Archives mensuelles : novembre 2011

Rock français 5 étoiles (1)

Grève d'une partie du personnel d'entretien de la SNCB ce jeudi matin. Pour me rendre à mon boulot, à défaut d'autres choix, je monte dans le train à double étage de 7h31, celui qui emprunte "l'ancienne ligne", fait arrêt dans six gares et roule au rythme d'un escargot, augmentant le temps de trajet de quarante minutes environ...

J'ai donc plus de temps devant moi...
Oui, mais plus de temps pour faire quoi ?
Je n'ai pas envie de lire.
Je n'ai pas envie d'écrire.
Je n'arrive même pas à dormir, malgré la fatigue héritée de ma soirée solitaire d'hier, passée à rédiger jusqu'à pas d'heure – et avec curieusement beaucoup de motivation.
Je finis par écouter de la musique.

Michel Cloup (duo), Notre silence

Dans le train vide ou presque, je décide donc d'écouter un album nouvellement acquis à la suite d'une chronique extrêmement positive parue dans le RIFRAF du mois de novembre. L'album : Notre silence, de Michel Cloup (duo). Le style : du rock français intimiste et minimaliste. Les protagonistes : le guitariste et chanteur Michel Cloup, accompagné du batteur Patrick Cartier. J'en écoute assez rarement, de ce rock-là, obnubilé que je suis (un peu trop sans doute) par ce qui se passe outre-Atlantique, outre-Manche voire outre-Rhin... 

Cet album, Notre Silence donc, est une vraie tuerie... Pour comprendre l'émoi qui me submerge, seul ou presque, dans mon train-escargot, il conviendrait d'écouter en entier et en boucle un des morceaux-fleuves de l'album (plus de 11 minutes), celui intitulé "L'enfant" : des guitares anguleuses et saturées appuyant un texte déclamé plus que chanté. "C'est pertinent comme du Shellac", lit-on dans RIFRAF. C'est vrai, et j'aurais presque envie de rajouter, si je ne m'étais promis ici-même de ne plus parler de ce groupe, que c'est incisif comme du Slint (ce qui serait un très beau compliment)... 
"L'enfant" relate ce qui ressemble très fort aux limbes d'une rupture amoureuse : ce curieux court moment durant lequel un ancien couple partage encore le même foyer, les mêmes pièces, les mêmes gestes mécaniques, les mêmes repas ("Je suis en retard pour le dernier repas que tu as spécialement préparé pour moi")... Une chanson magnifiquement construite, fantastiquement écrite, faite de constantes oppositions père/enfant ("J'étais devenu le père, je suis redevenu l'enfant") ou chaud/froid ("Tes joues glaciales sur les miennes bouillonnantes"). Et puis, ces dernières paroles, marquantes : "Tu m'embrasses rapidement et me parle de mes enfants : ne t'inquiète surtout pas, je les embrasserai... pour toi !".

"Notre silence", le deuxième morceau-fleuve de l'album, est une pépite d'un autre genre, faite d'une (très) lente progression de guitares et de batterie glaciales, coupée brièvement par un chœur enfantin venu de nulle part, et se terminant par un véritable déluge sonore... Du post-rock à texte. Quant aux autres morceaux, ils possèdent la même intelligence, la même urgence, la même franchise.

À noter en passant – car ce blog est avant tout un journal personnel sans queue ni tête qui n'a nullement la vocation d'être un site de critique musicale à part entière – qu'une des chansons de l'album ("Plusieurs fois cet après-midi") me rappelle mon amie Léandra et sa façon de considérer les appels téléphoniques : "Plusieurs fois cet après-midi, j'ai eu envie de t'appeler, pour savoir comment tu allais aujourd'hui. Nous aurions parlé de tout et de rien... Une avalanche de banalités, comme nous le faisions quotidiennement... Et tu m'aurais sans doute rassuré sur des détails assez peu importants. J'aurais fait la même chose avec toi. Ça m'aurait fait du bien ; ça t'aurait fait du bien aussi, je crois... Et nous aurions raccroché, un peu mieux tous les deux."

Pas moyen de trouver pour l'instant sur le Web, en guise d'entrée en matière, une version en streaming de "Notre silence" ou de "L'enfant", alors je me rabats sur la première chanson de l'album, splendide aussi d'ailleurs (et sans doute un peu plus facile d'accès), "Cette colère"... Ça parle de deuil, de colère indomptable, c'est très beau et ça donne le ton.



Maison du Peuple avec Emily & Walter

Emily était malade en ce début de semaine (encore, oui)... Aujourd'hui, ça va mieux, alors elle propose de nous retrouver... à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, avec Walter, qui arrivera plus tard. Bigre, j'y aurai vraiment passé toutes mes soirées, dans ce café !

Les serveuses et serveurs sont tellement habitués de me voir débarquer que je n'ai souvent plus besoin d'ouvrir la bouche pour commander à boire. On me sert directement un Orval, ou à défaut une Chimay blanche (l'Orval est une denrée rare pour l'instant : les serveurs me disent tous que c'est à cause des exports prioritaires vers les États-Unis – décidément, chaque café dispose de sa propre "version des faits"). Être connu pour la bière que je commande au bar... Je ne sais pas si je dois m'en féliciter ou m'en inquiéter... 

Je ne me rappelle plus très bien de quoi nous avons parlé. Je n'ai pas mangé, je bois beaucoup trop et j'en suis presque saoul. La Maison du Peuple est pleine à craquer, comme chaque jeudi soir, d'autant plus que nous sommes une veille de jour férié. Quelles conneries ai-je racontées ? Je préfère ne pas le savoir.

En fin de soirée, une de mes serveuses préférées (celle que j'appelle Clémentine, mais qui ne s'appelle sans doute pas Clémentine) arrive à notre table et ramasse les petits bouts de papier éparpillés un peu partout : "Ha mais ça y est, vous avez recommencé à tout déchirer !". Moi : "Hé mais ce n'est pas moi cette fois-ci, c'est elle, c'est Emily ! Je ne suis responsable que des petites cocottes en carton !". Alors, Clémentine prend une des cocottes en question et me la met sur ma tête. Pourquoi pas ? 

Un peu plus tard, une autre serveuse (la blonde que j'appelle... euh... comment je l'appelle, celle-là ? Ha ben elle n'a pas encore de surnom, en fait – je vais l'appeler Gwen) passe avec un plateau sur lequel est posé un verre rempli de bière. Maladroite, elle me le renverse carrément sur la tête, mon manteau et mon sac. Conséquence : je commence à puer la bière – manquait plus que ça ! Pour se faire pardonner, elle me lance : "Désolée, désolée, je t'offrirai la prochaine". Il n'y a pas eu de prochaine lors de cette soirée... J'espère qu'elle s'en souviendra la prochaine fois...

Tadjikistan

Jeudi 10 novembre 2011

Ce matin, dans le train vers Liège, je réfléchis sérieusement à la question de l'héritage laissé par les Achéménides dans la politique monétaire du Tadjikistan moderne... De fait, l'influence de Xerxès Ier n'est certainement pas anod...
- STOP !
- Hein ? Keskispasse ? Quoi ? Koi ?
- Stop ! On n'est pas encore jeudi, là !
- Mais... Mais... Je prenais juste de l'avance sur l'horaire...
- Non, non et non... C'est du grand n'importe quoi... 
- Mais les Achéménides...
- Non mais faut arrêter, mon vieux ! On voit bien que t'y connais que dalle et que t'es allé zieuter sur Wikipédia !
- Mais Xerxés... Euh...
- Et en plus, tu recommences avec tes discussions qui n'ont jamais eu lieu... Faut arrêter ! Faut arrêter, sérieux ! Je me répète, mais t'es sur une mauvaise pente, l'ami !
- Je pensais bien faire, moi... Parfois, je suis très en retard... Parfois, je prends de l'avance... Ça se tient, non ?
- Et je dis ça parce que je t'aime bien. Sinon, je te laisserais tomber comme une merde, tu sais ! Comme une merde, yep !
- Oui, oui, je sais, je sais...
- Allez, viens, j'te paie un Orval...
- Ils n'ont plus d'Orval. Frère Xavier a dit que la produ...
- Bah, allez, j'te paie une Chimay Blanche alors... T'aimes bien la Chimay Blanche, hein ?
- Ouais, ouais, ça va...La Chimay Blanche, c'est la deuxiè...
- Xerxès, pfff...

Enfance 2.0

Statistiques ferroviaires

Ce matin, mon train est supprimé pour une sombre histoire de signalisation en gare de Schaerbeek... D'autres trains roulent mais le mien fait désespérément du surplace. Lorsque la contrôleuse annonce, dans un français plus qu'approximatif, que tout le monde doit descendre afin d'emprunter un autre train qui, exchepchionnellement, s'arrêtera pour nous permettre d'embarquer, je ne suis même pas surpris... Pour l'instant, et sans vouloir spécialement taper sur l'administration des chemins de fer – les gros beaufs râleurs des forums de presse y arrivent très bien sans moi –, je suis beaucoup plus surpris quand mon train arrive à destination à l'heure et sans encombre... Ma collègue Rolande, très ordonnée, a d'ailleurs certainement dû acheter un petit classeur A5 afin de stocker toutes les attestations de retard SNCB que je lui ai remises... Un bête calcul : en moyenne deux retards conséquents par semaine x environ 45 semaines de boulot par an x bientôt 6 ans = un peu moins de 540 attestations ! Et en prenant pour base un retard d'une demi-heure, ça nous fait 270 heures de perdues, soit plus de 30 jours sur 6 ans, soit 1 mois et demi de boulot à ne pas y être !

Dans le genre "calcul débile qui fait peur", celui du nombre de kilomètres parcourus depuis que je travaille là-bas n'est pas mal non plus... À la grosse louche, ça nous fait : 200 km aller-retour (Bruxelles-banlieue de Liège-Bruxelles) par jour x 220 (nombre de jours prestés approximativement) x bientôt 6 ans. Résultat : presque 264.000 km, soit plus de six fois le tour de la Terre à l'équateur. Encore un petit effort et j'aurai parcouru la distance Terre-Lune (dont le demi-grand axe est de 384.399 km). Toute cette distance pour faire ce bête trajet on ne peut plus répétitif à travers la campagne flamande... Quant au temps passé en train (juste pour ce boulot), à raison d'une heure pour 100 km environ, j'en suis à plus ou moins 2640 heures de train, soit 110 jours (de 24 heures) de ma vie : 110 jours à lire, réfléchir, parler, écrire, visionner des séries, regarder le paysage monotone ou tout simplement dormir. Bah ! Si je comptabilise le nombre de jours que j'ai passés à réaliser d'autres conneries (comme jouer à World of Warcraft, boire des verres ou m'énerver tout seul sur les absconses déclarations d'Alain Finkielkraut...), 110 jours, ce n'est pas tant que ça tout compte fait...

Verrouillage informatique, mon amour

Durant ma journée de travail (écourtée d'une heure en raison d'un train supprimé – voir ci-dessus), je me suis évertué à découvrir une manière efficace de verrouiller la copie d'archives numériques... Résumé d'une situation déjà explicitée dans un précédent post : 


1- je travaille dans un centre d'archives ;
2- des étudiants de master doivent, dès demain, venir consulter dans notre salle de lecture un très grand nombre de documents d'archives (à savoir des centaines de titres de presse clandestine publiés durant la Seconde Guerre mondiale) ;

3- ces documents sont très fragiles (car ronéotypes sur du mauvais papier) et ne peuvent pour la plupart être consultés que numériquement, sur trois vieux ordinateurs installés dans la salle de lecture ;
4- pour des raisons liées au droit, à la propriété et la fréquentation de notre institution, les étudiants ne peuvent pas copier ces fichiers sur un support tiers (clé USB, CD-ROM, DVD-ROM...) ;
5- mais (c'est là qu'est l'os) ils doivent pouvoir y avoir accès en lecture.

Question : comment faire pour permettre auxdits étudiants de voir/lire ces documents sur un PC sans qu'ils aient jamais la possibilité de les copier en masse sur leur clé USB personnelle ou sur tout autre support ? Une réponse simple et rapide peut être lue sur de nombreux forums consacrés à l'informatique : c'est impossible mon gars, car à partir du moment où ils peuvent voir quelque chose à l'écran, ils peuvent aussi le copier ; autrement dit : à partir du moment où ils ont un accès en lecture, ils ont forcément également un accès à la copie. Tout ce qu'on peut faire, c'est leur alourdir la tâche, par des bricolages un peu ridicules et indignes d'un informaticien (même très amateur), du genre : augmenter virtuellement le volume de chaque fichier ou ne leur donner accès à l'image que via un visionneur très cloisonné, sans possibilité d'aller fouiner ailleurs... Je laisse tomber ce genre de solutions : je les trouve totalement nulles et ça me prendrait de toute façon trop de temps pour un résultat plus que mitigé.

Et puis, j'arrive à une solution un peu con mais beaucoup plus valable, en prenant le problème par l'autre bout (il m'aura fallu une matinée de réflexion car je suis un peu lent à la détente – est-il encore utile de le préciser ?). La question, ramenée à sa plus simple expression, est : comment empêcher les vils étudiants machiavéliques prêts à tout pour spolier le gentil centre d'archives qui ne demande qu'à subsister en ces temps troublés de récupérer de manière massive des images non libres de droit ? Hé bien pas besoin d'inventer un système compliqué de verrouillage de fichiers, mon p'tit Hamilton (comme dirait Fany, dont soit dit en passant je n'ai plus aucune  nouvelle) ! Il suffit d'empêcher l'accès à tous les périphériques extérieurs. Ceux-ci ne sont qu'au nombre de quatre : lecteur de disquette (dont on se fout royalement, dans la mesure où ce format est totalement obsolète et qu'une disquette ne permet même pas de stocker une seule image), connexion Internet (facilement déconnectable et de toute façon limitée en upload), et ensuite les deux derniers, plus problématiques : graveur DVD-ROM et port USB. Pour ces deux derniers, c'est tout con : il suffit de les désactiver (et on te paie pour ça, ducon ?). La solution est au final toute simple : petit passage par la base de registre de Windows, modification de deux ridicules petits nombres hexadécimaux à un endroit très précis de cette base, redémarrage du système... Et au revoir les périphériques !

Je suis satisfait d'avoir trouvé cette solution et en même temps, sur le plan éthique, ça me fait très mal de mettre en place de telles barrières à l'information... Est-ce que j'arriverai à dormir cette nuit ? Oui, je crois que ça ira, mais il ne faudra pas me demander ce genre de démarches trop souvent...

Enfance 2.0

Discussion intéressante durant le temps de midi au boulot : l'accès des enfants (de 5 à 15 ans) à l'informatique et aux jeux vidéo. Ma collègue Wynka annonce, un peu dépitée, que son gamin de six ans voudrait une Wii pour la Saint-Nicolas. Un rien technophile, je lui lance sans réfléchir : "Ha, c'est un très bon choix de console pour son âge : il pourra bouger tout en s'amusant sur des jeux familiaux !".

Wynka, dubitative : "Ha ben figure-toi que c'est exactement le même argument que celui avancé par mon compagnon !"
Moi : "Ben oui, j'aurais fait le même choix pour Gaëlle. Une Wii, c'est bien pour les gosses. La Playstation, c'est pour plus tard..."
Sylvette : "En même temps, faut mettre des quotas, parce que sinon, ils passent des heures et des heures par jour sur leur console..."
Moi : "Et ?"
Sylvette : "Ben c'est pas bien pour leur développement..."
Moi : "Pourquoi ?"
Sylvette : "Ben ils pourraient sortir à la place, voir du monde, rencontrer des enfants de leur âge, tout ça..."
Moi, pas très convaincu (et me souvenant par ailleurs – sans vouloir le moins du monde paraître prétentieux – des "enfants de mon âge") : "Ha..."
Christiane : "Et puis, plus tard, ça en fait des adultes incapables de se servir d'un marteau..."
Moi : "D'un autre côté, ce n'est pas très grave..."
Christiane & Sylvette : "Bah si, c'est grave !"
Moi : "Perso, je préfère me servir d'un ordinateur convenablement que d'un marteau."
Christiane : "Ouais, mais bon, en passant leur journée sur une console, ils ne sauront rien faire de leurs mains."
Moi (de mauvaise foi) : "D'un autre côté, s'ils passent leur journée avec un marteau, ils ne pourront pas faire grand chose non plus..."
Tout le monde (ou presque) : "Pffff..."
Christiane : "En cas d'apocalypse nucléaire, tu n'irais pas loin avec un PC. Par contre avec un marteau..."
Moi : "Ouais, mais bon... Dans l'absolu, il sera encore temps d'apprendre à se servir d'un marteau à ce moment-là... Et puis, la question n'est pas là, car, en fait, je sais me servir d'un marteau."
(Gros silence...)
Moi : "En gros, ce n'est pas une question de laisser un enfant faire n'importe quoi. C'est juste le considérer comme un être doué de raison et lui laisser le choix de son temps libre. Qu'il s'amuse et qu'il apprenne sur un PC, une console, un livre, une BD, un marteau, peu importe ! L'important est qu'il ait la liberté de le faire ! Il aura assez de contraintes par après... Trop, en fait."

En lançant cette dernière phrase, je me souviens de mon éducation, de mon premier PC (à l'âge de huit ans) et de mes soirées entières passées, enfant puis adolescent, simplement à lire des livres, à programmer en GW-BASIC (je sais, c'est un peu nul) ou à jouer des heures sur mon Commodore PC-10 puis, plus tard, sur mon 386... Je ne me souviens pas vraiment avoir été restreint outre mesure dans cette liberté par mes parents... À partir de 12-13 ans, je lisais ce que je voulais (ou presque), je jouais comme je le voulais et je réussissais sans problème à l'école... Je garde de cette époque un souvenir sans doute biaisé, j'en suis conscient d'énorme liberté...

Et maintenant, à trente ans et des poussières, me voilà tout ce qu'il y a de plus épanoui, ouais, ouais ! (Hem.)

Discussions rêvées

– Dis donc, Hamil', pour le moment, tu aimes particulièrement les retranscriptions de discussions dans ton journal, non ?
– Ah oui ? tu trouves ? 
– Bah oui ! Tu ne fais presque plus que ça : retranscrire des discussions... Hier avec Fred puis Wali ; avant-hier avec Léandra puis Mary ; dimanche avec Gaëlle... On dirait que t'as trouvé une nouvelle façon de nous communiquer toutes tes conneries.
– Et c'est lassant, c'est ça ? 
– Bah... Euh... Non, ça va encore... Mais j'ai l'impression que ça devient compulsif, voire malsain...
– "Compulsif" ? "Malsain" ? M'enfin, tu déconnes ou quoi ? C'est juste que, quand je discute avec des gens, c'est souvent plus simple, forcément, d'adopter le format de la discussion, avec des tirets marquant les différents protagonistes, et tout et tout...
– Ben justement, pour cette discussion, il n'y a à proprement parler pas de "protagonistes"...
– Comment ça ?
– Hé bien, tu ne discutes avec personne, en ce moment...
– Je ne comprends pas.
– Cette discussion, tu l'as inventée de toutes pièces. C'est dans ta tête, mon gars. Personne ne t'a jamais réellement dit que, pour le moment, tu aimais particulièrement retranscrire des discussions dans ton journal.
Ha-ha-ha !
– Je t'assure ! Tu es en train d'écrire un truc qui n'a jamais été prononcé dans le monde réel, une discussion qui n'a jamais réellement eu lieu.
– T'essaies de me faire flipper, c'est ça ? De me dire que je deviens complètement fou ?
– Pas spécialement... Peut-être n'es-tu pas fou... Peut-être testes-tu simplement une nouvelle fois la technique de la mise en abyme ? Dans ce cas, c'est à nouveau totalement raté !
Pffff...
– Ben c'est comme ça, mon gars ! Désolé si je te fais de la peine, mais t'es sur la mauvaise pente, là !
– J'ai juste une question : si cette discussion n'a pas réellement eu lieu, faute de protagoniste, ça veut dire que tu n'existes pas réellement ! Qu'est-ce que tu réponds à ça ?
(...)
– Ha ! Je l'ai eu à son propre jeu, ce couillon ! 
* * *


– Oui, allo ?
– Hamilton ! Ça va ? T'es où ?
– Je suis à la Maison du Peuple.
– Ha ! Comme c'est original !
– Oui, ça m'arrive très rarement, je sais... Les serveurs ne m'ont pas reconnu et m'ont proposé un Coca.
Haha ! Tu es seul ?
– Oui, je suis seul...
– Moi, je passe la soirée avec Nanash, mais je t'appelais pour autre chose...
– Pour autre chose ?
– Oui... Je me disais que je réécrirais bien une journée sur ton blog, à l'occasion.
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas, je me suis dit que ça te permettrait de te reposer un peu...
– Ha oui, c'est une bonne idée. D'autant plus que j'ai du mal pour le moment... Et tu parlerais de quoi ? 
– De toi entre autres, mais pas spécialement de ta journée... Et d'autres trucs...
– Bon, OK, et tu veux faire ça quand ?
– Je ne sais pas. C'est bon pour moi de ce vendredi à mardi prochain...
– Disons lundi alors. Il ne se passe jamais rien le lundi !
 

* * *


– Oui, allo ?
– Hamilton, c'est Tintin ! Dis, je voulais te remercier d'avoir réaffirmé la persistance de ma clarté linéaire intangible face au déferlement de la "performance capture"...
– Oh, bah, tu sais, c'est peu de choses... Mais merci d'avoir appelé ! Je suis très touché !

"Uh, does anyone here speak English?"

Je suis seul à la Maison du Peuple de Saint-Gilles... Vers 22h30, coup de fil d'un numéro privé... Je pense un court instant avoir affaire à un(e) vendeur(se) voulant me vanter l'intérêt de m'abonner à Luminus/Electrabel à la place d'Electrabel/Luminus, puis je me rappelle de l'heure et me dis que ce genre de coup de téléphone n'est pas probable à cette heure tardive. Je décroche.

– Hamil', c'est Fred !
– Hé ! Coucou ! Ça va ?
– Ouais, là, je sors de "Tintin" et tu avais raison : c'est vraiment une grosse merde, ce truc !
Ha ! Tu ne peux pas savoir à quel point ça me fait plaisir que tu me le dises ! Mais bon, c'est logique, vu que t'es un amateur de bandes dessinées, et aussi de Tintin...
– C'est vraiment du grand n'importe quoi ! C'est comme tu disais : au début, on se dit que ça va être bien et puis c'est vraiment dé-bi-le !
– Ouais, je trouve aussi...
– Comme toi, je n'arrive pas à comprendre comment certains tintinophiles ont pu adhérer à ce machin... C'est assez incroyable en fait !
– Ouais, à mon avis, ils ont été payés ou alors ils ont reçu certains privilèges, du genre "droits d'exclusivité sur les interviews"...
– Et puis, il y a vraiment des scènes récupérées d'Indiana Jones... Haddock dans le side-car, c'est le père d'Indiana Jones : le type qui foire tout ou presque dans la Dernière croisade !
– Clairement... Haddock, c'est Henry Jones.
– Je suis vraiment énervé. Il fallait que je partage ma haine avec quelqu'un ! 
(Oh, comme je le comprends !)

On peut continuer la liste, avec juste ce qu'il faut de mauvaise foi : les Dupondt, ce sont deux incarnations de Marcus Brody ; Omar Ben Salaad, c'est le Sultan qui veut absolument sa Rolls-Royce ; etc.

J'en profite pour affirmer ici même que, alors que j'ai détesté le "Tintin" de Spielberg (et c'est peu dire !), j'ai toujours adoré Indiana Jones (du moins les trois premiers épisodes). L'humour y est réussi, les scènes d'action extrêmement bien dosées et le scénario bien ficelé... Oui, oui ! Je mentionne ce fait afin qu'on ne puisse à aucun moment me taxer de "Spielbergophobie" primaire, car ce serait un affront à la vérité vraie, oui Monsieur ! Par exemple, je trouve Duel vachement bien foutu et, enfant, j'ai été très impressionné par Rencontres du troisième type, malgré la performance ridiculement mauvaise de François Truffaut. (Vraiment aucun rapport, mais je viens à l'instant de me rendre compte, en zieutant par hasard une photo sur Google, de la ressemblance assez phénoménale entre Toine du badminton et ledit réalisateur français !)
* * *


Avant de retourner chez moi, je me fais intercepter par Wali, un des habitués de la Maison du Peuple... Le 19 octobre, j'avais passé une fin de soirée avec Darnia et lui. Depuis lors, aucune nouvelle de Darnia (ça t'étonne, Hamilton ?). Par contre, Wali, je l'ai revu à plusieurs reprises accoudé au bar, sans qu'il ne se rende compte de ma présence...

– Je t'avais vu plus tôt mais t'avais l'air très concentré sur ton PC... J'ai pas voulu te déranger.
– Ha, ben tu pouvais... Y a pas de problème...
Alors, ça va, tu as recommencé à travailler ?
– Euh... Oui, faut bien. J'ai été opéré il y a un mois... J'ai recommencé il y a plus de deux semaines donc...
– Et sinon, ça va ?
– Ouais, ouais, ça va... Et toi ?
– Ah ça va bien ! Je reviens de Pologne et je repars bientôt... J'ai trouvé une petite copine là-bas...
– Ha ?
– Là-bas, les filles sont supérieures, franchement. En intelligence, surtout.
– Ha ?
– Oui, ici, en Occident, tu peux rester des années célibataire... Les femmes ne comprennent pas les hommes. Là-bas, c'est différent... Elles sont moins égoïstes, elles comprennent mieux...
– Ha.
– D'ailleurs, tu te souviens de la soirée qu'on a passée ensemble ?
– À la table, là-bas, avec Darnia ? 
– Ouais. Tu l'as revue depuis ?
– Non.
– Ben moi non plus. Mais tu vois, on était deux célibataires et bon, elle n'a rien essayé...
– Hmmm... Faut dire qu'on... Enfin je n'ai rien essayé non plus...   
– Ouais mais bon.
– Ben ouais.

– Là, tu vois, j'ai pris une voiture, j'ai tracé à travers l'Allemagne, direction Cracovie, une ville universitaire, et en très peu de temps, voilà que je tombe sur une fille, quoi. Et elles sont toutes plus intelligentes là-bas. Je veux pas faire de stéréotype, mais en moyenne, c'est vrai.
– Ha ?
– Ouais, ouais...
* * *

Hé bien voilà, il semblerait que j'ai rattrapé ce putain de retard d'écriture accumulé depuis Disneyland® Paris (Tchoutchou !)... Je suis à jour, je suis à jour ! 

Bribes de discussions

(Ces échanges n'ont jamais eu lieu stricto sensu, dans la mesure où j'ai déplacé, supprimé et recollé des éléments de discussion pour recréer une conversation suivie. Le fond des échanges, par contre, est plus ou moins respecté...)

(Avec Léandra, vers 15h40, à la Maison du Peuple de Saint-Gilles.)
– (...) Par après, je me suis dit que la prochaine fois que j'écrirais une nouvelle, je créerais une structure avant de commencer.
– M'enfin, mais oui !
– Parce que là, je ne sais pas trop comment retomber sur mes pattes...
– Ben oui...
– Ouais, je sais, c'est très con. Mais sinon, ce n'est pas trop nul quand même ?
– Non, ça va, mais tu restes trop dans le monde des idées, tu devrais ajouter beaucoup plus d'éléments narratifs.
– J'ai du mal avec la narration... Par contre, les idées, j'aime bien...
– Oui, mais on ne fait pas une nouvelle rien qu'avec des idées.
– Je sais, mais c'était censé être le début, j'aurais développé la narration par après...
– Moi, je l'aurais bien vu plus ancré dans le réel, ce début de nouvelle. Par exemple, tu aurais dû réellement faire croire que tu écrivais cela maintenant parce que tu n'avais pas ta fille ce week-end ; et aussi faire comprendre que tu n'aurais jamais osé écrire quoi que ce soit pendant qu'elle était là.
– Ha ouais, c'est pas con, mais c'est trop tard. De toute façon, je pense sérieusement que je vais laisser tomber.
– Tu peux aussi arrêter pour le moment et reprendre plus tard.
– Tu crois que ça se fait, ça ? Que je pourrais reprendre le week-end prochain par exemple ?
– Bah oui.
– Ouais, bof... C'était une expérience. Je vais laisser tomber, ce n'est pas grave. Ce n'est pas comme si des gens me lisaient, hein...
– Hmmmm...

(Toujours avec Léandra, vers 17h30, dans les "coursives" du Potemkine, devant un concert de jazz du Fred Becker Trio.)
– Pfff, je n'ai vraiment pas le moral.
– C'est à cause de Jonas ?
– Oui et non. De toute façon, pour sortir avec lui comme la dernière fois, autant ne pas sortir avec lui.
– De fait.
– Je suis très déçue de constater qu'il a oublié qu'on devait se voir jeudi pour visionner trois épisodes de Star Wars. Là, il est avec ses copains, donc tout va bien pour lui. Il comptait d'ailleurs faire un truc avec eux ce jeudi.
– [Je ne sais pas si je l'ai dit ou si je l'ai pensé très fort] Ouais, donc, grosso modo, quand il angoisse, il est très content de t'avoir mais quand tout va bien, il t'oublie...
– En fait, ce qui me ferait vraiment du bien, à moi, c'est de pouvoir passer la Noël chez mes parents avec mon compagnon, quel qu'il soit.
– Tu mets la charrue avant les bœufs, là.
– Bah...
– La chose arrivera sans doute un jour, faut pas désespérer. Sans doute pas cette année, mais bon...
– Quoi ? Pas cette année ? Ooooh, pffff !
– De toute façon, ce n'est quand même pas si important que ça, non ? L'important, c'est d'être bien en couple, tu ne penses pas ? Après, tout coule de source...

– Hmmmm...

(Avec Mary, vers 22h, au Bar Parallèle, après avoir été voir le film Drive à l'UGC Toison d'Or.) 
– Et alors, quand est-ce qu'on va te rhabiller, Hamilton ?
– Quoi ? Tu reviens encore avec ça ?
– C'est très important d'avoir un style, tu ne t'en rends pas assez compte !
– Pfff...
– Il faut que je te dise un truc... Ça ne va sans doute pas te faire plaisir, mais tant pis, c'est pour ton bien : il faut vraiment que tu changes. Tes amis ne te le disent pas assez. Faut dire que Léandra est un peu comme toi, elle aussi : elle est très braquée et ça n'arrange rien.
– Pffff...
– Non, mais sans déc', t'es vraiment trop braqué, tu te mets des œillères, tu ne veux rien changer dans ta vie, tu ne te remets jamais en question. 
– Je sais... J'ai toujours été comme ça...
– Ce n'est pas une réponse, ça !
Si, c'est une réponse ! Les gens m'acceptent comme je suis, ou alors je les emmerde, sérieusement...
– Mais tu ne seras jamais heureux comme ça... Mon père est comme toi. Et mon frère a été comme toi. Mais depuis qu'il a changé, qu'il porte des nouvelles fringues, il a une vision plus positive de lui-même, il a une petite copine et il est bien mieux dans sa peau !
– Pffff... L'éternel débat... Être dans le coup : "le monde évolue alors il faut évoluer avec le monde". Ben nan, désolé ! Si le monde qui m'entoure devient totalement con, je vais pas devenir con pour être dans le mouvement...
– Ben ça fonctionne comme ça de nos jours, Hamilton ! Les femmes ont le choix désormais. Elles attendent moins longtemps. Si elles ont envie de se barrer parce que leur mec est trop chiant, elles se barrent, un point c'est tout.
Gné ? Quel rapport ?

– Ben t'as peu de chance de trouver quelqu'un, là.
Je sais. Et ?
– Ben faut que tu changes.
Ben nan.
– Raaaah, t'es chiant. Essaie au moins de changer de look. Si ça ne te va pas, au moins t'auras essayé et je te laisserai tranquille !
Nan.
– Et le boulot, pourquoi tu travailles aussi loin ?
– Bah ! J'aime bien mon boulot. C'est assez rare. Et puis, je ne cherche pas vraiment ailleurs.
– Ben tu devrais. 
– On verra.
– Pffff... Et pourquoi tu ne reprends pas le badminton ?
– Pas envie.
– Donc, en gros, ta vie, désormais, c'est : boulot-boire-dodo...
– Ouais, ça ne change pas tellement d'avant. Avant, c'était : boulot-badminton-boire-dodo...   
– Et en plus, tu ne crées rien.
– Ben j'écris, c'est toujours mieux que rien...
– Mouais...
– Hmmmm...

* * *

En fin d'après-midi, Léandra et moi sommes dans les hauteurs (les "coursives") du Potemkine pour assister à un concert de jazz qui se joue en contrebas. Il s'agit du Fred Becker Trio, sauf qu'ils sont quatre : le saxophoniste et clarinettiste Fred Becker, accompagné d'un batteur, d'un contrebassiste et d'un guitariste. Le public de départ n'est pas habitué au jazz : les applaudissements sont donc peu nourris entre les solos. Observation amusante, depuis notre "tour d'ivoire" : ce premier public sera petit à petit remplacé par un public en moyenne plus vieux et plus connaisseur, de telle manière que durant le second set, les applaudissements se feront plus chaleureux... Niveau musical, le groupe pratique un jazz pas trop difficile à suivre. Certains morceaux côtoient le rock progressif. Le batteur se marre bien, le guitariste part dans de belles envolées bruitistes et le saxophoniste a le sens du spectacle (comme le remarquera Léandra).

Peu après 19 heures, je rejoins Mary à l'UGC Toison d'Or pour un ciné. Le film choisi, après moult tergiversations : Drive de Nicolas Winding Refn. L'histoire : un homme taciturne, as de la conduite, est cascadeur pour Hollywood la journée et conducteur ("driver") pour la mafia la nuit. Tout se passe bien jusqu'au jour où, par amour pour sa voisine, il tente d'aider le mari de cette dernière dans un casse qui tourne mal. Le scénario classique...

Quand je rejoins Mary à l'UGC ce dimanche soir, elle se trouve à l'intérieur d'une file d'au moins trente mètres, qui rappelle Disneyland® mais en moins magique. Tout Bruxelles a décidé d'aller au cinéma apparemment. Arrivés dans la salle, nous sommes obligés de nous installer au second rang et de plier le cou à 45 degrés pour voir l'entièreté de l'écran.

La première heure du film se déroule dans une ambiance ouatée qui n'évite pas certains poncifs : longues scènes lancinantes où les deux "amoureux" se regardent dans le blanc des yeux sans rien dire – faut dire que le gars est un pince-sans-rire –, ralenti énervant durant un montage montrant un retour au bucolique en plein Los Angeles... Ces quelques scènes mises à part, j'aime la première heure de film dans son ensemble : les scènes de courses-poursuites sont intelligentes, la musique est prenante, le personnage principal est calme et mystérieux...

Après, ça se gâte car nous passons de la course-poursuite à la violence gratuite. Le "héros", qui ne porte pas d'arme, est obligé de recourir aux pires atrocités pour se protéger et défendre celle qu'il aime. Entre autres joyeusetés : écrabouillage compulsif de tête dans un ascenseur ou utilisation d'un marteau pour faire (très) mal... Du côté du "méchant mafieux sans pitié", nous aurons droit à une répugnante ouverture de l'artère ulnaire, ainsi qu'à d'autres scènes dans lesquelles le sang fait d'immondes gargouilllis. Toutes les cinq minutes, Mary se cache du mieux qu'elle peut. Une partie de la salle (moi y compris) rigole tellement c'est gore. Force est de constater que ce film est beaucoup moins subtil que le Parrain (rien d'étonnant). En conclusion : c'est mieux que le ridicule "Tintin" de Spielberg (pas difficile, cela dit) mais ça ne vaut certainement pas le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2011. Enfin, moi, pour ce que j'y connais en cinéma, hein...

"Nona" (2)

Samedi 5 décembre 2009

— Papa ?
— Yup ?
— Pourquoi est-ce que la lune, parfois, elle change ?
— Elle change ?
— Oui, elle change. Pourquoi est-ce que parfois on la voit comme un cercle, et parfois pas ?
— Ha oui... Les phases de la lune. C'est à cause de sa révolution autour de la Terre... Euh... Le soleil ne l'éclaire pas toujours de la même façon. Parfois, la lune est pleine, parfois c'est un croissant, parfois on ne la voit pas du tout...
— Et là, elle est quoi ?
Gaëlle me tendit un de ses dessins.
— Ben là, sur ton dessin, elle est presque pleine, mais pas vraiment. En fait, c'est ce qu'on appelle une lune gibbeuse.
— "Gibbeuse". Je ne connaissais pas le mot. Nona non plus.
Gaëlle reprit son dessin de mes mains, attrapa le rouleau de papier collant qui traînait sur sa petite table et s'en alla coller la feuille à l'un des murs de sa chambre.
Le dessin représentait un paysage de nuit. La lune était bien présente en haut à droite de la feuille : Gaëlle avait maladroitement dessiné un cercle, dont elle avait noirci avec application un mince croissant. Traversant le dessin, ce qui ressemblait à une route, avec en son centre des traits discontinus. Sur la route, un long camion vaguement esquissé mais reconnaissable. Dans le camion, un visage souriant ; devant le camion, un chat au regard triste. En arrière-plan enfin, des géants aux gueules béantes.
— Il représente quoi, ce dessin, ma chérie ?
— Ben c'est Isidore, tiens ! Nona dit qu'il faut qu'il meure.
— Ha ?
— Oui. Il doit mourir. Mais Nona dit que j'ai le choix de la mort. C'est pour ça que j'ai dessiné un camion : parce que j'ai décidé qu'il sera écrasé par un camion.
— Un camion...
— Oui, un camion. T'es bête ou quoi ? Tu sais ce que c'est, un camion, quand même ? Mais je ne sais pas où. Nona m'a dit que je devais dessiner des mangeurs de pierres.
— Des mangeurs de pierres... D'accord.
— Tu sais s'il y a des mangeurs de pierres près de la maison de Nanou et Gégé, papa ?
— Euh...

Le lendemain, pour la première fois, je voyais les petites ombres qui voltigeaient autour de ma fille.
Le lendemain, ma petite cousine arrivait en pleurs au dîner familial. Son chat venait de se faire écrabouiller par un camion.
Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.
Longtemps, je me suis levé de bonne heure.
Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours !
Oh et puis merde !

"Nona" (1)

Vendredi 4 novembre 2011

Je profite de l'absence de ma fille ce week-end pour commencer mon récit.
J'ai déjà mentionné à maintes reprises dans ce journal les facultés mémorielles et imaginatives de ma fille Gaëlle. Elle n'a aucun don pour les jeux, aucun don pour les échecs, aucun don pour la stratégie, mais elle a une fabuleuse mémoire "à tiroirs" ainsi qu'une imagination débordante.
Gaëlle se souvient de tout : de chaque événement, de chaque phrase, de chaque mot prononcé. Lorsque je lui lis une histoire, une et une seule écoute lui suffit pour emmagasiner jusqu'au moindre événement, jusqu'au moindre vocable, jusqu'à la moindre intonation, à tel point qu'elle serait capable de me ressortir mot pour mot chacun des termes de la banale aventure narrée au pied de son lit un soir de mauvais temps, un an auparavant.
Et depuis peu, Gaëlle apprend à lire et à écrire.
Depuis peu, Gaëlle découvre le monde des idées.

Gaëlle imagine, depuis l'âge de trois ans, un univers qui n'appartient qu'à elle. À trois ans et des poussières, elle a créé un personnage sans forme ni âge définis, qu'elle a toujours nommé, pour je ne sais quelle raison, "Nona".
Nona était/est/sera une petite fille.
Mais Nona n'était pas (et n'a jamais été) une petite fille.
Nona avait trois ans.
Puis, du jour au lendemain, elle en a eu trente.
Nona était vivante.
Puis, du jour au lendemain, elle est morte.
"Désormais, elle vit dans le ciel."
"Désormais, elle a des ailes."
Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Gaëlle.

Jusque là, rien que de très banal. Tous les enfants ont leurs objets transitionnels ; tous les enfants s'inventent des histoires de croque-mitaines ; tous les enfants s'imaginent des monstres tapis sous leur sommier. Peu importe la forme que prend l'aventure ainsi créée : elle contient les peurs, elle organise l'inconnu, elle contrôle le néant, elle apprivoise la mort.
Si seulement ce n'était qu'une simple histoire de croque-mitaine.
Si seulement ce n'était que dans son imagination.
Le reste de l'histoire, il m'a fallu un certain temps pour la digérer. Et il m'a fallu encore plus de temps pour l'écrire.
Le village de mon enfance est endeuillé par la mort d'un troisième enfant et cela ne peut pas – ne peut plus – être dû à la simple contingence, au simple jeu des statistiques.
Gaëlle tue, sans le savoir.
Elle a commencé avec de simples animaux – avec des chats.
Putain de chats.
Aujourd'hui, plus âgée et plus intelligente, elle est en mesure de mettre en scène – d'organiser ? – le meurtre d'êtres humains.
Elle ne s'en rend pas compte mais ça marche.

Je saute des étapes essentielles à la compréhension. Je ne sais si un jour ce journal sera lu par un autre que moi mais peu importe au final ! Ne fût-ce que pour ma propre santé mentale, et aussi pour appréhender l'entièreté de ce phénomène macabre, il faut que je couche sur papier toute l'histoire. Toute l'histoire, oui, depuis le meurtre du premier chat. Depuis le meurtre d'Isidore.

Les montagnes russes amoureuses de Léandra

Ce soir, je vais manger chez Léandra. Je reviens du boulot et je n'ai rien apporté : ni vin, ni bières, ni chips... Léandra : "Haaa, zut, mais je n'ai pas de bières pour toi, moi !". Elle ouvre son frigo, qui contient cinq bières spéciales et une bête Pils. Elle ne sait donc pas ce que contient son frigo. Cela dit, moi non plus je ne sais pas ce que contient mon frigo (si ce n'est pas grand chose)... Comme entrée, elle réchauffe une petite pizza qu'elle découpe en huit parts. Comme plat principal, des pâtes aux lardons et au pesto rouge.

Léandra n'est pas dans son assiette, elle est un peu malade. Quant à moi, j'ai le nez bouché et la gorge enrouée. Nous sommes tous les deux fatigués. Nous remettons donc la discussion prévue (l'organisation des "soirées causerie") à plus tard et parlons d'autre chose : elle, moi, les autres...

Un sujet de discussion : Jonas. Léandra est ressortie une troisième fois avec lui, mais c'est à nouveau fini. La relation n'a pas duré longtemps et n'a pas été très passionnée. Jonas n'est pas prêt, blablabla... Alors, Léandra attend et espère : "Il y a une chance sur deux pour que nous ressortions ensemble un jour. Pas spécialement tout de suite, mais un jour." Elle regarde souvent ses mails pour voir si elle n'a pas reçu de nouveaux messages. Bizarre : Léandra n'ouvre jamais sa boîte aux lettres physique (surtout par crainte des factures) mais elle n'arrête pas d'ouvrir sa "boîte aux lettres virtuelle"... Mais doit-elle réellement attendre autre chose que de sempiternelles tergiversations de la part de ce gars ? Elle l'espère, mais ce n'est pas gagné.

En attendant, le temps passe et Léandra a envie de fonder quelque chose de concret, un couple stable, et d'avoir un enfant (elle a déjà trouvé une série de prénoms et s'est même renseignée sur l'insémination artificielle)... De mon côté, j'échaffaude une théorie bancale sur le fait que Jonas est justement une sorte d'enfant qui ne sait pas ce qu'il veut, et que c'est justement ce que Léandra adore chez lui : quelqu'un qui a la force d'un enfant (imagination, réflexion hors cadre), mais qui du coup possède aussi ses faiblesses (immaturité, angoisses du monde et incapacité de construire quelque chose de solide avec quelqu'un d'autre). Mouais, c'est ça, Hamilton : analyse-toi toi-même avant d'analyser les autres...

Léandra voudrait repeindre son appartement...
– Si tu devais changer les couleurs, lesquelles choisirais-tu, Hamilton ?
– J'en sais rien. Je m'en fous un peu. J'aime bien les murs blancs.
– C'est important pourtant, de décorer son appartement.
– Ha.
– Ben oui. Tu devrais vraiment te forcer un peu et y réfléchir, pour toi aussi.
– Oui. Euh. Oh, moi, tu sais...
– Je mettrais bien du jaune, sur le mur de la cuisine, non ?
– Beuh... Euh... Moi, j'aime bien le blanc, le rouge et le noir, mais le noir, ça ne le fait pas trop.
– Gris, ce serait bien, là, non ?
– Ha oui, peut-être gris et rouge... Ou alors tout blanc, simplement ?
– Ouais, on est d'accord : je n'aurais jamais dû mettre du beige au mur. J'aurais du mettre du blanc comme au plafond.
– Hmmmm...

J'ai toujours eu certaines difficultés à discuter de l'aménagement d'un appartement. C'est un peu comme pour les vêtements. Si Mary me lisait, elle m'écrirait que ça ne va pas, que je dois affirmer mon style, ma personnalité et tout et tout... Mais ça n'a pas réellement d'importance à mes yeux. Un appartement, c'est un truc fonctionnel avant tout. J'essaie quand même de décorer un peu le mien pour me sentir chez moi mais la maigre décoration ressemble plus à une tentative ratée qu'à une véritable décoration : la copie d'une carte ancienne du Québec collée n'importe comment sur un des murs du salon, des vinyles posés un peu partout, des "posters" de groupes montréalais, des livres dans deux bibliothèques, disposés sans aucune logique de classement... Et puis voilà ! Si je devais repeindre les murs de mon appartement, je suppose que ce serait de nouveau en blanc.

Avant de partir de chez Léandra, relativement tôt, je jette un œil au frigo, recouvert d'aimants et de cartes postales. Il y a des mois, nous l'avions orné de mots-magnets : des aimants constitués d'articles définis ou indéfinis, de mots ou de partie de mots en anglais. Ils sont toujours là aujourd'hui... La photo de Gaëlle est ainsi décrite : "some beautiful angel" ; pour Walter, c'est "cigarette", "ing" (pour la banque ING) et "latex" ; et devant Charles-Henri, j'avais apposé un simple "him". 

De retour chez moi vers 23h, je lutte contre le sommeil en relisant Le Secret de La Licorne d'Hergé (pour enlever de ma tête les images de cet affreux film) et je m'endors dessus (façon de parler).

Régularité

Approchez, approchez, Mesdames et Messieurs !
Venez découvrir le journal d'Hamilton :
le seul blog du Web (mon cul ouais !) qui propose 
un article complet pour chaque jour de l'année,
tenu avec acharnement par Hamilton 1er du nom,
et suivi par ses 16 fidèles lecteurs (bien le bonjour à eux) !
 
Le contenu n'est pas toujours des plus intéressants ?
Certains articles sont d'une médiocrité confondante ?
L'auteur est un horrible gauchiste ?
L'auteur est un vil lanceur de chats ?
 
Peut-être, mais il propose un article par jour 
et c'est la seule chose qui compte...
Mais comment y arrive-t-il ?

Aujourd'hui, Léandra a eu une longue conversation téléphonique avec Judith. Un seul élément de la conversation est porté à ma connaissance, car il me concerne directement : la régularité du présent blog... (Judith a consacré son  mémoire de licence en philologie romane à l'univers des blogs.)

Cela fait six mois environ que je renouvelle mon journal au rythme d'un article par jour, avec beaucoup de difficulté pour l'instant (j'ai pris du retard à cause de mon séjour chez l'ami Walt). Au départ, il s'agissait simplement de quelques mots écrits en quatrième vitesse ; aujourd'hui, c'est plus complet, plus détaillé et plus chiant aussi (oui, oui, n'ayons pas peur des mots !). Peu importe tant que je m'amuse en l'écrivant et que je ne force personne à le lire (manquerait plus que ça !)...

Mes milliers centaines quelques lecteurs se posent sans doute peut-être la question suivante : comment est-ce que j'arrive à tenir le coup et à écrire un article complet et intéressant aussi long et ennuyeux tous les jours ? La réponse n'a aucun rapport avec le fait que je ne dors quasiment pas la nuit ou que je passe beaucoup de temps dans les transports en commun, oh que non ! La réponse est beaucoup moins tordue : j'exploite tout simplement dans ma petite cave, pour un salaire de misère, quatre blogueurs sociopathes. Un bol de céréales et une Jupiler suffisent à leur régime quotidien et ils ne se plaignent jamais (de toute façon, ils sont attachés). Bertrand s'occupe de mes textes à caractère politique ou philosophique ; Éric de tout ce qui est "amours déchus" et "textes dépressifs" ; Laurent du ludique et de l'informatique ; Rudy, enfin, de l'humour et de la musique. 

Aujourd'hui, c'est Rudy qui s'est occupé du présent texte. Je lui ai dit avant d'aller me coucher : "Rudy, pour ce soir, il faudra faire une mise en abyme, dans laquelle tu devras absolument faire croire au lecteur que c'est moi qui ai écrit ce blog mais où tu devras aussi parler des véritables artisans qui sont derrière tout ça : vous !" Rudy a très bien fait son travail car dans le présent texte, on a toujours l'impression que c'est moi qui écris. Ils sont très forts, je suis content de les avoir, ces couillons !

* * *


Bon, sinon, aujourd'hui, je fais quoi ce soir ? Je suis à la Maison du Peuple pardi (et oui !), à la même table que ce lundi. Emily est là, comme ce lundi. Elle travaille toute la soirée sur son ordinateur portable, comme ce lundi. De mon côté, j'en profite pour continuer mon texte sur Disneyland®. Emily et moi ne nous parlons presque pas de la soirée... Vers 23h, Léandra déboule dans le café. On parle un peu de Jonas (Léandra n'est de nouveau plus avec lui – c'est Santa Barbara !). Emily dit à Léandra que de toute façon, elle ne le sent pas trop, ce type, qu'il cache quelque chose... Mmmmmh... Léandra ressortira-t-elle une quatrième fois avec Jonas ? Et qu'en pensera Cassandra, qui est secrètement amoureuse de lui mais qui ne se doute pas que Matthew, le mari de Samantha, s'apprête à lui déclarer sa flamme ? Et moi dans tout ça, bordel ? La suite au prochain épisode.