc une histoire où il est question de se frayer un chemin au sein de la caverne (mais ce n'est pas dans les règles). 

En outre, elle déteste perdre. Quand elle perd, elle ne veut plus jouer. J'essaie de lui expliquer que pour augmenter son expérience, il faut qu'elle perde, que c'est un passage obligé, que ça fait partie de l'apprentissage... En vain, jusqu'à présent.

* * *

Gaëlle couchée, je replonge dans le dessin animé Futurama. Vu aujourd'hui : "The Prisoner of Benda" (10e épisode de la 6e saison), un épisode de grand malade car il repose sur un véritable théorème qui a été démontré par Ken Keller, docteur en mathématiques et auteur du présent épisode. La démonstration est désormais également connue sous le nom de "Théorème de Futurama" (voir ICI, "Le théorème de Ken Keller" ou encore , "The Futurama Theorem and Puzzle"). 

Vers la fin de l'épisode, la démonstration est rédigée par deux Harlem Globetrotters (parmi les meilleurs mathématiciens de l'Univers, hé oui !), en tout petit mais au complet (!), sur un tableau virtuel du professeur Fansworth. Et elle tient la route ! Cette série est une véritable série pour geeks, au sens premier du terme.

Le scénario est le suivant : le professeur Fansworth invente une machine qui permet de permuter les esprits de deux corps (humains ou robots). Il effectue une première permutation avec Amy Wong : son esprit se retrouve donc dans le corps de la jeune femme et réciproquement. Par contre, il est impossible de faire l'opération en sens inverse avec la même paire de corps. Le professeur pense donc, sans trop réfléchir, qu'il suffirait d'utiliser une troisième personne (soit d'injecter un seul nouvel élément dans le système) pour revenir à la situation initiale après quelques manipulations de paire, mais ça ne fonctionne pas. Après de nombreuses péripéties, neuf personnages de la série sont ainsi mélangés et c'est un véritable calvaire pour revenir à la normale.

Cependant, les deux basketteurs-mathématiciens (!) démontreront que, quels que soient le nombre d'esprits qui ont été permutés et le nombre de permutations, il est possible pour chaque esprit de revenir à son corps d'origine en ajoutant au plus deux nouveaux individus dans le système. 

C'est vachement mieux expliqué dans les deux liens susmentionnés. Du coup, je ne sais même pas pourquoi je traite aussi longuement de ce théorème dans ce journal. 

La fatigue peut-être ? 
Ou bien l'admiration ?

"Est-ce de la schizophrénie ?"

Hamilton ! Nous sommes dimanche 25 décembre 2011, il est 2h27 du matin, et tu dois continuer à écrire ! Ça commence à faire beaucoup de retard et tu dois quand même raconter ta journée de jeudi, comme toutes les autres... Tu ne peux rater aucun jour. C'est comme ça... Hé oui !
Puisque "c'est comme ça", tu vas le faire "à l'arrache", sans te relire, en écrivant ce qui te passe par la tête. À l'arrache ? Mon cul, ouais ! T'as quand même passé quelques secondes à chercher ce putain de "C" majuscule cédille dans une table de caractères, pour placer un "Ça" dans le paragraphe précédent. Voilà le problème avec toi : tu n'arrives pas à être spontané, à te lâcher, même quand tu es légèrement (voire assez [voire complètement]) saoul. 
Bordel.
(Tu le mets en italique parce que tu trouves ça bien.)
(Grrrr...)

* * *

Donc voilà : ce jeudi, c'est un jour de grève générale et tu ne peux pas te rendre au boulot, faute de transport. Tu n'essaies même pas, pour tout dire. De toute façon, les locaux sont fermés. Et puis, tu considères qu'ils ont bien raison de faire grève, dans les services publics... Et tu serais bien content si quelqu'un pouvait t'expliquer comment retrouver la moindre parcelle de socialisme dans le cerveau du premier ministre belge actuellement en fonction, pourtant estampillé... "socialiste". Tu es (et resteras) persuadé que personne ne pourra te l'expliquer, tant le gaillard et de nombreux membres du PS renient tout ce qui fait le socialisme à tes yeux. Ça te fait beaucoup de peine car tu te considères comme fondamentalement de gauche (mouvance libertaire, faut-il le préciser ?).
Bande de traîtres ! Pourquoi êtes-vous au sein de la majorité gouvernementale, à mettre en place des réformes d'austérité d'essence néolibérale ? Pourquoi n'êtes-vous pas dans la rue ou au Parlement (dans l'opposition) à défendre la démocratie contre les agences de notation et contre les oligarchies financières ? 
Tu as déjà une réponse à ces questions et elle ne te fait pas plaisir.
Passons. C'est une bonne occasion pour ressortir le petit discours, que tu aimes beaucoup, du syndicaliste italien Piero Bernocchi, prononcé au Forum social européen de Paris en novembre 2003 : c'est ICI et ça se passe de commentaire. Ha, que ça fait du bien. Merci, cher Piero !
Et toi Hamilton, qu'est-ce que tu fais pour que ça change, hein ? Rien. Tu observes ton monde devenir la dystopie inhumaine que tu as lue dans tant de bouquins. Allez, tous à Zanzibar, chacun pour soi, prends ton assurance privée, bébé, c'est le futur, t'as pas le choix de toute façon ! Sois sage et t'auras ton smartphone, héhé...

* * *

Léandra te propose d'aller déjeuner à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (quoi, encore ?) et tu acceptes. Léandra doit travailler. Ça tombe bien car toi aussi, tu dois un peu travailler. Vous mangez là-bas, vous parlez un peu, vous bossez à la même table en début d'après-midi, puis Léandra s'en va. Tu t'en vas aussi. Elle retourne chez elle et tu vas t'installer avec ton (ou plutôt "son") petit PC au Potemkine.

Fin d'après-midi, le public du bar change et des violonistes emplissent la salle. Une classe d'académie (ou de conservatoire, tu ne sais plus) a décidé de passer ses examens (ou ses auditions, tu ne sais plus) dans ce café. Une classe uniquement féminine. 

Tu trouves que certaines jouent bien et que d'autres jouent comme leurs pieds. Tu as vraiment l'impression que quelques unes remplissent la salle de fausses notes, mais en néophyte tu n'as aucune possibilité de savoir si c'est fait exprès ou pas. Pauvre de toi !

Emily te rejoint en soirée et vous montez à l'étage (dans "les coursives"), pour pouvoir discuter. Vous êtes rejoints un peu plus tard par Léandra et Andrew. Un monsieur qui lit son journal au bar, en contrebas, vous regarde d'un air méchant de temps en temps, mais peu importe.


Andrew et Léandra ont prévu d'aller manger un couscous. Emily et toi vous rendez au marché de Noël du Centre-ville. Le temps de vous garer, pas loin de la cathédrale Saints-Michel et Gudule et il est déjà presque neuf heures du soir. Vous buvez un vin chaud près de la Bourse, puis vous vous rendez compte que... le marché de Noël est en train de fermer... Résultat : vous vous retrouvez à manger un... hamburger... chez... McDonald's. Pour la leçon anti-capitaliste, tu repasseras, merci, au revoir.
De retour à Saint-Gilles, vous retrouvez Léandra et Andrew à la Maison du Peuple pour un dernier verre. Andrew prend une Chouffe, Emily une menthe à l'eau et Léandra ne prend rien du tout. Quant à toi, tu ne peux pas t'empêcher de commander un demi-litre de bière. Bravo ! C'est Noël !

Eyskens-Van Quick, même combat ?

Aujourd'hui, je décide d'arriver tôt (comprendre : à l'heure) à mon travail. Je me lève à 6h16 afin de ne pas rater le train de 6h57 en direction de Liège-Guillemins. Arrivé en gare de Bruxelles-Midi, je constate que le train n'a aucun retard : jusque là, rien de drôle ! Cependant, alors que je suis à Bruxelles-Nord, Fred m'envoie un message d'avertissement, pour me signaler que le chemin de fer wallon est totalement immobilisé à cause d'un arrêt de travail généralisé. Je lui réponds que "mais non, voyons, le train pour Liège roule sans problème".

Le début du trajet se déroule sans encombre. Le train sort de Bruxelles et file à toute allure à travers les villes et villages flamands, jusqu'à Leuven. Cette histoire de train à l'heure, sans incident, sans ralentissement, c'était trop beau pour être vrai. À Leuven, le contrôleur nous apprend que le train n'ira pas plus loin, à cause d'un mouvement de grève à Liège et un peu partout ailleurs en Wallonie. Je descends donc du train et rencontre Flippo sur les quais. Plus aucun train ne roule jusqu'à la Cité ardente et nous décidons donc de faire demi-tour pour rentrer à Bruxelles.

Nous prenons un train pas direct du tout en direction de la capitale, celui qui longe la ligne 53 Leuven-Mechelen, avant de bifurquer sur la ligne 25 pour revenir à Bruxelles. Tout cela prend des plombes. Ma vie est terriblement passionnante. Durant le trajet, Flippo téléphone à une série de collègues pour les prévenir qu'il ne pourra pas être là aujourd'hui. De mon côté, je préviens ma collègue Rolande qui, ayant écouté les informations à la radio, se doutait bien que je ne pourrais pas venir.

Je retourne donc chez moi et travaille à domicile. Dans l'absolu, ça ne change strictement rien, dans la mesure où je n'ai nullement besoin d'être au boulot pour faire ce que j'ai à faire pour l'instant (à savoir écrire un article et travailler sur un site Web) et où je suis de fait plus productif chez moi qu'à mon bureau. Un paradoxe : comme je travaille dans un institut d'histoire du mouvement ouvrier, je suis plus "utile" à la gauche en travaillant qu'en faisant grève... À cela, ma collègue Wynka répondrait sans doute : "Ouais, c'est ce qu'on veut te faire croire !" (En fait, je suis un suppôt du Grand Capital.)

* * *

Cette grève "sauvage" des cheminots a apporté de l'eau au moulin de tous ceux qui critiquent les syndicats et le droit de grève : "En période de Noël, quelle honte !", "Une bande de paresseux : ils allongent leur week-end pendant que d'autres triment au travail", "Aucune solidarité par rapport à ceux qui bossent", peut-on lire sur sur les médias sociaux ou les forums de presse.

Curieux commentaires car, à voir le contenu de la réforme contre laquelle les syndicats s'insurgent, il est presque incroyable que la réaction n'ait pas été encore plus vive, tant ladite réforme a été pensée sans presque aucune concertation avec les partenaires sociaux et change entièrement la donne en matière de pension et de prépension dans le service public (en résumé : il faudra travailler beaucoup plus pour recevoir la même chose)...

Il est toujours intéressant de prendre un peu de recul par rapport aux événements... Cette situation de malaise social en période de fêtes rappelle un autre conflit historique, vieux de plus de cinquante ans : la grande grève générale de 1960-61 en Belgique. Le contexte : le pays vient de perdre le Congo, la dette publique est élevée et le Gouvernement Eyskens IV, en fonction depuis le 3 septembre 1960 et composé de sociaux-chrétiens et de libéraux, décide de mettre en place un plan d'austérité connu sous le nom de "Loi unique", plan qui sera débattu au Parlement à partir du 20 décembre 1960. À l'époque cependant, le premier ministre n'était pas estampillé "socialiste".
En 1960-61, les mouvements de grèves sont spontanés et échappent en partie à l'organisation syndicale ; le Nord part en grève assez rapidement (les dockers à Anvers, notamment), mais c'est surtout en Wallonie que le mouvement perdurera ; les syndicats, d'abord dépassés par leur base, sont obligés d'accepter le mouvement de gronde ; les cheminots sont très virulents ; la grève devient rapidement générale en Wallonie et bloque toute la région pendant de nombreuses semaines ; la gare de Liège-Guillemins est saccagée... À terme, la Loi unique sera votée mais le gouvernement Eyskens, épuisé par ces grèves massives, finira par tomber le 25 avril 1961. Mon collègue Aurèle en parlerait sans doute de manière moins caricaturale que moi : il a travaillé au moins six mois sur le sujet.
Un message que je passerais bien à tous les râleurs anti-syndicalistes de 2011-2012 : "Préparez-vous à râler pendant un petit temps encore car ça ne va sans doute pas aller en s'améliorant."

* * *

En soirée, Emily, Walter et moi allons manger à la Porteuse d'Eau à Saint-Gilles. Walter est bien décidé à partir pendant six mois au Congo pour le compte de l'ONG Acted. Il semble assommé par les six vaccins qu'il a reçus aujourd'hui et ramène constamment la conversation aux quelques thématiques qui l'intéressent. Emily, quant à elle, s'est coincé l'épaule gauche. Emily mange un chicon au gratin, Walter un demi-poulet et moi un américain "maison". Nous buvons un dernier verre au Potemkine puis rentrons tranquillement chez nous (Emily me reconduit, comme d'habitude).

Journée de routine

Je n'ai pas grand chose à raconter aujourd'hui : pas de problème de train (ou si peu), un travail routinier et aucune sortie le soir. Je vais donc décrire cette morne journée point par point, sans beaucoup de passion.

Le matin, je travaille à la réécriture d'un article tellement mauvais que ça en devient risible : l'auteur l'a écrit en triple vitesse et ça se sent. J'y apprends entre autres que le cdH (Centre démocrate humaniste, ancien Parti social-chrétien) est un parti "socialiste-chrétien" [sic] (le pauvre Jean Jaurès doit se retourner dans sa tombe) et qu'Ecolo est un parti mutant hybride (car il passe petit à petit du statut de parti dit "militant" vers un structure de type "cartel"). L'auteur tire cette distinction d'un vieux livre de Maurice Duverger, un juriste d'extrême droite (il a été proche de Doriot puis du gouvernement de Vichy durant la Seconde Guerre mondiale) avant de devenir... résistant à la fin de la guerre. Un opportuniste ? Mais comment peut-on penser une chose pareille, voyons ?
Sans déconner, qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de cet article ?

À midi, ma collègue Sylvette explique que cette année, elle participera à un réveillon pour célibataires à Liège. Durant ce genre de soirée, les participants portent des bracelets de couleurs différentes selon leur "statut" : un bracelet bleu pour ceux qui sont en couple, un bracelet rouge pour "Je suis célibataire et disponible" et un bracelet gris pour "Je suis célibataire mais ne me fais pas chier, sale pervers(e) !" (je résume un tout petit peu). Le concept a de la gueule et mériterait d'être développé. Du genre : un bracelet lapis-lazuli pour "C'est compliqué", un bracelet vermeille pour "Je recherche une femme de 36 ans, aux cheveux roux et fan de Dos Passos", un bracelet magenta pour "Je reprendrais bien un petit dessert, pas toi ?", etc.

L'après-midi, nous rangeons des caisses d'archives dans l'un de nos dépôts. Il fait 10° Celsius. Grâce à l'activité physique qui consiste à déplacer de vieilles caisses à bananes contenant 25 kg de bouquins, nous n'avons pas froid. Par contre, dès que le travail devient plus "intellectuel" (du style : continuer un inventaire), il commence à faire sacrément caillant.

Le soir, le calme plat. Je ne bouge pas de chez moi et passe ma soirée à ne pas faire grand chose, si ce n'est me reposer en écoutant de la musique et en regardant Futurama. C'est... passionnant.

Décryptage de chanson n° 1 : Pinback, "Boo", les métaphores maritimes et la Guerre des Mondes

Plutôt que d'écrire toujours les mêmes conneries sur l'Orval et la Maison du Peuple (j'aurais pu de nouveau en parler aujourd'hui vu que j'y étais, en compagnie d'Emily et de Mary – j'étais par ailleurs d'une humeur massacrante, mais passons...), je me suis dit que j'allais débuter une série intitulée "Décryptage de chanson", dans laquelle je ferais part périodiquement de mes (pseudo-)découvertes en matière de mélodies obsédantes.

Explications : rarement, très rarement même, je suis obsédé (ha ?) par une (et une seule) chanson. Il peut s'agir d'un air qui vient de sortir comme, au contraire, d'un "machin" vieux de quarante ans. Je l'écoute une fois et c'est le coup de foudre immédiat. Je ne peux plus m'en dépêtrer : je l'écoute, je l'écoute encore, je l'écoute sans cesse, jusqu'à l'indigestion, jusqu'au moment où j'ai intégré la ligne de basse tout au fond à droite, la sous-mélodie en bas à gauche ; jusqu'au moment où la chanson, tristement, a perdu tout son mystère. Cela peut durer des semaines, des mois, voire des années, avant que je ne passe à autre chose. C'est mon côté légèrement obsessionnel.

Pour le moment, depuis quelques semaines, je me suis replongé dans les albums (et EP) de Pinback et me suis rendu compte avec une certaine surprise que j'ai tout de même vachement sous-estimé ce groupe de rock. Je ne connaissais que les deux derniers albums en date (Summer in Abaddon [2004] et Autumn of the Seraphs [2007]) et étais passé à côté des deux premiers (This is a Pinback CD [1999] et Blue Screen Life [2001]). Les deux derniers constituent d'intelligentes plongées dans le math rock (la référence à Slint est omniprésente*), alors que les deux premiers sont plus contemplatifs, parfois presque aussi mélancoliques qu'un album de Grandaddy...

Sur Blue Screen Life, je suis tombé sur "Boo".

Pinback - Blue Screen Life - 03 - Boo by Pinback on Grooveshark


Ce qui m'a marqué de prime abord dans cette chanson, c'est l'utilisation d'un court extrait de l'adaptation radiophonique, par Orson Welles en 1938, de The War of the Worlds de H.G. Wells, cette fameuse adaptation qui a provoqué une panique auprès de certains auditeurs américains, qui auraient pris l'émission en cours de route et au pied de la lettre, croyant réellement au débarquement des Martiens sur la Terre (il semblerait néanmoins aujourd'hui que la panique ait été surestimée par les médias). Une version audio de l'émission se trouve ICI, à la date du 30 octobre 1938 ; une retranscription écrite

La chanson débute par ces mots :

As I set down these notes on paper, I'm obsessed by the thought that I may be the last living man on Earth. (...) 2X2L calling CQ. 2X2L calling CQ. 2X2L calling CQ, New York. Isn't there anyone on the air? Isn't there anyone on the air? Isn't there anyone?

(Traduction – très littérale, hem) Alors que je couche ces notes sur le papier, je suis obsédé par la pensée que je puisse être le dernier homme vivant sur Terre. (...) 2X2L appelle CQ. 2X2L appelle CQ. 2X2L appelle CQ New York. N'y a-t-il personne à l'antenne ? N'y a-t-il personne à l'antenne ? N'y a-t-il personne ?

Ces quelques phrases sont, dans l'épisode radiophonique, déclamées par deux narrateurs différents : d'abord le professeur Richard Pierson, un astronome joué par Welles, retranché dans une petite maison située pas loin deGrover's Mill, qui raconte heure après heure le débarquement martien vu de (pas très) loin ; ensuite un quelconque opérateur de radio qui lance un appel désespéré pour capter un signal humain ("2X2L calling CQ...").

Dans la version originale, Pierson continue son long monologue et se pose des questions existentielles qui rappellent la question du bruit de l'arbre qui tombe dans le forêt si personne n'est là pour l'entendre :

My wife, my colleagues, my students, my books, my observatory, my, my world – where are they? Did they ever exist? Am I Richard Pierson? What day is it? Do days exist without calendars? Does time pass when there are no human hands left to wind the clocks?

Mon épouse, mes collègues, mes étudiants, mes livres, mon observatoire, mon... mon monde... Où sont-ils ? Ont-ils jamais existé ? Suis-je Richard Pierson ? Quel jour sommes-nous ? Les jours existent-ils sans calendrier ? Le temps passe-t-il si plus aucune main humaine n'est là pour remonter les horloges ?

Le titre de la chanson de Pinback, "Boo", est directement tiré de la même émission radiophonique, lorsque Welles, après une petite heure de mise en scène, en explicite le contenu, qui n'était autre que "the Mercury Theatre's own radio version of dressing up in a sheet and jumping out of a bush and saying Boo!" (la version radiophonique de l'acte qui consiste à se vêtir d'un drap, sortir d'un buisson et dire "Bouh !").

La chanson "Boo" n'a qu'un rapport ténu avec la Guerre des Mondes. Ici, il est plutôt question, en première lecture, d'un homme piégé dans un sous-marin qui coule. L'extrait radiophonique est sans doute simplement utilisé pour créer une atmosphère de crainte, de claustrophobie et de solitude. Peut-être aussi pour exprimer une certaine résignation par rapport à la situation.

La chanson continue alors sur ses propres roues et les paroles reprennent l'histoire, à la première personne, d'un pauvre marin esseulé, avec un rappel de la question de Pierson sur le temps qui passe :

Inside this leaking submarine, the hull is closing in, the water is above my ankles and I still can't get you off of my...  I don't think that we can pull this one off... We shall see, time will tell. What is time?  And why does it taste like salt water inside of my mouth?

Dans ce sous-marin qui prend l'eau, la coque se rapproche, l'eau est au-dessus de mes chevilles et je ne peux toujours pas te chasser de mon [phrase inachevée]... Je ne pense pas que nous pourrons nous en échapper.... Nous verrons, le temps nous le dira. Qu'est-ce que le temps ? Et pourquoi ai-je ce goût d'eau salée à l'intérieur de ma bouche ? 

Il y a deux manières d'interpréter ces paroles : 

1) premier niveau : le narrateur est dans un sous-marin, l'eau monte (d'abord jusqu'à ses chevilles, puis jusqu'à sa tête) et les murs sont en train de l'écraser. Peut-être ne termine-t-il pas une de ses phrases ("I still can't get you off of my...") car l'eau lui arrive à la bouche ? En bref : il risque de mourir noyé ou compressé. Cependant, ce qui occupe son esprit n'est pas sa mort prochaine mais bien une personne, à laquelle il ne peut s'empêcher de penser. A priori, ça ressemble à une déclaration d'amour éternel.

2) second niveau : le sous-marin est la métaphore d'une relation qui prend l'eau. Le narrateur ne peut s'empêcher de penser constamment à l'être aimé mais se rend parfaitement compte que la relation est vouée à l'échec (il voit l'eau monter à vue d'œil, mais se sent impuissant ; il a un drôle de goût dans la bouche...). Cette façon de voir les choses explique à merveille la phrase : "Nous verrons, le temps nous le dira". Dans cette optique, le narrateur enterre les problèmes, il les remet à plus tard. En bref : il noie le poisson (encore une métaphore maritime). 

Le refrain...

Some day, I will sail again to a distant shore far away...
Un jour, je naviguerai à nouveau vers un lointain rivage...

... peut être lui aussi compris de plusieurs façons : 1) alors qu'il est en train de sombrer, il rêve qu'un jour, il atteindra à nouveau la terre ferme ; 2) un jour, tout ira de nouveau bien avec l'être aimé ; 3) un jour, il refera sa vie avec quelqu'un d'autre.

Dans la suite de la chanson, d'autres questionnements :

If the line snaps and there's no air, will you hold me?
If I'm asleep, will you wake me?
If this rises and we hit the waves, will you dive back down?

Si la ligne se brise et qu'il n'y a plus d'air, est-ce que tu me tiendras ?
Si je suis endormi, est-ce que tu me réveilleras ?
Si ça remonte à la surface et touche les vagues, est-ce que tu replongeras ?

Encore une histoire de sous-marin qui pourrait remonter... Prises métaphoriquement, ces paroles précisent qu'il s'agit d'une relation amoureuse qui se passe mal. Les questions que le narrateur pose inlassablement, de manière détournée, sont les suivantes : "Si tout va mal dans notre couple, me quitteras-tu à la moindre occasion ?" et "Si ça va mieux, vas-tu replonger ?". On a presque l'impression qu'il en veut à sa moitié d'être dépressive, autrement dit de toujours vouloir "replonger".

Something's tugging on my leg and there it goes. Shallow water must be on the horizon but still too far to go... Spilling blood so fast I can't keep up much more. Sorry, sorry, can't go no more. (...)

Quelque chose appuie sur ma jambe puis s'en va. Des eaux peu profondes sont sans doute à vue d'œil mais restent hors d'atteinte. Le sang s'écoule tellement vite que je ne peux plus tenir. Désolé, je ne peux continuer. (...)

Toujours la thématique de l'objectif inatteignable... La chanson se termine sur la version radiophonique de The War of the Worlds, sur une autre phrase de Pierson, à peine audible : "I look down at my blackened hands".

Pas étonnant que j'aime cette chanson : la référence à Welles y est omniprésente, le thème est à la fois tragique, romantique et mélancolique et – cerise sur le gâteau – le texte contient au moins dix-sept métaphores maritimes ! C'est plus que je n'en demandais !

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* T'avais dit que tu n'en parlerais plus.  

Références indianesques

Depuis des années, Léandra n'a pas de connexion Internet personnelle chez elle et surfe grâce aux routeurs non sécurisés de ses voisins. Cependant, elle rencontre pour le moment quelques problèmes quant aux Wi-Fi mitoyens. Pour être certaine d'avoir accès à Internet, Léandra doit donc aller le chercher en dehors de son appartement. L'idée de ce dimanche matin est de se connecter gratuitement au réseau de la Maison du Peuple, en ma compagnie. Pas de chance pour elle : le Wi-Fi du café ne fonctionne pas.

Nous décidons donc de nous rendre au Potemkine, où le Wi-Fi est également gratuit. Nous en profitons pour prendre le brunch conséquent que le café propose le dimanche midi. Le Wi-Fi rame ici aussi et Léandra aura beaucoup de mal à faire ce qu'elle voulait faire : télécharger une simple présentation Powerpoint depuis son adresse e-mail. Il n'en faudra pas plus pour qu'elle considère s'être levée du mauvais pied.

Nous sommes dans le large couloir du café, assis sur les confortables fauteuils situés sous l'escalier menant aux coursives et à la salle de cinéma. Quatre enfants, apparemment frères et sœurs, jouent au-dessus et à côté de nous. De temps en temps, leur père vient voir si tout se passe bien, et aussi leur demander de ne pas faire trop de chahut. Les enfants, entre 4 et 8 ans environ, jouent à "Il est amoureux-euh" et n'arrêtent pas de parler de bisous : "Moi, j'ai embrassé deux fois quelqu'un sur la bouche cette année-ci-euh..."


Vers 14 heures, Léandra reçoit un coup de téléphone de sa maman, avec qui elle doit se rendre au Marché de Noël de Bruxelles courant de l'après-midi. Elle quitte donc le Potemkine, où je reste "seul" avec mon PC. Je vais m'installer à l'une des grandes tables près de la baie vitrée, pas loin du piano. Quand je me rends au bar pour commander une bière, le serveur me convainc d'essayer la Mc Chouffe au fût... "C'est pas trop fort, ce truc ?" Réponse du serveur : "Rien n'est jamais trop fort un dimanche !"

Peu de temps après, une famille vient s'installer à ma table, faute de place ailleurs dans la grande salle du café : un gars, fin de quarantaine, sympathique, barbe mal rasée, longs cheveux gris et léger accent allemand ; sa femme, qui parle avec un accent français ; leurs deux filles, dont la plus grande joue avec un sevivon (toupie juive à quatre faces) et voudrait rentrer à la maison "pour jouer à Dofus". Ils me demandent ce que j'écris. Je leur réponds qu'il s'agit d'un blog personnel où je raconte en vrac tout ce qui m'arrive : "Par exemple, il y a des chances que je parle de vous lorsque je décrirai la journée de ce dimanche". L'homme n'est pas très convaincu et m'explique qu'il ne se rend sur des blogs que pour y chercher des informations très précises. Il relève un paradoxe, qu'il explicite plus ou moins de la façon suivante : alors que la communication se développe à grande vitesse sur Internet, les gens se parlent de moins en moins.

Après une petite heure de discussion, durant laquelle j'explique entre autres que je travaille comme historien dans un centre d'histoire ouvrière, j'en sais déjà un peu plus sur eux, sur lui surtout. Le monsieur se fait appeler Léo. Même si ce n'est pas son vrai prénom, il a fini par l'adopter car, ayant beaucoup voyagé (aux États-Unis, en Espagne...), ce surnom est beaucoup plus facile à comprendre que son prénom allemand originel. Il est guide sur un bateau qui arpente les canaux bruxellois à la découverte du patrimoine industriel de la capitale. Il s'intéresse à la lutte contre le rexisme ainsi qu'à la question des partisans et autres résistants durant la Seconde Guerre mondiale. Je finis par lui refiler les coordonnées de mon boulot et il me donne les siennes. Sa femme s'intéresse au syndicalisme, participe à des groupes de discussion sur le fonctionnement de la dette et me conseille l'émission radiophonique Là-bas si j'y suis de Daniel Mermet. Je m'exclame : "Ha ! Oui, oui, Mermet, je connais, évidemment ! Très bonne émission !". Bref, par hasard, je suis tombé sur des gens qui ont beaucoup de points communs avec moi. Ce café, le Potemkine, porte chance.

Avant de partir, une des filles, un peu plus âgée que Gaëlle (dommage que cette dernière ne soit pas là), m'explique comment fonctionne sa toupie, en prononçant chacune des lettres en hébreu : "C'est pour Hanoucca... Regarde, cette face-là, c'est Noun et tu passes ton tour ; là, c'est Shin et tu dois ajouter un bonbon à la cagnotte ; celle-ci, Hei, est pas mal car tu peux prendre la moitié de la mise de bonbons ; mais le mieux, c'est Gimel, car ça te permet de prendre tous les bonbons d'un coup !"

* * *

En soirée, je retourne à la Maison du Peuple. J'écris rapidement la journée de samedi, pour laquelle je suis modérément inspiré. Je prépare le texte d'invitation pour mon anniversaire et celui de Laurence. Cette année, pour changer, nous avons décidé de mutualiser les deux dates et de fêter nos deux anniversaires très rapprochés en commun, à la Porte Noire.
Emily me rejoint vers 19 heures. Walter, qui revient de Namur, nous rejoindra un peu plus tard. Qui a dit que ce dimanche ressemblait aux autres dimanches ?
Emily a passé une partie de son week-end à regarder les trois premiers épisodes d'Indiana Jones. Elle a particulièrement apprécié Indiana Jones and the Last Crusade (normal : c'est de loin le meilleur) et n'a pas encore eu le temps de regarder le quatrième et dernier opus, Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull (pas grave : c'est de loin le plus mauvais). 

Nous parlons un moment des références à cette série dans Les Simpson et South Park. Mention spéciale à l'épisode "Bart's Friend Falls in Love" qui commence par une splendide parodie de Raiders of the Lost Ark, lorsque Bart tente de dérober un bocal de monnaie à son père : une petite merveille de perfectionnisme (voir notamment ce lien pour s'en rendre compte). 

Dans l'épisode de South Park intitulé "Free Hat", les enfants tentent de persuader George Lucas et Steven Spielberg de ne pas remastériser leurs films, en y ajoutant des effets spéciaux superfétatoires... En vidéo, ça donne une scène hilarante, parmi tant d'autres :

22h30 : l'heure de rentrer chez nous afin d'être en forme et heureux demain pour le travail, tout ça, tout ça... Emily me reconduit en voiture, comme d'habitude... Je me demande pourquoi je continue d'écrire ce journal, dans la mesure où rien ne change dans ma vie... Si ça continue, bientôt, je pourrai faire des copier/coller complets de mes journées précédentes.