46654686

Schizophrénie chez Walt Disney (3/4)

Résumé de l'épisode précédent : hier après-midi, nous nous sommes baladés dans Adventureland, une zone du parc Disneyland® qui m'a fortement marqué en raison de ses troublantes similitudes avec le jeu Monkey Island. Après un passage par l'attraction immersive Pirates des Caraïbes et par une montagne russe à la gloire d'Indiana Jones, nous avons testé le Phantom Manor (un petit bijou de technologie et de décors) ainsi que le Space Moutain (une attraction incroyablement géniale). Quant à la soirée, elle s'est terminée dans un des bungalows "à l'américaine" du Davy Crockett Ranch®, autour d'un spaghetti revigorant préparé la veille par Emily.
Petit-déjeuner Disneyland®
[/] Ce matin, mon réveil sonne à 7h28, nouvelle heure d'hiver. Gaëlle, qui dort à côté de moi, est à peine réveillée par la sonnerie. Je passe en vitesse sous la douche que je n'ai pas eu le courage de prendre hier soir et me rends dans la salle à manger du bungalow. Emily, qui était partie chercher le petit-déjeuner à l'entrée de notre îlot résidentiel, ne tarde pas à revenir. J'apprends par la même occasion que la pauvre a dormi dans le froid cette nuit car elle n'a jamais réussi à allumer le chauffage et n'avait qu'une très mince couverture pour se couvrir (pourquoi n'a-t-elle pas réveillé quelqu'un pour trouver une solution ?). Ironie de la situation : ce matin, Walter s'est rendu compte qu'il y avait un quatrième matelas caché sous un des lits de la grande chambre. Damned ! C'est un peu tard pour s'en apercevoir, non ?
[-] "Ils" ne peuvent pas s'en empêcher, ces "Américains" de chez Disney : même leur déjeuner industriel à la con arbore les couleurs de Mickey. Les croissants, le chocolat, le café en poudre sont disposés dans des boîtes en carton estampillées Disneyland®, qui ressemblent comme deux gouttes d'eau (logo excepté) aux boîtes de nourriture de chez Quick ou McDonald's. Un rêve en boîte, voilà ce qu'ils nous proposent encore et toujours, jusqu'à l'indigestion : des parkings standardisés, des boutiques proprettes standardisées, des attractions standardisées, des poupées du monde standardisées, des files d'attente standardisées, des employés au sourire standardisé, des bungalow standardisés, et maintenant des déjeuners standardisés. Le monde de Disney est d'une cohérence rare et c'est ce qui fait sa force. La répétition à outrance du même modèle, du même schéma, de la même structure est une méthode très efficace en matière de propagande : après un certain nombre de répétitions, les barrières critiques s'effondrent, toujours. Certains individus sont simplement beaucoup plus difficiles à convaincre... En ce qui me concerne, je suis très faible : le fabuleux "Tchoutchou" du train d'hier matin a tout de suite eu raison de mes défenses anti-Disney.
[/] Gaëlle émerge dans la salle à manger du bungalow. Elle mange un peu pendant que nous nous apprêtons, rangeons sommairement la salle de séjour ou ramassons nos affaires. L'idée est de ne pas partir trop tard, afin de bénéficier de la possibilité de rentrer avant les simples visiteurs, grâce à notre pass "Hôtel compris". Nous prenons donc la voiture pour arriver un peu après 9h. L'objectif de cette matinée : visiter le second parc, plus récent, dédié au monde du cinéma : le parc Walt Disney Studios®.
L'envers du décor
[*] La conception de ce parc est totalement différente de celle du parc Disneyland®. Ce dernier, visité hier, est du type "Royaume enchanté" : il est conçu de telle manière que, sauf erreur, le visiteur ne voit jamais l'envers du décor ; qu'il ne voit que ce que les imagineers de Disney ont voulu qu'il voit. Dans le parc Walt Disney Studios®, au contraire, tout est mis en scène pour que nous nous rendions compte, sauf exception, que tout n'est qu'un décor. Ainsi la grande allée couverte (le Studio 1) qui donne accès au parc est-elle composée d'une série de magasins et de restaurants aux belles façades, comme dans Main Street, mais dès qu'on entre dans une de ces échoppes, l'envers du décor nous est directement montré : de simples plaques en bois numérotées... De même, la colline d'Hollywood que l'on voit au loin n'est qu'un simple panneau imprimé.
[-] À la sortie du Studio 1, nous sommes accueillis par une statue de Walt Disney accompagné de sa créature (Mickey). Il fait un signe vague de la main, signifiant peut-être quelque chose du genre : "Voici, ô visiteur anonyme, le monde que j'ai créé !" La statue me fait bizarrement penser à Lénine. Durant les dernières années de la vie de Walt Disney (mort en 1966), la propagande était un instrument d'usage courant des deux côtés du Mur. Les modèles de société proposés d'un côté ou de l'autre étaient différents, antagonistes même, mais les moyens était identiques pour susciter l'admiration envers les "grands hommes" et les "grandes idées" : élever des statues, construire des mausolées, répéter sans cesse le même "discours fondateur"...
L'épisode de la Tour de la Terreur
[/] Emily, Walter et moi voulons absolument tester The Twilight Zone Tower of Terror, une attraction à sensations fortes assez récente (ouverte fin 2007) qui propose de prendre place dans un ascenseur d'hôtel devenu fou. Ni Léandra, ni Andrew n'ont l'air particulièrement intéressés. Je leur laisse donc Gaëlle (avec qui ils iront expérimenter le Toy Story Mission Parachute) et me précipite vers l'attraction avec les deux autres.

La statue de Lenine Walt Disney avec la Tower of Terror en arrière-plan, à gauche...
[/] Nous nous installons dans la petite file d'attente qui commence seulement à se constituer devant la fameuse tour. La file avance vite, c'est cool. Trop vite même. Au parlophone, une voix nous apprend que l'attraction rencontre quelques petits problèmes techniques et qu'il va falloir patienter... Emily : "Ha ! C'est faux ! Ils veulent juste nous faire peur en nous faisant croire que l'attraction n'est pas sûre !". Nous restons dans la file, qui avance toujours assez rapidement. Après vingt minutes d'attente, nous entrons à l'intérieur de l'attraction, où un employé déguisé en groom nous apprend que l'attraction a réellement un problème technique et que les techniciens sont obligés de la fermer pour l'instant. Conclusion : cette file d'attente n'existait que parce que ledit employé devait raconter à chacun d'entre nous que l'attraction était fermée. Merde alors ! On nous a eus !
[-] Pour passer le temps en attendant Andrew, Léandra et Gaëlle, j'offre le café à mes deux amis à l'intérieur du Studio 1. Il s'agira à coup sûr du café le plus répugnant que j'ai bu de ma vie. Walter ne le finit même pas et le jette à la poubelle ; Emily se force à le boire ; quant à moi, je rajoute une quantité impressionnante de sucre pour faire passer son goût infecte, mais ça ne fonctionne même pas. Pouah !

[/] Court instant de fou rire avec Walter et Emily, durant lequel nous imaginons un parc à thème entièrement dédié au sexe. C'est Walter qui lance l'idée. Je lui dis : "ce genre de parc doit sûrement déjà exister !" L'air sûr de lui, il me répond : "Non, absolument pas !" Le parc serait constitué selon le même modèle que les Royaumes enchantés de Disney mais à la place du château central, se dresserait un gigantesque phallus, sorte de point de repère général pour les familles groupes... Oui, mais pourquoi donc un phallus et pas un vagin, hein, hein ? Tout simplement parce qu'une vagin, c'est beaucoup moins visible de loin et qu'en plus, on risquerait de tomber dedans (hahaha !). Autour du phallus, on retrouverait différents lands : "Straightland" pour les hétéros, "Gayland" pour les homos ainsi que d'autres zones consacrées à des fantasmes particuliers comme "Fetishland" (simple exemple) ; Main Street serait remplacée par une rue remplie de sex shops et le petit train faisant le tour du parc ne ferait qu'entrer dans des tunnels à l'aspect évocateur ; quant au clou du spectacle, ce serait un feu d'artifice de couleur blanchâtre qui éclaterait juste au dessus du "château" la nuit. (C'était la partie hardcore de mon voyage à Disneyland®. Promis juré, je ne recommencerai plus !)

[/] De nouveau dehors, sur un banc, Walter, très observateur, remarque que la Tower of Terror refonctionne : "Sans doute pour des tests", dit-il. Mais non : une file est en train de se constituer à très grande vitesse en face de l'attraction. Nous nous précipitons donc dans la file. Une chance d'avoir été là à ce moment-là : nous sommes parmi les premiers à pénétrer dans la tour.
[+] La Tower of Terror est encore une attraction de grand malade... Esthétiquement, c'est d'un réalisme et d'un niveau de détail confondant : à l'extérieur, une tour de plus de cinquante mètres de haut, dont le sommet est fortement lézardé ; à l'intérieur, un climat de délabrement qui rappelle le Phantom Manor d'hier soir, avec ses grooms dont le comportement change au fur et à mesure qu'on se rapproche du cœur de l'hôtel. Tout est soigné à l'extrême : avant d'entrer dans l'attraction en tant que telle, nous sommes trimballés dans une sorte de sous-sol fantasmé, fait d'escaliers en fer, de vieux fusibles rouillés et d'énormes machineries. Un détail : une goutte d'eau qui tombe silencieusement dans un seau placé en hauteur (ça n'a aucun intérêt si ce n'est celui de soigner le décor à l'extrême). Techniquement, l'attraction consiste en une chute libre : on nous installe dans un décor de vieil ascenseur. Après être montés de quelques étages, quand la porte de l'ascenseur s'ouvre à nouveau, c'est pour donner sur un couloir d'hôtel menaçant "à la Shining", avec des revenants sous forme d'hologrammes... Puis c'est la chute libre, puis la remontée avec une vue grandiose sur le parc, puis de nouveau la chute libre, etc. C'est définitivement terrible !
[*] Tout comme pour le Phantom Manor, c'est à nouveau Otis, le leader mondial des ascenseurs, qui a conçu la cabine dans laquelle nous prenons place. Autre détail intéressant : l'ascenseur de la Tower of Terror descend plus rapidement qu'une chute libre classique. Autrement dit : l'accélération de la cabine durant sa chute est plus forte qu'une accélération due à la simple gravité. J'ai également appris (à vérifier la prochaine fois) que si on regarde en l'air, on voit le plafond se rapprocher à une vitesse vertigineuse ; et que si on lâche un objet au bon moment durant la chute libre, il restera en apesanteur durant un court instant.

Le Studio Tram Tour

[/] Le temps passe. Nous voulions tester une attraction intitulée le "Rock'n'Roller Coaster avec Aérosmith" grâce à un Fastpass récupéré ce matin, mais nous laissons tomber, faute de temps. À la place, nous faisons le Studio Tram Tour, un train touristique sur roues qui nous promène dans divers décors de film...

[-] Le "wagon" dans lequel nous nous asseyons contient une petite télévision diffusant un reportage dans lequel deux acteurs (un anglophone et une francophone) vantent la "magie" du cinéma et des effets spéciaux. C'est un peu "gnangnan" (surtout pour la francophone) et ça n'apporte pas grand chose à l'attraction. C'est un peu con d'avoir mis autant de moyens dans ce parcours (voir le prochain paragraphe) mais de ne nous diffuser qu'une petite émission ridicule pour toute explication.

[+] Gaëlle adore le Studio Tram Tour. Faut dire que c'est vachement bien fait : le "tram" s'immobilise dans un paysage désolé de canyon, dans lequel trône un gros camion-citerne rouillé ressemblant à celui de Duel de Steven Spielberg. Nous sommes dans la reconstitution d'un tournage avec de gros effets spéciaux. Des parties du canyon explosent dans un souffle enflammé, provoquant une sorte de mini-tremblement de terre qui secoue nos compartiments installés pour l'occasion sur des plaques mobiles. Le grand moment de cette partie de l'attraction est encore à venir : en très peu de temps, un véritable déluge d'eau (265.000 litres selon Wikipédia) s'abat dans le canyon et sur notre véhicule (heureusement couvert). Gaëlle rit aux éclats. Je comprends mieux désormais l'avertissement au début de l'attraction : "Attention : vous risquez d'être éclaboussés". Le véhicule contourne ensuite le canyon et montre l'envers du décor : trois énormes pompes qui amènent de l'eau en très grande quantité sur la scène du "tournage".

[+] La deuxième grande étape, à l'autre bout du circuit, est une reconstitution de la ville de Londres saccagée par un dragon. Ce dernier n'est pas visible : nous voyons (et sentons) juste le feu qu'il crache. Le décor est à nouveau très bien foutu. Un train déraillé en hauteur me rappelle la pochette de l'album Scrabbling at the Lock de The Ex.

[/] Après le Studio Tram Tour, il est midi passé et nous devons retourner dans le parc Disneyland®. Nous avons en effet réservé une table au Blue Lagoon, le "restaurant des Caraïbes", pour le repas de midi. Un bon moment pour faire une pause et marquer la fin de la troisième partie de ce texte (ça diminue !).

disneyland-monkeyisland

Schizophrénie chez Walt Disney (2/4)

Résumé de l'épisode précédent : je suis depuis ce matin à Disneyland® Paris avec ma fille Gaëlle et mes amis. Je m'amuse bien et j'ai des larmes aux yeux tellement que c'est trop beau et gentil tout plein. Nous venons de terminer notre repas dans un restaurant mexicain ni très bon, ni très copieux et nous nous apprêtons à reprendre la route. Par convention, j'ai décidé de marquer chaque paragraphe du sceau de l'émerveillement [+], de l'agacement [-], de la neutralité [/] ou encore de la technophilie [*].

Adventureland !

[+] En début d'après-midi, nous marchons jusqu'à Adventureland, le monde des pirates et des mille et une nuits (entre autres). Dès l'arrivée, c'est la stupeur : mon Dieu, mais je suis dans Monkey Island ! "Monkey Island", c'est quoi ? Rien de moins qu'un des plus grands jeux d'aventures PC de tous les temps, conçu par le génial Ron Gilbert pour LucarArts, dans lequel le joueur incarne le personnage de Guybrush Threepwood, un jeune homme un peu naïf qui veut devenir pirate ("Bonjour, je m'appelle Guybrush et je veux devenir pirate !"). Les deux premiers volets de ce jeu sont clairement inspirés de l'univers du Royaume enchanté de Disney, plus particulièrement d'Adventureland et surtout de l'attraction phare "Pirates des Caraïbes" (qui a d'ailleurs aussi donné lieu, plus tard, aux films du même nom). Je le savais déjà mais le constater en grandeur nature me rend totalement dingue. Deux comparaisons pour illustrer mon émoi :


[/] [Attention : spoilers !] Monkey Island 2: LeChuck's Revenge contient une des plus belles fins de jeu vidéo, mais aussi une des plus bizarres ; le genre de fin qui donne encore lieu aujourd'hui (soit 20 ans plus tard !) à de nombreuses spéculations sur le Web. À la fin du jeu, le héros (Guybrush Threepwood donc), après avoir vaincu son grand ennemi LeChuck, apprend que ce dernier n'est autre que son frère. Ensuite (encore plus bizarre), leurs parents arrivent et les récupèrent. Une des dernières scènes du jeu montre ainsi Guybrush et LeChuck enfants, suivant docilement papa et maman. La grande question étant : toute l'aventure vécue dans les deux premiers volets de Monkey Island n'était-elle que le rêve d'un enfant perdu dans un parc à thème, vivant au sein des attractions des aventures qui n'existent que dans son imagination fertile ? Cette fin explique en tout cas les nombreux anachronismes que l'on retrouve durant le jeu (distributeurs de grog ressemblant à des distributeurs de Coca-Cola, travaux de maintenance, trésors ridicules, tunnels souterrains, etc.), mais elle n'explique pas tout. C'est un sujet d'article à part entière, que je garde pour une autre fois donc...

[+] Dans Adventureland, nous faisons la file pour Pirates des Caraïbes, justement... Une très longue file d'attente mais extrêmement bien foutue. À Disneyland®, aucune file n'est en ligne droite... Celle que nous empruntons ne déroge donc pas à la règle : elle est en grande partie constituée de chemins en zigzag dans une grotte située à l'intérieur de l'attraction. Après environ quarante minutes de marche au ralenti, ces dédales sombres débouchent sur une énorme salle reconstituant l'ambiance d'une nuit d'été dans les Caraïbes (!). De la file, nous pouvons observer en contrebas un restaurant nommé le Blue Lagoon, plongé dans une nuit artificielle permanente (!!). La terrasse du restaurant donne directement sur une fausse jungle et sur une "rivière" qui transporte les embarcations de l'attraction. Le moindre détail est soigné à l'extrême... C'est superbe ! Les "imagineers" (constructeurs d'attractions) de chez Disney sont de très, très grands malades... Rien à redire donc : Pirates des Caraïbes est une très belle attraction, du type "Water Dark Ride"... Nous sommes dans un petit bateau voguant sur l'eau, au milieu d'un paysage nocturne artificiel. Nous traversons de nombreuses scènes de piraterie jouées par des automates un peu rigides. L'attraction propose notamment la reconstitution d'une bataille navale, allant jusqu'à la simulation de boulets tombant dans l'eau : c'est loin d'être mal foutu. À la sortie, Andrew se charge d'aller réserver une table au Blue Lagoon pour demain à 13h15 : ça nous changera des fajitas de ce midi !

[/] L'attraction Pirates des Caraïbes m'en rappelle une autre, qui n'existe plus aujourd'hui : Le Secret de la Licorne à Walibi Belgium. Même principe, à savoir une promenade dans le noir, avec des combats de pirates-automates et des batailles navales. Une différence : l'attraction de Walibi tournait autour de l'univers de Tintin, plus particulièrement autour de l'histoire de La Licorne (un sujet d'actualité !).

[/] Gaëlle retourne à la Maison des poupées (misère !) avec Léandra. Pendant ce temps, toujours dans Adventureland, nous testons en vitesse Indiana Jones et le Temple du Péril, une montagne russe assez classique avec un looping tout aussi classique. C'est sympa, c'est bien décoré (comme toujours !) mais ce n'est pas si sensationnel que ça.

Phantom Manor

[+] Perchée sur une colline, ressemblant à s'y méprendre à la vieille maison de Norman Bates dans Psychose d'Hitchcock, cette attraction est un bijou de technologie et de décors, valant bien sa petite heure de file d'attente. Aucun rapport avec une bête maison hantée de foire. Ici, le concept de "manoir aux fantômes" est poussé jusqu'à ses derniers retranchements et chaque détail est peaufiné à la perfection, avant, pendant et après l'attraction. Les concepteurs ont même été jusqu'à créer une histoire factice liée au contexte économique imaginaire de Frontierland : celle d'un riche mineur de Big Thunder Mountain, Henry Ravenswood, qui habitait dans cette maison reculée mais qui aurait déclenché par inadvertance la colère d'un esprit indien en creusant trop profondément. Depuis, sa famille et sa maison sont maudites.

[+] Rien que pour sa première salle, l'attraction vaut le détour. Toute personne y étant allée en parle avec des étincelles dans les yeux. Car il faut bien l'avouer : cette première pièce dont les murs s'agrandissent et dont le plafond s'éloigne à vue d'œil, modifiant au passage les tableaux accrochés au mur, est terriblement bien foutue ! Le reste du parcours se fait à pied puis en "doombuggies" (véhicules de parcours scénique). Durant le parcours, j'observe de nombreux effets d'optique géniaux, comme ce buste qui me regarde constamment, quelque soit l'endroit où je me place ; ou encore une salle de bal remplie de spectres dansant une valse lugubre. Gaëlle a juste un tout petit peu peur, mais sort de la maison toute contente.

[*] Je me suis un peu intéressé aux différents aspects techniques de cette attraction. J'ai ainsi appris que la toute première pièce (appelée fort logiquement la "stretching room") est constituée d'un ascenseur caché fabriqué tout spécialement par la firme Otis : l'ascenseur n'est pas fait d'un seul bloc et descend lentement tandis que le plafond reste en place. Cet ascenseur n'est pas accessoire : il est nécessaire à l'attraction dans la mesure où cette dernière n'est pas du tout située à l'intérieur de la petite maison mais dans un complexe souterrain invisible, qui dépasse la bordure du parc ! Autre aspect technique : celle du buste qui nous suit du regard : il s'agit tout simplement d'une statue "négative" (concave) qui, éclairée d'une certaine manière, crée cette illusion d'optique bluffante. Quant à la salle de bal avec la danse des fantômes, que l'on observe du dessus, l'effet d'optique est rendu possible grâce à un système de vitre qui reflète une série d'automates situés dans une pièce sous les buggies.

Discoveryland !

[/] Nous passons la fin de la journée dans Discoveryland, une zone dont tous les éléments rappellent Jules Vernes, la bonne vieille anticipation, ainsi que le mouvement "steampunk". Amusant : Andrew et moi trouvons dans certaines "machines rétro-futuristes" de Discoveryland des points communs avec l'univers gnome de World of Warcraft.


[/] Si nous nous rendons à Discoveryland, c'est pour une raison bien précise : essayer le Space Mountain: Mission 2, une "montagne russe" en intérieur, considérée comme un des fleurons de ce parc à thème. Pendant ce temps, Emily emmène Gaëlle dans l'Orbitron, une jolie attraction de facture gnome où ma fille pourra apprendre en douceur la conduite d'un vaisseau spatial.

[+] Léandra prend place à côté de moi ; Andrew et Walter sont juste devant. Avant le départ, nous sommes confortablement (hem) assis dans nos sièges et amenés à la base d'un "canon". Après une dizaine de secondes d'attente, le canon nous propulse dans le Space Mountain. C'est une attraction géniale, une idée de grand malade : nous frôlons à toute vitesse des planètes, passons par des tunnels psychédéliques, effectuons trois inversions (dont une en forme de fer à cheval assez unique, même si nous n'avons pas le temps de nous en rendre compte). Bref : ce Space Mountain, c'était le clou de cette première journée.  

Bungalow

[/] La soirée touche à sa fin. Nous retournons en douceur vers les voitures, afin de prendre la route du bungalow que nous avons loué, au Davy Crockett Ranch®. En passant par le Disney Village®, une scène surréaliste : un restaurant "à l'américaine" où les serveurs, serveuses, cuisiniers et cuisinières sont sur le bar en train de danser et de chanter avec entrain. Mon dieu, mais où sommes-nous ?

[+] Arrivés à la réception du Davy Crockett Ranch®, Andrew se charge d'aller chercher la clé de notre bungalow. Ce domaine est encore et toujours un endroit made in Disney, à la discipline, à l'hygiène et à la propreté exemplaires. Nous serpentons une route à travers bois afin de rejoindre notre "îlot résidentiel" : une petite centaine de bungalows se ressemblant tous situés aux abords d'une route circulaire. Rien n'est laissé au hasard. Dès l'entrée dans le bungalow, une télévision s'allume et souhaite la bienvenue à Andrew ! Le bungalow contient une chambre trois lits, une autre avec un lit double (avec son WC et sa salle de douche particulière !), un salon/salle à manger, un second WC, une seconde douche...

[-] Cet hygiénisme fait peur, parfois. J'ai l'impression d'être dans un lieu aseptisé, sans vie, tenu par des maniaques de la propreté (et pour que je me rende compte d'un excès de propreté, il faut que ledit excès soit tout de même assez sévère). En outre, j'ai la désagréable impression d'être dans une banlieue américaine stéréotypée (un peu comme dans Edward aux mains d'argent), où tout le monde roule en Range Rover...

[/] Il est décidé d'un commun accord que je dormirais avec Gaëlle (totalement exténuée d'ailleurs) dans le lit double (à chaque fois que je pars en vacances avec ce groupe, j'ai droit au lit double avec salle de bain contiguë) ; que Léandra, Andrew et Walter dormiraient dans la grande chambre ; qu'Emily s'installerait dans le divan, faute de quatrième lit (arf).

[/] Emily prépare ses spaghetti à la bolognaise. Tout le monde est fatigué et ça nous fait un bien fou de nous asseoir, de nous reposer en grignotant des saucisses Zwan ou des chips laissées par les précédents occupants (ou bien par Disney pour nous souhaiter la bienvenue ?). On boit du vin et/ou de la Chimay bleue.

[/] Après le repas, vers 23 heures, Emily, Walter et moi décidons de nous rendre au Saloon... Car oui, dans l'énorme complexe du Ranch, il y a de tout : une piscine, une boutique, un restaurant, des terrains de sport et... un saloon ! Pas de bol : ce dernier est en train de fermer lorsque nous débarquons. La magie Disney se couche tôt. Emily et Walter sont partants pour retourner boire un verre au Disney Village®. Je n'ai ni l'énergie ni le courage nécessaire pour un tel déplacement et je  boude. Conclusion : personne n'y va.

Paris monuments

Schizophrénie chez Walt Disney (1/4)

Disneyland® Paris, c'est beaucoup d'événements et beaucoup d'idées qui se bousculent dans ma petite tête... J'ai tellement de choses à raconter que je n'y arriverai pas en un seul article classique. Afin de faciliter la lecture et aussi de ne pas faire croire à mon rare lectorat que je l'ai abandonné depuis ce vendredi, j'ai décidé de scinder chacune de mes journées à Disneyland® en deux articles : un pour la matinée, un pour l'après-midi. C'est parti !

Prologue

Mon réveil sonne à 5h04. Je passe du sommeil à l'éveil total d'un seul coup. Dans ma salle de bain, je me débarbouille et me lave les dents rapidement. Je me rends dans la cuisine et fais couler du café. Je me précipite ensuite vers mon petit sac Nike bleu démantibulé et le remplis en vitesse de babioles : deux brosses à dents, du dentifrice, quelques vêtements pour moi, quelques vêtements pour Gaëlle, un livre de SF, une Chimay blanche et une clé USB remplie de musique... (Dans la précipitation, j'ai oublié – mais je ne m'en rendrai compte qu'aujourd'hui soir – un pyjama pour moi, un pyjama pour Gaëlle et des serviettes de bain.) Je réveille ma fille vers 5h15. Elle n'a aucun mal à se lever. Elle s'habille et met ses chaussures toute seule, pendant que je m'occupe des derniers détails (tu parles !).


Emily me téléphone à 5h30 pile. Elle est en bas de chez moi, dans sa voiture. Je verse le café dans un thermos, vérifie quatre fois que le percolateur est bien éteint, attrape au vol le siège pour enfant qui se trouve dans mon salon... Ensuite ma fille et moi dévalons les quatre volées d'escaliers de l'immeuble (non sans avoir vérifié quatre fois la serrure, comme à chaque fois que je dois me presser et penser à plein de choses en même temps) et rejoignons Emily dans sa voiture. Direction les abords de la gare de Bruxelles-Midi, plus précisément le feu rouge mentionné hier soir comme point de rendez-vous. Walter le conducteur ainsi que Léandra et Andrew les passagers finissent par arriver, plus ou moins à cet endroit. Et c'est parti pour Paris, pour Disneyland®, pour le rêve en boîte, youpie !

Le trajet se passe sans encombre. Comme musique de fond, dans la voiture d'Emily, une clé USB que j'ai remplie la veille en quatrième vitesse, contenant du folk, de la country, du blues, du rock et du post-rock (comme d'habitude). La circulation est fluide sur les autoroutes belges et françaises. Nous nous arrêtons sur une grande aire de repos : Walter peut fumer ses cigarettes ; je peux boire un café ; Gaëlle peut jouer sur un jeu Playstation 2 gratuit installé à la borne d'arcade d'un des restaurants. Je dois la convaincre de reprendre la route avec l'argument suivant : "Tu sais, il y aura beaucoup mieux qu'un bête jeu Playstation à Disneyland®"...
Après environ trois heures de route, nous arrivons à la frontière du pays de Disney. Là commence la schizophrénie. Disneyland® est un monde parallèle, que j'aborde avec complexité,  : 1) l'admiration béate (= putain ils sont très forts !) ; 2) la critique extrême (= c'est la société de consommation poussée dans ses derniers retranchements) ; 3) la technophilie détachée (= comment sont-ils arrivés à créer cet effet ?). À côté de chaque paragraphe, des signes donnent une vague idée du type d'Hamilton qui écrit le texte : [+] Hamilton-émerveillé ; [-] Hamilton-grognon ; [/] Hamilton-neutre ; [*] Hamilton-curieux.

La remise des tickets

[/] Première étape : se rendre à l'hôtel que nous avons réservé pour la nuit de samedi à dimanche. Ce n'est pas vraiment un hôtel mais plutôt un bungalow, à l'intérieur d'un énorme complexe nommé Davy Crockett Ranch®. Nous faisons la file (avant-goût des files du parc lui-même ?) pour récupérer les tickets. Nous n'aurons accès au bungalow que plus tard... Après ces quelques formalités, nous nous rendons à Disneyland®...

La route du parc

[+] Nous roulons sur une magnifique route extrêmement bien entretenue aux frontières de laquelle sont plantés de superbes arbres multicolores, dont chaque branche semble avoir été organisée par un jardinier maniaque ne supportant pas le moindre écart dans l'agencement des feuilles dont il a la responsabilité (t'as oublié le fonctionnement des virgules, Hamilton ?). C'est un avant-goût de l'esprit Disney : propreté, discipline et asymétrie contrôlée. Si la route serpente, c'est seulement d'une sinuosité factice car rien n'est laissé au hasard... Cette route parfaite à tout point de vue frappera durablement ma conscience. Arrivés à la fin du chemin, nous tombons sur le péage du parking : pas un immonde péage d'autoroute, oh que non : un péage enchanté "à la Disney", s'il vous plaît, orné d'une multitude de faux drapeaux, avec l'enseigne "Disneyland" bien au centre, en rouge. C'est magique !

[-] Nous ne payons rien au péage car le parking est compris dans le forfait "2 jours avec logement" auquel nous avons souscrit, mais nous avons néanmoins déjà un avant goût du mercantilisme qui se cache derrière la parure enchantée : des conducteurs payant docilement 15 euros aux souriants préposés Disney (ici, tout le monde est souriant, du moins en façade), afin d'avoir la chance de garer leur voiture dans l'immense parking impersonnel.


[/] Un long tapis roulant (dans le genre des tapis roulants d'aéroport) nous conduit du parking à l'orée du parc. Là, nous avons une vue sur le Disney Village® (un ensemble de cinémas, de théâtres et de restaurants), sur l'entrée du premier parc Disneyland® et sur l'entrée du parc Walt Disney Studios®. Pour cette première journée, l'objectif est d'aller dans le premier parc. 

Main Street, USA

[+] Main Street est le nom donné à la rue principale (bah oui) du parc Disneyland®. Après un passage obligé sous l'hôtel Disney, c'est la première chose que nous voyons avec, au loin et bien dans l'axe, le château de la Belle au Bois dormant... Chaque magasin de Main Street possède sa propre devanture, extrêmement soignée, tout droit sortie d'une petite ville américaine modèle. À notre arrivée, un train à vapeur situé en hauteur lance un "Tchoutchou" caractéristique. Je pense qu'aucun train à vapeur dans le monde réel n'a jamais lancé un "Tchoutchou" pareil. On se croirait dans un dessin animé. Ce train, c'est le train rêvé, fantasmé par tous les petits enfants occidentaux. Le "Tchoutchou" du train, c'est le détail en trop : ma barrière critique s'effondre d'un seul coup et je cache tant bien que mal des pleurs d'émerveillement. Léandra le remarque et sort un "Même Hamilton a l'air subjugué !" bien à propos.

Photo : Léandra Courbet.

[-] Les magasins de Main Street sont tous différents vus de l'extérieur, mais se ressemblent tous à l'intérieur : même camelote Disney en plastique made in China, de mauvaise qualité et hors de prix ; même vendeur souriant jusqu'à la crispation qui me demande si j'ai vu la réduction de 88 cents sur les sucettes d'Halloween (oui merci, mais non) ; même foule compacte se jetant comme des requins sur des peluches ridicules. Nous sommes dans un temple du consumérisme. Alors qu'une crise de grande ampleur frappe le monde extérieur, ici, on fait comme si de rien n'était.

[*] Le parc est divisé en différentes régions, appelées "lands". Au centre, évidemment, le château, visible de presque partout et servant de repère visuel. C'est une utopie ou une dystopie (tout dépend du point de vue), un monde en dehors du monde ; c'est la ville idéale vue par Walt Disney. Elle rappelle les nouveaux îlots de richesse à Dubaï, mais aussi les projets de cités idéales propres aux utopistes du XIXe siècle. Car tout est prévu pour l'être humain qui y séjourne, du début jusqu'à la fin de l'aventure, moyennant une sollicitation du porte-monnaie : nourriture, boissons, logement (j'y reviendrai plus tard), distractions diverses, piscine (durant le week-end, Emily a parlé de la piscine du ranch au moins dix fois : les piscines l'obsèdent – faudra que j'essaie un jour de comprendre pourquoi). Le parc est aussi une fausse fractale car ses centres névralgiques sont répétés à divers niveaux de grandeur : au centre du parc, le château ; dans chaque "land" (sorte de parc en miniature), un noyau secondaire (comme le "Disneyodendron", gigantesque arbre abritant la cabane des Robinson dans Adventureland...) ; pour chaque attraction, un signe visible, un appel (la rampe de lancement du Space Mountain, la maison hantée sur sa colline...).

[-] Cette utopie-là, elle se nourrit de fric, de fric, et encore de fric.

it's a small world!, Peter Pan's Flight, etc.

[-] Nous commençons notre tour des attractions dans Fantasyland par it's a small world! (sans majuscules). Pitié ! Laissez-moi sortir ! Pendant une dizaine de minutes, nous voguons sur une petite embarcation à l'intérieur d'un énorme hangar contenant des milliers de petites poupées d'humains ou d'animaux, chantant un air horriblement entêtant : "It's a Small World". Le message de l'attraction – difficile de ne pas le saisir car il est très gros et pas très subtil – est le suivant : nous vivons dans un tout petit monde et nous sommes tous frères... 

[-] Nous faisons le tour de la planète en compagnie de poupées de nationalités diverses qui chantent, parfois dans leur langue, le même air énervant. Le parcours se déroulant dans le même hangar, sans cloison insonorisante, le résultat est cacophonique. Et personnellement, si c'est ça la fraternité, je préfère vraiment m'en passer : toutes les poupées ont presque la même bouille, seul le déguisement change ; elles ont toutes le même sourire béat ; à la fin, on peut apercevoir un Amérindien et un cow-boy se tenant la main en signe de réconciliation, ainsi qu'un footballeur américain de type caucasien (comme ils disent aux États-Unis) et une joueuse de baseball afro-américaine (histoire de respecter les "quotas" ?). Arrêtez, c'en est trop ! Mon côté critique et moqueur reprend le dessus et, pour passer le temps, j'imagine une attraction proposant le message inverse, où tous les peuples du Monde, symbolisés par des poupées, se taperaient sur la tronche : on y verrait des poupées japonaises horrifiées devant une explosion nucléaire, des villes en ruine sous le coup des bombes, ou bien encore des colons massacrant des Sioux. Je considère que ma vision du "petit monde" est bien plus proche de la réalité... Mais l'ami Walt proposait un rêve, voyons, une vision d'avenir... Ah oui c'est vrai, j'avais oublié : une vision où toutes les différences sont aplanies, où tous les peuples se tiennent la main en chantant une musique gnangnan issue de l'imaginaire Disney.

[+] Gaëlle ne sait plus où donner de la tête. Elle n'entend pas ce qu'on lui dit. Elle a des étincelles dans les yeux et de la bave aux commissures des lèvres. Pour les petits enfants, cette attraction est une vraie merveille.

[/] On trouve une parodie hilarante de ce célèbre parcours de poupées made in Disney dans un des épisodes de la quatrième saison des Simpson intitulé "Selma's Choice" : Lisa et Bart sont à Duffland® (le parc à thème consacré à la bière Duff), dans une attraction qui ressemble à s'y méprendre à la nôtre, sauf que... les petites poupées ont toutes une bouteille de Duff en main et chantent un air différent, à la gloire de la bière... Durant cette scène mémorable, Lisa boit, à cause d'un bête pari avec son frère, l'eau qui coule sous l'embarcation et se tape un trip psychédélique... C'est vers la 18e minute de l'épisode : une parodie d'une exceptionnelle acuité : tout y est, même la petite musique énervante qui reste en tête ! (Gaëlle, connaissant les premières saisons des Simpson par cœur, s'est rendu compte directement de l'analogie.)


[/] Après le monde des poupées, nous faisons rapidement un tour par "les tasses" : une simple attraction de foire, un manège avec des tasses qui peuvent être tournées manuellement. J'embarque avec Gaëlle et Andrew, mon "frère ennemi" ; Léandra embarque avec Walter ; Emily n'embarque pas car les spirales au sol la rendent malade. Après les tasses, nous marchons dans le labyrinthe d'Alice, une attraction un peu vieillote. Gaëlle semble apprécier (elle est plus petite, elle voit les petites haies du labyrinthe différemment).

[/] Dernière attraction de cette première matinée : le vol de Peter Pan. Pour accéder rapidement à cette attraction, nous utilisons pour la première fois de la journée un ingénieux système de Fastpass® (ouaip, ce truc est aussi protégé par un brevet !). Le principe : avec notre ticket d'entrée, nous récupérons un pass (disponible toutes les trois heures environ) qui nous permet de passer par une file d'attente "VIP" évitant les circonvolutions de la file normale. 

[-] Peter Pan's Flight : une courte attraction qui cale tout le temps. Nous sommes d'abord dans un bateau qui survole Londres, mais on ne voit rien, si ce n'est quelques étoiles et la tour de Londres mal éclairée : la magie n'opère pas. Plus tard, une vision de combats entre Peter Pan et les méchants pirates, sauf que ce sont de vieux automates assez mal foutus. Un Fastpass® utilisé pour pas grand chose donc...

[+] Gaëlle adore mais elle n'est pas au bout de ses surprises.

Repas mexicain

[-] Le midi, nous allons manger des fajitas (entre autres) au Fuente Del Oro, un restaurant mexicain situé juste en face de Big Thunder Mountain dans Frontierland (une gigantesque attraction du genre "train de la mine", avec une mesa grandeur nature en son centre, malheureusement fermée pour cause de récent accident – ha ben merde, ils l'ont déjà rouverte !). La bouffe, dans le pur style "fast food", n'est pas terrible. 

Pétition contre le renvoi d'Éric Deup

Dans le train vers Liège, en lisant le Fluide Glacial du mois de novembre (oui, il paraît toujours avec un peu d'avance), je découvre avec consternation qu'Éric Deup "a été lourdé" de ce mensuel. Oui, lourdé, viré, expulsé... Quoi ? Plus de Deup dans Fluide Glacial ? Plus de Floÿde Economic ? Plus d'humour subtil, ironique et intelligent ? Plus de "Carotte du mois" ? Plus de "En baisse : Yves Calvi" ? Plus de participation à la Gazette de Frémion ? Au départ, j'ai pensé à un trait d'humour mais non : après vérification sur le Web, je reçois la confirmation que ledit Deup a bien été licencié pour cause de mésentente avec son nouveau patron. 

Quelques explications : pendant environ 6 ans, c'était le Belge Thierry Tinlot, ancien rédacteur en chef de Spirou, qui était aux commandes de Fluide et Tinlot laissait apparemment beaucoup de marge (jeu de mots qui ne sera sans doute compris que par les lecteurs de Fluide) à ses auteurs. Ces derniers avaient d'ailleurs pris l'habitude de rire de leur chef (c'est clairement dans la ligne "On ne se prend pas au sérieux" de Fluide – souvenirs des éditos d'Albert Algoud qui étaient à chaque fois "censurés" lors de la mise en page : une forme de running gag assez lourdingue). Mais Tinlot ayant rejoint les colonnes culturelles du Soir, c'est un certain Christophe Goffette qui est depuis peu aux commandes. Quand je lis ce que Goffette aime et ce qu'il a réalisé, je me dis pourtant qu'il a l'air d'un type très bien. Mais Goffette n'a apparemment pas apprécié l'humour de Deup envers la nouvelle direction... Tout cela est expliqué sur la Toile, ici et ...

Sans Deup, je trouve que ce tout dernier Fluide Glacial de novembre a perdu une partie de son esprit (bon, OK, je suis partial). Et puis, le magazine était un peu décousu et pas très marrant ce mois-ci (comme ça arrive parfois avec Fluide, oui...). C'est quoi cet édito pompeux de Goffette en fin de journal ? Et puis surtout, qu'est devenu le baromètre mensuel sur la cote d'Yves Calvi ? Sans ce référenciel, je suis perdu et je ne sais plus quoi penser du présentateur... Est-il enfin en hausse ? (Mais non, ce n'est pas possible !) En une phrase : rendez-moi mon Deup, bande de moules ! En attendant qu'on me rende mon Deup, j'ai décidé, après plus de dix ans de lectures assidues, d'arrêter d'acheter toute publication émanant de Fluide (ni album, ni magazine, ni hors-série). Tant pis pour ceux que j'adorais lire, tant pis donc pour Léandri (marrant : une seule lettre de différence avec mon amie Léandra), pour Edika, pour Bouzard et pour Phil Casoar qui m'a fait découvrir tellement de bonnes musiques... Ma décision ne changera pas grand chose, à moins que nous soyons des dizaines de milliers à poser le même acte.

Et la pétition, où est-elle ? Nulle part, car je déteste les pétitions.

* * *

Le soir, c'est la grande préparation de notre week-end à Disneyland® Paris pour l'anniversaire de ma fille. Léandra a invité chez elle les protagonistes de notre prochain périple dans les eaux tumultueuse de la magie Disney® : Emily, Andrew, Walter, Gaëlle et moi. Une soirée sous le signe de la simplicité : quelques bières, une bouteille de vin, des olives, des chips, des pizzas à réchauffer...

Gaëlle et moi arrivons chez Léandra plus tôt, un peu avant 18h... Le but de ce rendez-vous de fin d'après-midi, avant que les autres invités n'arrivent, est de plancher une grosse heure sur les "soirées causerie" que Léandra tient absolument à réaliser. Il faut choisir des dates, des thèmes, des invités... Léandra a fait du bon boulot : elle a griffonné, comme d'habitude, une série de notes sur son carnet fétiche. Pour ma part, je suis en plein questionnement : comment réaliser ces soirées sans que ça ne paraisse ridicule ? Les gens viendraient-ils à un truc pareil (à savoir une soirée en semaine, autour d'une bouteille de vin, de quelques chips et d'une question de société précise) ? La suite au prochain épisode...

Les autres arrivent aux alentours de 20 heures. Pour ce soir, il faut simplement décider de trois questions en suspens : à quelle heure nous prenons la route demain, qui prend qui dans sa voiture (nous partons avec deux véhicules) et le point de rendez-vous à Bruxelles au matin. Après moult détours, nous trouvons un terrain d'entente : nous nous retrouverons vers 5h45 près de chez Léandra. Je serai avec ma fille dans la voiture d'Emily, tandis que Léandra et Andrew voyageront avec Walter. Le rendez-vous des deux voitures se fera devant un feu rouge pas loin de chez Léandra. 

Ça a l'air simple comme ça, mais en fait c'est foutrement compliqué de trouver un compromis pour ces trois questions, surtout celle concernant le point de rendez-vous... Est-on obligé de se retrouver au matin ? Oui ? Non ? Oui ? Est-on obligé de prendre un déjeuner ensemble sur la route ? Bah oui. Bah non. Oh ben oui. Toute une série de problèmes existentiels qui me font craindre durant un moment le pire, à savoir un calvaire de tergiversations durant tout le week-end, lorsque nous aurons à choisir les attractions, la nourriture, le chemin à prendre... Mais demain est un autre jour...

Nous partons tous tôt, vers 22 heures. Emily me ramène, ainsi que ma fille, à mon appartement, en voiture. J'essaie de faire dormir Gaëlle le plus vite possible : pas facile mais j'arrive à lui faire comprendre la nécessité d'être en forme demain pour son plus grand amusement. Quant à moi, forcément, je ne m'endors pas avant 1h30 du matin. La nuit risque d'être – ou plutôt sera très courte, comme d'habitude. 

La théorie de la bulle

Ce matin au réveil, en relisant mon texte d'hier à la recherche d'éventuelles fautes d'orthographe (je suis vraiment atteint – comme la tarte), je me dis que la principale critique – ou en tout cas la plus facile – qu'un contradicteur pourrait me faire quand je mentionne l'intérêt d'une "démocratie économique socialiste" (pour résumer) est la suivante : on a l'impression que j'en parle comme si, en Europe, le monde n'était constitué que d'une majorité d'ouvriers "exploités par le Capital" ; comme si je mettais de côté toute la société de service, le secteur tertiaire : le monde est multipolaire mon bon monsieur, il n'y a plus deux blocs distincts, nous sommes dans l'ère post-moderne et tout cela est très complexe. Je n'ai pas de réponse toute faite à pareil commentaire et je ne vais pas en inventer une maintenant juste pour faire le malin. Hier, je parlais d'ArcelorMittal et du secteur sidérurgique : normal donc que je mentionne l'anarcho-syndicalisme et la prise en main des moyens de production par les travailleurs... Mais après ? Il serait en tout cas intéressant de réfléchir à des ajustements théoriques (mais pas aujourd'hui).

* * *

Ce matin, une anecdote... Un nouveau coup de fil de Lewis et un nouveau message vocal : "Hamilton, c'est Lewis... [Gros blanc] Cela fait au moins dix fois que j'essaie de te téléphoner et tu ne réponds toujours pas. Tu sais comme je suis : je vais finir par devenir anxieux... Que se passe-t-il ?". Raaaaaah nondidjû ! Ben il ne se passe rien ! Pourquoi se passerait-il forcément quelque chose de nouveau depuis une semaine ? Je finis donc par suivre le conseil d'Emily et de ma collègue Wynka : j'envoie à Lewis un message pour lui expliquer la situation. Mot pour mot, cela donne : "Salut. Pas besoin de sombrer dans l'anxiété. Tout va bien... Je n'aime simplement pas quand on me téléphone trop souvent. Ça m'oppresse." Est-ce froid ? C'est la stricte vérité en tout cas. 
Car oui, ça m'oppresse. Lewis ne comprendra jamais pourquoi, je pense. Le lui expliquer est très pénible car il ne pige rien. Ce n'est pourtant pas très compliqué : c'est une chose à laquelle j'ai beaucoup réfléchi depuis l'adolescence et que j'appelle "la théorie de la bulle". Autour de moi (comme autour de tout le monde, je suppose ?), se déploie une sorte de "bulle symbolique", c'est-à-dire une sphère au seuil de laquelle une personne entre clairement dans mon espace personnel. La bulle est physique : je n'aime pas les grandes marques d'affection, ni les contacts corporels appuyés – sauf exception ; mais aussi mentale : je n'aime pas quand quelqu'un est trop présent dans mon monde, quand je ne peux pas le fuir, quand je ressens un besoin trop grand de la part cette personne, besoin que je conçois souvent comme une énervante privation de ma propre liberté. Ce que je viens de dire est très résumé et donc faux : dans la réalité, il y a certaines personnes qui peuvent sans problème franchir cette cloison imaginaire, mais il y en a d'autres qui doivent s'arrêter beaucoup plus loin de moi... Lewis est un de ceux qui a le plus de mal avec ce concept, car il est à l'opposé de ma façon de réagir : il lui faut toujours un contact. Par exemple, il aime bien prendre la main des gens quand il leur parle ou bien faire des accolades chaleureuses, choses qu'il étend au domaine auditif et visuel : il faut qu'il entende, qu'il voit les personnes qui comptent (?) pour lui, sinon il se sent abandonné (j'en ai déjà parlé précédemment)... Bref : autant de choses dont j'ai horreur...

Mais qu'importe ! Après ce message, Lewis ne m'a plus rappelé.

* * *

L'après-midi, au travail, je me prends la tête pour un projet que je vais devoir mettre en place alors que je suis en totale contradiction avec l'idée. Explications : en tant que centre d'archives, mon boulot va bientôt recevoir la visite d'une dizaine d'étudiants en histoire, qui devront dans le cadre d'un travail de fin d'année dépouiller des journaux clandestins de la Seconde Guerre mondiale, journaux que nous conservons et que nous allons devoir leur communiquer. Deux solutions : soit fournir aux étudiants les documents originaux en salle de lecture (de loin la pire solution car ce sont des documents fragiles et de valeur), soit leur donner accès à une version digitale, sur un ordinateur. Nous avons choisi la seconde solution car nous avons déjà numérisé ces journaux.

Mais mon chef Lodewijk voit dans le fait de donner libre accès à cette version numérique une série de problèmes. Problème principal : les étudiants vont pouvoir copier ces fichiers sur une clé USB ou se les envoyer par Internet (à leur place, c'est en effet ce que je ferais si j'en avais l'occasion). Problèmes secondaires : en faisant cela, ils ne devront venir qu'une seule fois dans notre salle de lecture (ce qui ne fera pas du bien à nos statistiques de fréquentation) et, par ailleurs, ils pourront diffuser après coup les fichiers qu'ils auront préalablement copiés. Vu que je suis une sorte de "Monsieur informatique" improvisé, Lodewijk me demande de trouver une solution aux problèmes susmentionnés, autrement dit de trouver une façon de cadenasser ces documents numériques, d'en interdire toute copie.

J'ai beau tourner le problème dans tous les sens, il est tellement loin de ce que je conçois en matière de libre circulation d'informations que je le trouve absurde dès l'origine. D'abord, tout simplement, je me mets forcément dans la peau de l'étudiant : si j'étais encore étudiant et que je travaillais sur un sujet donné, je ferais tout pour disposer personnellement des sources dont j'ai besoin et ainsi être indépendant des centres de documentation, car c'est ce qui est le plus logique, le plus pratique. À l'époque de mon mémoire en histoire, je photocopiais et photographiais tout ce que je pouvais (et ne pouvais pas) photocopier et photographier, histoire de ne pas me déplacer trop souvent à Arlon, Namur, voire Paris... En disant cela à mon chef, il m'a regardé assez sévèrement : "Ça ne va pas, ça : si on te dit que tu ne peux pas, tu ne peux pas !" Ha bon ? Si l'archiviste avec qui j'étais en contact aux Archives de France m'avait dit que je ne pouvais pas photocopier "mon" compte du XVe siècle microfilmé, je pense que je serais clairement devenu fou et que j'aurais pris en douce une centaine de photos dudit compte quand même, sans aucun remord... 
Mais passe encore ! Pour moi, le problème est plus général et rejoint la question du libre accès à l'information. L'informatique est une alliée et non un monstre à combattre. Pour cette raison, j'ai le plus grand mal à concevoir la mise en place d'une quelconque barrière informatique... Pour Lodewijk, une telle protection permet à notre métier (l'archivistique) de subsister car le numérique non contrôlé serait un danger : il s'imagine presque la fin de notre institution parce que nous aurions été trop débonnaires dans la libre diffusion de nos collections. Pour moi, c'est exactement l'inverse : c'est le numérique qui nous permettra de subsister. Empêcher des étudiants de copier un fichier et les obliger à venir travailler sur place est presque un non-sens : c'est une lutte perdue d'avance contre une évolution technologique positive en ce qui concerne l'accès au savoir.

Mais bon : ma vie n'en dépend pas et je pense que je vais tout de même arriver, dans ce cas-ci, à faire taire ma conscience et à trouver une solution pas trop horrible, faute de convaincre qui que ce soit...

* * *


De retour chez moi, en soirée, je trouve une deuxième carte postale d'Amy et Zapata dans ma boîte aux lettres. Elle vient du Canada. Amusant : je reçois cette carte après celle de New York, pourtant envoyée plus tard... Ha, les aléas des longs courriers ! (Cette dernière phrase contient un jeu de mots mal foutu et même pas marrant).

Je me souviens que je dois encore réaliser la cartographie de leur court périple aux États-Unis (New York - San Francisco - Yosemite National Park). Cette activité me prend une partie non négligeable de la soirée. Idée : lorsque leur voyage sera terminé (dans six mois environ), j'écrirai dans ce blog un article que je nommerai – simple exemple "Des cartes & des cartes postales", reprenant toutes les cartes que j'ai réalisées pour eux, avec en vis-à-vis le recto des cartes postales qu'ils m'ont envoyées...

Alternatives

Ce matin, mes six collègues présents au boulot et moi-même nous rendons au grand rassemblement sur la place communale de Seraing, à moins d'un kilomètre de notre lieu de travail, en signe de protestation contre la fermeture par ArcelorMittal de la "phase à chaud" de la sidérurgie liégeoise. Sur la route comme sur place, c'est l'action commune, l'union de toute la gauche ou presque... Côté syndicats, beaucoup de rouges de la FGTB (de tendance socialiste), de nombreux verts de la CSC (de tendance chrétienne), des représentants étrangers (comme la CFDT française) et même quelques rares bleus égarés de la CGSLB (de tendance libérale). "Mais qu'est-ce qu'ils foutent là ?", nous demandons-nous, ma collègue Wynka et moi... À côté des syndicats, le PTB (Parti des travailleurs de Belgique) est également en force, ainsi que quelques altermondialistes et quelques anarchistes...
Sur la place communale, noire – ou plutôt rouge et verte – de monde (au micro, ils annoncent 10.000 personnes, puis "plus de 8000", puis "des milliers"...), nous écoutons les discours des représentants syndicaux (deux gars de la CSC et deux de la FGTB, aucun de la CGSLB – faut pas déconner non plus !). Un des types de la CSC est un peu mou : il lit son texte et n'a pas l'air d'y croire plus que ça... Wynka dira qu'on a l'impression qu'il fait un sermon. Elle exagère (elle est presque de mauvaise foi)... Remarque de Sylvette : "On voit que tu n'as pas assisté à beaucoup de sermons dans ta vie !". Les deux représentants FGTB sont plus convaincants (je suis clairement partial en affirmant cela car, mon père étant un délégué "métallo" FGTB et un "bouffeur de curés", il m'a inculqué, sans même le vouloir, certains codes). À la tribune, Marc Goblet (président de la FGTB Liège-Huy-Waremme) est remonté : c'est le plus radical de tous les intervenants, celui qui mentionnera clairement l'idée d'une nationalisation du secteur sidérurgique... Et pourquoi pas en effet ? 

Dans d'autres discours, certaines phrases sont proches du non-sens. On parle de Lakshmi Mittal comme d'une personne sans cœur, uniquement intéressée par le fric (mais c'est presque une évidence, non ? Une tautologie...) ; on montre du doigt le capitalisme, devenu immoral ("devenu" ?). On nous donne presque du : "Les capitalistes, ce sont des méchants pas beaux !". Oui, mais à quoi s'attendait-on ? Quand on joue avec des loups, il ne faut pas s'étonner quand ils montrent les crocs... C'est plus une question de permanence des structures que de méchanceté : une organisation capitaliste est là pour faire du fric et pour étendre sa domination ; elle est par essence amorale, voire immorale, dans la mesure où elle n'a pas pour but d'être morale et s'installe dans chaque "espace libre" qui lui est donné d'occuper (son "comportement" change selon le système politique – le cadre légal – dans lequel elle s'installe). Un holding, une multinationale (peu importe le nom qu'on lui donnera) qui peut s'installer partout sur Terre ira toujours, à un moment donné, s'implanter là où les conditions de profit sont au maximum, se contrefichant de l'éthique, non pas parce que "c'est comme ça" mais parce que tout capitaine d'entreprise qui prendrait des décisions à l'encontre de ce type de fonctionnement ne pourrait pas être capitaine d'entreprise dans un tel système, justement. Ne pas se rendre compte de l'immoralité intrinsèque du système capitaliste et de ses "agents" – dont Mittal n'est qu'un des nombreux représentants, avec pour seule particularité celle d'être tout en haut de la pyramide , c'est se prendre un mur dans la gueule tôt ou tard. 

On en revient toujours au même débat... Comment sortir de ce système ? Encore faut-il vouloir en sortir... Et quelle est la proportion de la population qui se pose réellement la question d'un changement de société et de ce qu'il conviendrait d'installer à la place ? Je n'ai évidemment pas de réponse toute faite à cette question (le contraire eût été étonnant).
À mon sens, la seule solution qui pourrait marcher est une idée ancienne mais toujours balayée d'un revers de la main (mais que faites-vous de la libre entreprise mon bon monsieur ?) ou, dans le pire des cas, d'une salve de mitrailleuses... Cette solution (prônée par le socialisme, initialement du moins) est d'absolument reprendre le contrôle démocratique des moyens de production, peu importe comment. La démocratie politique ne vaut rien si elle n'est pas accompagnée d'une démocratie économique. Autrement dit : pour que tout le monde s'en sorte (car c'est le nœud du problème), il faut produire non pas dans le but de faire du profit mais dans celui de créer/fabriquer/construire pour les besoins de tous. Pour un état, ça peut prendre la forme d'une nationalisation (mais pas dans le sens de "sauver et de revendre plus tard à une entreprise privée") ; dans une vision anarchiste (ou anarcho-syndicaliste), c'est, dans le cas d'ArcelorMittal, l'occupation sauvage d'une usine et la reprise en main coûte que coûte des outils, par ceux qui les utilisent vraiment, au profit de ceux qui en ont besoin.

Ouais, c'est bien beau, tout ça, mais on fait comment dans ce monde-ci ? Ha ben ça, c'est la grande question, qui mériterait à elle seule plusieurs des "soirées causerie" que nous voudrions mettre en place, Léandra et moi.

* * *

Simon & Garfunkel, les Doors, les Beach Boys, les Beatles, Bob Dylan, Fats Domino, le Velvet Underground, Marvin Gaye... Aujourd'hui soir, à la Maison du Peuple, ils ont sorti leur playlist "Oldies".

Je suis seul aujourd'hui. Emily se repose (d'après ce qu'elle m'a dit hier) ; Léandra et Andrew sont à leur cours d'impro, à se lancer des "FREAK OUT!" déjantés ; quant à Walter, je ne sais pas... Constat bizarre : à chaque fois que je parle de ceux qui ne sont pas là, je me limite à eux quatre. Ça aussi, c'est la "permanence des structures".

Je n'ai rien de plus à raconter... Je passe deux heures à écrire le texte ci-dessus (tout ça pour ça ?) et puis voilà ! Je ne pense pas que j'ajouterai un "addendum" aujourd'hui. Je m'en vais vers dix heures, non sans faire, de loin, un grand sourire et un signe à Clémentine, la serveuse sympa, qui me renvoie la pareille.

* * *

De retour à mon appartement, dans ma boîte aux lettres, se trouve une carte postale en provenance de New York ! C'est la première carte que je reçois de ma vie où le continent "Europe" doit être indiqué en toutes lettres après "Bruxelles, Belgium" ! Pas besoin de regarder l'expéditeur : il s'agit d'Amy et de Zapata ! Ils quittent actuellement San Francisco pour le Mexique. Le contenu de la carte postale : New York, une ville "consumériste à crever et qui joue à la loterie avec l'économie mondiale" (ça, c'est de Zapata) ; "ONUcrottes, Eurocrottes, même combat !" (ça c'est d'Amy). Mais bon, c'est les USA, c'est tout et son contraire et ils adorent (du moins, j'espère !).

Une bonne occasion pour enfin mentionner le blog de ces deux lascars : Mundus Novus. Très chouette journal narrant leur voyage, mais il faut un mot de passe pour le consulter : contre ça, je ne peux rien faire. Un jour, je publierai peut-être ici les cartes de leur long périple : ce sera toujours mieux que rien pour les curieux !

Le baron d'Holbach, ce héros au sourire si doux

J'évacue les questions philosophiques en début de "journée". De cette manière, après les trois astérisques, c'en est fini de la philo ! En posant cet avertissement dès le début, je me dis que si les rares lecteurs de ce blog se foutent royalement de savoir si le libre arbitre est une contrainte ou pas, ils pourront sauter cette partie. De toute façon, même s'ils ne s'en foutent pas, ils feraient bien de la sauter quand même... (Sauter qui ? Ben la partie, bon sang !)

Aujourd'hui, j'apprends par hasard au boulot, en fouinant là où je ne devrais pas fouiner – je ne fume pas : faut bien que je me détende autrement de temps en temps – que ce serait p'têt' ben le baron d'Holbach (Paul-Henri Thiry pour les intimes) qui aurait inventé (ou tout au moins popularisé) le terme "coordonner". Crévindiou d'bon diou ! Le mot se trouve en toutes lettres dans son Système de la nature (...) (1770) : "Toutes les productions pour pouvoir se conserver ou se maintenir dans l'existence ont besoin de se co-ordonner avec le tout dont elles sont émanées [...]". Léandra faisait la maligne dernièrement avec son "bla-bla-bla", qui aurait p'têt ben été inventé par Céline – Louis-Ferdinand, hein, pas la chanteuse horripilante. Hé bien elle peut aller se rhabiller, Léandra : mon philosophe radical favori du XVIIIe siècle pulvérise son écrivain en inventant, non pas une onomatopée, mais un verbe qui, de nos jours encore, est utilisé à toutes les sauces. Mais qu'est-ce qu'on s'en fout ? C'est quoi cette histoire de "preum's étymologique" ?

Durant ces dix minutes de pause au travail (ça va plus vite de lire que d'écrire, bordel !), j'aperçois aussi une définition intéressante du fatalisme. Dans sa Théologie portative : dictionnaire abrégé de la religion chrétienne (1768), d'Holbach définit, de manière ironique et renversée, ledit fatalisme : "Système affreux qui soumet tout à la nécessité, dans un monde réglé par les décrets immuables de la divinité, sans la volonté de laquelle rien ne peut arriver. Si tout était nécessaire, adieu le libre arbitre de l'homme dont les prêtres ont si grand besoin pour pouvoir le damner". Subtil argument : si l'homme est doté d'un libre arbitre, l'église/la loi peut le juger sur les actes qu'il commet car chacun de ces actes est considéré comme libre/volontaire ; si l'homme n'est pas libre de ses choix (autrement dit si toutes ses actions sont déterminées par des absolus extérieurs, par la nature, par la nécessité), il ne peut être jugé car il n'est pas libre de son destin. D'Holbach préfigure Nietzsche qui dira, dans Le Crépuscule des idoles (1888) : "Il ne nous reste aujourd’hui plus aucune espèce de compassion avec l’idée du 'libre arbitre' : nous savons trop bien que c’est le tour de force théologique le plus mal famé qu’il y ait, pour rendre l’humanité 'responsable', à la façon des théologiens, ce qui veut dire : pour rendre l’humanité dépendantes des théologiens. (...) Partout où l’on cherche des responsabilités, c’est généralement l’instinct de punir et de juger qui est à l’œuvre. (...) Toute l’ancienne psychologie, la psychologie de la volonté n’existe que par le fait que ses inventeurs, les prêtres, chefs des communautés anciennes, voulurent se créer le droit d’infliger une peine – ou plutôt qu’ils voulurent créer ce droit pour Dieu... Les hommes ont été considérés comme 'libres', pour pouvoir être jugés et punis, – pour pouvoir être coupables (...)." Plus loin, Friedrich terminait par un très beau : "Le christianisme est une métaphysique du bourreau".

* * *
À mon travail, une des stagiaires en bibliothéconomie ressemble à Christelle : mêmes cheveux blonds bouclés, mêmes yeux bleus, même froideur analytique apparente, même "air général". Elle est Allemande.

À mon travail, ce midi, nous discutons d'une ancienne "tigiste" (travailleuse d'intérêt général) qui a traversé en coup de vent nos locaux, il y a plus de trois ans. Christiane, une des bibliothécaires, affirme que ladite tigiste n'est pas restée longtemps chez nous, à tel point qu'elle n'a jamais travaillé dans nos dépôts d'archives. Moi : "Faux ! Je me souviens très bien d'elle, avec ses yeux en amande, mi-tristes, mi-amusés, en train de nettoyer une étagère, sur son escabelle, dans un des entrepôts". J'étais amoureux. Je me souviens avec acuité de tous les moments durant lesquels elle était présente. Comme toujours, l'histoire fait rire mes collègues. 

(Une minute avant que la fameuse tigiste ne s'en aille pour toujours, j'avais – chose extrêmement rare ! – pris mon courage à deux mains et bégayé quelques mots embarrassés trois exactement. Un résultat : un verre dans un café liégeois et rien de plus. Une conclusion : ce verre, je ne l'aurais jamais pris avec elle si j'étais resté muet.)

* * *

Je suis dans le train de retour vers Bruxelles avec Flippo, qui est fatigué d'avoir dormi dans une voiture durant tout un trajet l'amenant à Bertrix : Flippo est greffier dans un tribunal de la jeunesse et doit se déplacer avec son juge dans divers centres pour jeunes délinquants (je ne suis pas certain que ce soit le terme exact). Je bois une bière et nous mangeons des bonbons.

En soirée, je refuse tout contact avec Lewis, qui me téléphone tout le temps et qui m'énerve prodigieusement. Lewis veut me parler : il me laisse des messages sur mon répondeur, autant de bouteilles jetées à la mer – comprend-il seulement que je déteste ce genre de comportement ? Comprend-il seulement que je déteste les personnes collantes, qui veulent s'assurer constamment de mon bien-être ? Comprend-il seulement que je suis fondamentalement un solitaire et que je n'ai besoin de personne pour fonctionner ? Ni dieu, ni maître, ni père de substitution ! Lewis me téléphone cinq fois dans la journée. Après le dîner, j'éteins mon téléphone portable. Il me laissera encore deux messages. Le premier : simplement "Lewis" ; le second : "C'est Lewis. Que se passe-t-il, mon grand ?". Je fais exprès de ne pas lui répondre. Emily me demandera plus tard – et elle a entièrement raison – pourquoi je ne lui envoie pas simplement un message pour lui dire que je n'aime pas ça... La réponse : sans doute une certaine forme de méchanceté revancharde qui consiste à laisser dans l'expectative ceux qui me sollicitent plus que de raison...

Je passe la soirée avec Emily à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. Emily est encore un peu malade (elle tousse de temps en temps) mais, à part ce détail, elle se porte bien, je trouve.

La musique des années 80 est à l'honneur aujourd'hui. À un moment, passe "I Won't Let You Down" de Ph.D... Sans doute la chanson est-elle aussi nulle que toutes les autres (Emily n'a pas l'air spécialement enchantée de l'entendre en tout cas) mais pour moi elle revêt une signification particulière : c'était ma chanson préférée quand j'étais un tout petit gamin, ex æquo avec "Maid of Orleans" d'Orchestral Manoeuvres in the Dark... Ha, la New Wave ! J'ai beau regarder tout cela avec un œil plus critique aujourd'hui, elle restera à jamais une des musiques de mon enfance (et si j'aime The Cure ou Echo and the Bunnymen encore aujourd'hui, c'est grâce à cet héritage des eighties).

(Après des décennies, je réécoute/revisionne cette vidéo d'OMD et je me dis : non seulement que le rythme syncopé de la batterie est terrible, mais aussi que la danse hystérique du chanteur est tout bonnement fantastique ! Mon but avoué si jamais j'arpente à nouveau une piste de danse : arriver, sans trembler, à un tel résultat.)

Tiens, Wali est accoudé au bar. J'ai passé trois heures avec ce gars et sa copine dernièrement, mais il ne me reconnaît même pas. (À un moment, il drague une des serveuses dans les toilettes, l'Espagnole qui a du mal à parler français : "Ha, tu fais du théâtre... Comme c'est intéressant !").

Emily me reconduit chez moi. Il me faut un peu de temps pour réaliser qu'il n'est que... 9 heures du soir.

Reprise du travail : fragments

                              "Tiens qui voilà ! Toujours en vie ?" (Wynka)
                                  Ben faut croire, vu que je suis là...

             "Tu sais, sans toi, Aurèle ne rigolait plus du tout. Rolande 
               a essayé quelques blagues, mais ça ne fonctionnait
              pas aussi bien..." (Sylvette)

                            "Alors, ça va ? Rétabli ?" (Lodewijk)

     "Camarade Hamilton ! Alors, tu
       as pu à nouveau tester l'Orval ?" (Rolande) 
        Ouais, il n'y a au-cu-ne différence, en fait !
                                                              "Salut !" (Aurèle)
                                                                 Salut !

              "Sans toi, en deux semaines, ça a moins rigolé." (Christiane) 
                  Ha ben oui, que voulez-vous, ma bonne dame ? 
          "C'était comment, cette opération ?" (Charlotte, par téléphone)
         Ben en fait, ils font un trou dans le nombril, 
           et ils plantent une caméra dedans, si j'ai bien pigé...
* * *
Je suis fatigué. Ce soir, je n'ai pas envie d'être dérangé. Je reste chez moi, tranquillement, avec une bière et des vinyles. Mais ne pas être dérangé en soirée est un exercice périlleux. Lewis essaie de me téléphoner, comme d'habitude. Je ne lui réponds pas, comme d'habitude. Il me laisse un message vocal, comme d'habitude. Je l'imagine dans son petit appartement : "Hamilton ne me répond pas. Peut-être est-il à l'agonie ?". Non, il n'a juste pas envie de décrocher et d'entendre une phrase-bateau du genre "Tu n'es pas seul, mon grand, tu sais...".

Plus tard, coup de fil de Vinge. Je ne réponds pas. Re-coup de fil de Vinge. Je mange ; je ne réponds pas. Vinge me contacte donc sur Facebook. J'avais déjà du mal avec Wittgenstein, mais avec Vinge, c'est encore plus compliqué. Je ne pige que des bribes de conversation. Exemples : "J'attends la signature de Didier pour le boulot" ; "Au pire, je bosse en janvier. On va faire Zébulon dans mon appart. Tournicoton ! Sans clope, sans canette..." ; "Sinon, j'ai vu Tintin. Pas terrible... Un peu Indiana Jones, avec des bouts de Gollum"... Il propose de me téléphoner mais j'élude : "Tu peux me téléphoner demain s'il te plaît ? Je suis fatigué, je bois une bière devant South Park et je vais bientôt aller dormir...". C'est la stricte vérité.

Je vais en effet me coucher très tôt (23h). Je n'ai rien écrit aujourd'hui. Il faudra que je me rattrape demain (et demain, c'est aujourd'hui : paradoxe).

Frères ennemis

J'ai tellement de choses à raconter que j'ai envie de les écrire sur deux journées successives, d'autant plus qu'il est déjà assez tard, que je recommence le labeur demain et que le présent "travail" d'écriture va me prendre un temps certain... Mais je ne peux pas écrire sur deux journées des pensées ou des événements qui se sont articulés sur une seule, pour la simple et bonne raison que ce qui s'est passé aujourd'hui doit être écrit aujourd'hui (ou tout au moins à la date d'aujourd'hui). Je me fais donc couler un bain, je m'ouvre un Orval et je commence le présent texte à 23h40, montre (façon de parler) en main, sans vraiment savoir si j'arriverai jusqu'au bout de la tâche...

* * *

Je commence par le plus ennuyant (ou par le plus intéressant – tout dépend du point de vue) : dans mon lit ce matin et dans le train me conduisant vers La Louvière cet après-midi (voir plus loin), je termine la lecture du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein. Il m'aura fallu un temps démesurément long pour achever ces 80 pages d'aphorismes numérotés : j'ai en effet, sauf exception, dû relire chaque proposition au moins deux fois pour la comprendre, avec plus ou moins de succès (il faut croire que je n'ai pas pensé a priori toutes les pensées qui s'y trouvaient exprimées). 

Au cours de cette fin de lecture, j'ai retenu une proposition plus que toute autre (pour une raison toute bête, expliquée un peu plus loin) : "5.153 – Une proposition n'est, en elle-même, ni probable ni improbable. Un événement se produit ou ne se produit pas, il n'y a pas de milieu". Ha ! Comment ne pas voir une référence tardive (1965) à cet aphorisme dans Dune de Frank Herbert, lorsque Liet Kynes, l'écologiste (ou plutôt "planétologiste") impérial, répond à une remarque du Duc Leto sur la probabilité qu'un événement (à savoir le fait de se poser en plein désert avec un engin aérien) se produise : "On ne parle jamais de probabilités, sur Arrakis. On ne parle que de possibilités." ? Je vois peut-être des analogies où il n'y en a pas, mais l'analogie est à prendre pour ce qu'elle est : une analogie, justement.

Plus loin, sur le solipsisme (ce livre répond – ou plutôt ne répond pas ! – à plein de questions que je me pose depuis très longtemps) : "5.64 – On voit ici que le solipsisme, développé en toute rigueur, coïncide avec le réalisme pur. Le je du solipsisme se réduit à un point sans extension, et il reste la réalité qui lui est coordonnée". Ceci nécessite une explication : "5.641 – Il y a donc réellement un sens selon lequel il peut être question en philosophie d'un je, non psychologiquement. Le je fait son entrée dans la philosophie grâce à ceci : que 'le monde est mon monde'. Le je philosophique n'est ni l'être humain, ni le corps humain, ni l'âme humaine dont s'occupe la psychologie, mais c'est le sujet métaphysique, qui est frontière – et non partie – du monde". Tout est dit, et rien n'est dit !

Oui, rien n'est dit et je ne peux que me demander, devant ce qui n'est – précision importante – qu'une traduction de l'œuvre originale, jusqu'à quel point l'auteur ne se joue pas de nous, considérant, en premier lieu, la devise de Kürnberger qui ouvre le traité ("... et tout ce que l'on sait, qu'on n'a pas seulement entendu comme un bruissement ou un grondement, se laisse dire en trois mots.") et, en second lieu, la propension fondamentalement contradictoire de Wittgenstein à multiplier les exemples, les explications (qui n'en sont pas vraiment), les tautologies et les démonstrations logiques... Ainsi, durant des pages et des pages, Wittgenstein (dé?)montre qu'en logique, tout est nécessaire (ou autrement dit : que rien n'est contingent, que rien n'est laissé au hasard) car la logique (et, par-delà, le langage) contient (doit contenir) en substance l'image complète du monde : une démonstration logique n'est dès lors qu'une extension d'une proposition logique initiale, plus simple, qui peut s'exprimer en quelques symboles. À un endroit du Tractatus, on retrouvera d'ailleurs la maxime "Simplex sigillum veri" (la simplicité est le sceau de la vérité), à d'autres des références au rasoir d'Occam.
(Il y a beaucoup trop de parenthèses dans mon texte.)

Dans son avant-propos, Wittgenstein considère que le but de son Tractatus serait atteint "s'il se trouvait quelqu'un qui, l'ayant lu et compris, en retirait du plaisir". À la toute fin (juste avant la proposition 7 finale), il écrit que le lecteur qui aurait compris toutes ces propositions doit "jeter l'échelle après y être monté" ; en d'autres termes qu'il doit au final dépasser, surmonter les propositions que l'auteur a étalées sur 80 pages. Comment ne pas y voir une forme subtile d'ironie ? Vous avez bouffé à n'en plus finir mes aphorismes ? Fallait que vous le fassiez pour vous élever intellectuellement, pour comprendre le sens de ma pensée ; mais, au bout du compte, tout cela n'a pas de sens... Sacré Ludwig, va ! La démarche prend alors l'allure d'une tautologie géante... Ou bien d'une fraction mathématique complexe dont on pourrait éliminer en cours de route la plupart des numérateurs et des dénominateurs.

Le pire dans l'histoire, c'est que j'en ai retiré du plaisir.
J'ai tout lu.
Par contre, je n'ai pas tout compris.
Mais Russell non plus, apparemment.
Morale bancale : ne jamais sous-estimer sa propre capacité d'homme du commun à mécomprendre une œuvre, car même des génies comme Russell y arrivent très bien tout seuls.

* * * 

Si je prends le train jusque La Louvière, c'est parce que je me rends à l'anniversaire (4 ans) de ma filleule Anouchka, la fille ainée de mon ami Fred Jr. La sœur cadette de Fred vient me chercher en voiture avec son compagnon à la gare de La Louvière-Sud, direction le village d'Écaussinnes.

Sont invités une kyrielle de monde... Par rapport à Fred : sa maman ; ses deux sœurs et ses deux beaux-frères ; ses grands-parents paternels ; ses beaux-parents. Par rapport à Anouchka : sa marraine Pippa et son compagnon Julien. Et puis, il y avait aussi le parrain de Mado (la seconde fille de Fred), avec sa femme, leur fils, leur fille et le compagnon de cette dernière. Bref, beaucoup de monde. Mais tout ce monde part assez vite : quand on invite les gens pour un goûter vers 15h, ceux-ci se sentent obligés de partir avant le souper, soit avant 18h. Reste Pippa et Julien, qui s'en iront un peu plus tard. Puis ne reste plus que moi (comprendre : comme invité, évidemment).

Pippa et Julien sont partis en vacances à Madagascar. La conclusion de Julien : de superbes souvenirs mais un voyage assez cher, à moins de parcourir le pays en taxi-brousse (ce qui prend beaucoup plus de temps) et de dormir dans des hôtels "où l'on est couché à cent mètres des animaux sauvages". En ce qui les concerne, ils ont pris la confortable option 4x4, avec chauffeur car il est déconseillé, voire interdit, de louer une voiture par soi-même sur place, à cause de l'état des routes et de la nécessité de bien connaître le pays. Je parle également avec eux de Disneyland®, qu'ils connaissent bien. Ils me vantent les attractions aux décors hyper-soignés et me conseillent tous deux une attraction parmi toutes les autres : la "Tour de la Terreur", sorte de faux hôtel abandonné (genre Shining de Kubrick) dans lequel les visiteurs sont piégés à l'intérieur d'un ascenseur fou.

Anouchka déballe ses cadeaux mais ça ne l'intéresse pas plus que ça, à l'exception d'un simple ballon de gymnastique sur lequel elle peut se contorsionner. Constat éternel : donnez un jouet en or à un enfant, il jouera avec l'emballage. Les invités partis, Anouchka se "recentre" sur moi. Elle veut (dans le désordre) : que je joue avec elle avec le fameux ballon, que je la pousse à la balançoire, que je la prenne sur mes épaules... Elle accepte difficilement la contrariété (aller prendre son bain, perdre à un jeu, ne pas pouvoir me reconduire jusqu'à la gare, partager ses jouets avec sa petite sœur...). Un enfant de quatre ans, quoi.

Avant de me reconduire à la gare, Fred me montre en vitesse ses deux jeux du moment sur Playstation 3 : "Uncharted 2: Among Thieves" et "FIFA 12". Qu'est-ce que ça a changé, ces jeux sur console... Je n'aime pas le football, mais "FIFA 12" est un monstre de réalisme : commentaires "en direct" hallucinants, supporters, bouille et manies de chaque footballeur, ombres, terrain, possibilités étendues niveau gameplay, etc.

* * *

(J'ai triché, comme souvent : cette dernière partie, je l'ai écrite dans le train le lundi 24 octobre. Faut dire qu'il commençait à être vachement tard.) De retour à Bruxelles, je suis censé retrouver Léandra et Andrew, qui assistent à un concert totalement improvisé au Verschueren. Léger changement de programme : Léandra doit se casser en urgence pour rejoindre Jonas, "qui ne va pas bien". Léandra accourt, vole à son secours, avec (du moins je l'imagine) beaucoup d'entrain. 

Pas de Léandra ce soir donc, mais un Walter et un Andrew qui se sont retranchés à la Maison du Peuple. Vendredi dernier, Walter s'est fait viré de son boulot de "cadre à l'essai" dans la jungle immobilière néolibérale. Une des raisons invoquées : le fait qu'il n'arrive jamais le matin avant 8 heures et qu'il ne reparte jamais le soir à 22 heures. Son chef de service lui a sorti un truc débile du genre : "Dans le privé, on est des fighters ; si tu veux travailler moins, va dans le public !" Du grand n'importe quoi : comme si le nombre d'heures passées au travail avait un quelconque rapport avec le rendement et l'efficacité... On se croirait revenu aux manufactures du XIXe siècle, sauf que ce que les patrons d'alors réclamaient aux prolétaires (12 heures de travail minimum pour un salaire de misère), c'est désormais aux cadres nouvellement sortis de l'université qu'ils le demandent. Ce système se renouvelle et fonctionne sur base d'une promesse, à la manière d'un rite initiatique : "Travaille dur pendant quelques années. On l'a tous fait avant toi, on y est tous passé et c'est comme ça que ça fonctionne ici-bas. Plus tard, tu pourras peut-être avoir un beau salaire et beaucoup d'avantages". La stratégie de l'âne et de la carotte... En attendant le beau salaire qui miroite au loin, le quotidien de ces jeunes fraîchement sortis des écoles d'économie est plutôt fait de stages mal rémunérés et de contrats précaires... La nouvelle exploitation au service de la flexibilité. Woaw !

Je continue à penser, à la suite de Bertrand Russell (encore lui), que c'est une manière absurde et compulsive de considérer le travail. Celui-ci est sans doute nécessaire à toute société (on ne peut être oisif tout le temps – bien qu'avec l'informatisation des tâches et la robotisation, ce ne soit pas impossible à concevoir) mais son optimisation permettrait à tous de travailler beaucoup moins. Travailler moins, c'est plus de liberté. Plus de liberté, c'est plus de bonheur. Plus de bonheur, c'est une société plus belle. Oh, comme il est naïf de penser ça ! Oui, de la même manière qu'il est naïf de penser que travailler énormément sauvera "notre" monde.

Quand Andrew et moi parlons d'autre chose, Walter entre dans un mutisme dont il est coutumier quand il est obnubilé par une idée, son idée. Il se contrebalance complètement de cette conversation qui bifurque vers Lévi-Strauss, la révolution néolithique et les premiers échanges commerciaux. Il part donc fumer ses cigarettes ou passe le temps en jouant sur son smartphone (toujours ce même jeu où il faut monter le plus haut possible !). La discussion était pourtant très intéressante, à mon sens.

Lors d'une des pauses cigarette de Walter, une des serveuses les plus gentilles de la Maison du Peuple (celle qui a parfois une salopette, et que je vais appeler Clémentine – pourquoi Clémentine ? Parce que !), vient débarrasser la table et nous demande, à Andrew et à moi :

– En fait, vous êtes frères ?
– Euh, non. Celle-là, on ne nous l'avait encore jamais faite. Pourquoi cette question ? On se ressemble ?
– Non, mais vous êtes très souvent là ensemble, donc...
– Ben non, non, on n'est pas frères. Juste amis. Ou plutôt ennemis, justement.

Pourquoi cette question ? Plein d'interprétations sont possibles. L'anecdote m'en rappelle une autre : cette jeune femme qui, en nous voyant Andrew et moi avec Gaëlle, le 3 juin 2011 au premier Apéro saint-gillois de l'été, a cru que Gaëlle était notre fille à tous les deux. Donc, après avoir été pendant un bref instant pris pour un couple gay, nous voilà maintenant dans le rôle des deux frères ennemis. Et la prochaine fois, ce sera quoi ? Seul l'avenir nous le dira !

Si un arbre tombe dans la forêt et que personne ne l'entend, quelle est la couleur de l'arbre ?

– Papa, tu sais quelle est ma couleur préférée ?
– Rose ?
– Non.
– Mauve ?
– Non.
– Violet ?
– Naaaaan.
– Rouge ?
– Non.
– Bleu ?
– Non plus.
– Vert ?
– Non.
– Vert forêt ?
– Non !
– Brun ?
Non.

– Magenta ?

– C'est quoi "magenta" ?
– Cyan ?
– C'est quoi "cyan" ?
– Lapis-lazuli ?
– Quoi ?
– Ocre ?
– Nan.
– Grenat ?
– Naaaan.   
– Émeraude ? 
– Naaaaaaaan. Je ne sais même pas ce que c'est, toutes ces couleurs !
– Jaune ?

– Même pas.

– Blanc !
– Non. 
– Noir ?
– Oui, c'est le noir ! Le noir, c'est le papa de toutes les couleurs, et le blanc, c'est la maman.
(Toute ressemblance avec un dialogue entre Guybrush Threepwood et Herman Toothrot dans Monkey Island 2: LeChuck's Revenge® ne peut être que le résultat d'une imagination débordante.)

* * *

Aujourd'hui, ma famille et moi-même fêtons, en avance de deux jours, l'anniversaire de ma fille Gaëlle chez ma grand-mère. Ma mère a acheté trois tartes et un délicieux gâteau aux bananes chez un des meilleurs pâtissiers de la région. 
Comme cadeau, en plus de plein de fric à dépenser chez Mickey le week-end prochain, Gaëlle a notamment reçu un jeu de "Air Hockey" miniature, doté d'une mini-soufflerie... Le Air Hockey est un jeu qui se joue à deux (tout seul, c'est beaucoup moins palpitant) sur une table équipée d'un système de soufflerie. Le but est simple : envoyer un disque en plastique (la "rondelle") dans le but adverse, à l'aide d'un maillet (ou "pusher"). On retrouve ce jeu dans certaines salles de bowling ou de billards, dans les Luna Parks de la côte belge, ainsi qu'à Plopsa Coo. Souvenirs, souvenirs : Fin des années 80, Brøderbund Software avait sorti une version vidéoludique pas mal foutue de ce jeu, intitulée "Shufflepuck Cafe" : il fallait triompher de neuf adversaires tous plus loufoques les uns que les autres (un robot, un lézard, un cochon extraterrestre, un nerd à lunettes...), aux stratégies variées...
Je me suis par ailleurs demandé, en voyant la version miniature de ce jeu, s'il existait des compétitions internationales, avec de grands champions. La réponse : mais oui, évidemment ! Le champion en titre s'appelle Danny Hynes. Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, son jeu n'est pas spécialement impressionnant à regarder (c'est le gars chauve, à gauche) :
Dès qu'il y a moyen, Gaëlle veut néanmoins jouer à Spelunky. Je rectifie : Gaëlle veut me regarder jouer à Spelunky. Bigre ! Le constat est sans appel : je deviens foutrement bon à ce jeu ! Bientôt, je pourrai sans problème accéder au niveau caché de la Cité d'Or, hahaha !