Archives mensuelles : janvier 2012

Ernest le castor

Lire les premières pages de De la certitude de Wittgenstein avec Gaëlle qui regarde Bob l'éponge à la télévision dans le salon de mes parents et Mary qui m'envoie des messages pour connaître la taille de mes pulls n'est pas une affaire à prendre à la légère. C'est même quelque chose de quasiment impossible à réaliser. Si je pouvais décrire les pensées/phrases qui parcourent mon esprit à ce moment de la journée, ça donnerait approximativement :
« Qu'une proposition puisse être fausse après coup, cela dépend de Carlo ! Hé ! Carlo ! Mais reviens, qu'est-ce que tu fais ? Cela dépend de ce que j'accepte comme pouvant déterminer le sens de cette proposition. Hamil ! Tu mets quelle taille de pull ? Papa, tu as vu ce qu'il a fait, Bob ? Peut-on (comme Moore) énumérer ce que l'on sait ? Non, ce n'est pas possible ! Tu ne peux pas me faire un coup pareil, Carlo ! Comme ça, sans précision, je ne pense pas. Tu préfères un pull pour l'hiver ou pour l'été/le printemps ? Car si oui, l'expression "Je sais" est mal utilisée. Bob, s'il te plaît, Bob, lâche-moi, lâche-moi, lâche-moi ! À travers cette mauvaise utilisation, un état mental étrange et extrêmement important semble se révéler. Le printemps, c'est mieux, on sort et on drague plus ! Hihihi, pourquoi Bob, il s'accroche à Carlo comme ça ? Ma vie montre qu'il y a là une chaise, ou une porte, et ainsi de suite. Au travail, moussaillons, les pâtés de crabe n'attendent pas ! »
J'abandonne... Je pose le livre sur la table du salon et je regarde ce pauvre mais néanmoins horripilant Bob l'éponge qui tente coûte que coûte de se réconcilier avec son "ami" Carlo.

L'après-midi, ma fille regarde Fantasia, le vieux (1940) long-métrage d'animation de Walt Disney. Quand j'étais petit, je vouais une admiration sans borne à ce dessin animé. Il faisait partie de ma "tétralogie Disney", avec Taram et le Chaudron magique, Merlin l'enchanteur et Alice au pays des merveilles. Hélas ! C'est un peu comme pour le film L'Histoire sans fin, que j'ai visionné avec Gaëlle il y a deux semaines : je vois désormais tout cela avec des yeux d'adulte et je trouve les animations vieillies et le style un peu pompeux. C'est très bien animé mais le poids des ans s'est déposé sur ce chef-d'œuvre. Je me souviens que petit, j'adorais la Danse de la fée Dragée (tirée de Casse-Noisette de Tchaïkovski) et la scène finale du Mont Chauve (Une nuit sur le mont Chauve de Moussorgski). Aujourd'hui, j'apprécie toujours beaucoup la scène de la fée Dragée et j'admire le final expressionniste, mais le reste m'a prodigieusement ennuyé, pour tout dire...


Plus tard, Gaëlle, ma maman et moi jouons à "Labyrinthe", un vieux (1986) jeu de société Ravensburger dont l'objectif est d'atteindre une liste d'objets sur un plateau constitué de cases mouvantes. Lorsque je me mets à table, Gaëlle commence à pleurnicher : "Noooon, je ne veux pas que Papa joue avec nous ! Il va encore gagner !". Ben ça fait plaisir, tiens... Alors que je suis effectivement en train de gagner, forcément – contre ma mère et un petit enfant, la tâche n'est pas compliquée –, Gaëlle lance : "On va faire comme si Papa n'existait pas. Il peut jouer, mais on ne le regarde pas. Et s'il gagne, ça ne compte pas !" Ben voyons...

Pour endormir Gaëlle, le soir, je lui raconte une histoire de vache qui en a marre de brouter de l'herbe dans sa plate prairie et qui rêve de partir s'installer dans les montagnes qu'elle observe, au loin, à l'horizon. Sur le chemin, elle croise des amis, qui en croisent d'autres, qui en croisent d'autres à nouveau, etc., à tel point que lorsque la vache arrive dans un beau vallon, elle est accompagnée de 18.000 autres animaux (dont Ernest le castor, son meilleur ami). Elle a envie d'être seule, alors elle décide à contre-cœur de retourner dans sa prairie d'origine. Cependant, au milieu de la montagne, elle rencontre un yéti qui broie du noir dans sa caverne isolée. Le yéti est du genre "gentleman britannique" : il l'accueille avec de grands cris sauvages ("Yahaaaaargh !") mais dès que la vache se présente, il lui propose du thé, avec un soupçon de lait, en prenant l'accent d'un dandy. La vache tombe amoureuse de lui et décide de s'installer dans sa caverne... Et ils se marièrent et eurent beaucoup de yétis-veaux (oui, oui...). Comment ça, elle ne tient pas la route, mon histoire ?

Quel est le rapport avec Orson Welles, qui était censé hanter mes journées depuis la fin décembre ? Aucun. Je n'ai aucune suite dans les idées : je veux commencer trop de choses en même temps : regarder Citizen Kane, Le Procès et La Dame de Shanghai sans l'aide de feu Megaupload, lire tout Wittgenstein, me plonger dans l'humanisme pessimiste de von Wright, découvrir l'histoire des codes secrets et lire des ouvrages sur la civilisation minoenne (c'est nouveau ça, Hamilton ? Oui, c'est nouveau !), sans compter les autres livres que l'on m'a offerts à mon anniversaire... Du coup, je me noie dans mes "projets" et n'achève jamais rien. C'est très énervant qu'il n'y ait que si peu d'heures dans une journée, et si peu de journées dans une vie... Et qu'en plus il faille dormir !

Certitudes & incertitudes

« 207. "Étrange coïncidence que toute personne dont on a ouvert le crâne avait un cerveau !" » (Ludwig Wittgenstein, De la certitude, 1969 [posthume])

Train Liège-Namur, début d'après-midi. Dans le même wagon que moi, deux jeunes femmes discutent. Elles sont à la lisière de l'âge adulte, peut-être en première année d'école supérieure... L'une d'elle est un curieux mélange entre Fany et Mary. Elle possède le côté très dynamique de la première et la façon de parler ainsi que l'accent de la seconde. Elle avoue à sa copine qu'elle croit avoir des troubles obsessionnels compulsifs :


— J'te jure, je crois que j'ai des TOC !
— Haha !
— Naaaan, mais rigole pas, c'est pas drôle, grave quoi !
— Hum.
— Dernièrement, là, j'étais chez Dimitri, t'vois, et chez Dimitri, c'est trop space : les murs de sa cuisine sont entièrement noirs. Par contre, sa salle à manger est toute blanche. Et ses chaises sont soit noires, soit blanches !
— Et ?
— Et ben, ça me perturbe à fond.
— Pourquoi ?
— Ça me rend anxieuse de voir qu'il y a deux couleurs... En plus, parfois, les chaises sont mises n'importe comment et ne sont pas ordonnées par couleur ou par paire de couleurs.
— C'est pas si grave, pourtant.
— Si ! Franchement, j'ai du mal à rester dans la pièce. J'ai envie de tout repeindre. Et c'est comme ça dans plein de situations, avec les vêtements aussi par exemple. J'ai beaucoup de mal avec les vêtements dépareillés. 

La pauvre, comme je la plains... 

* * *

Walter, au Congo depuis à peine une semaine, m'envoie un message pour me signaler que sa mission est annulée pour raison de sécurité et qu'il rentrera en Belgique dès dimanche. Nous avions prévu, Emily, Léandra et moi, l'éventualité d'un retour hâtif, mais jamais nous aurions pu imaginer que ce fût aussi tôt.

* * *

Je reviens chez mes parents avec ma fille. Dans le salon, m'attend un colis estampillé "Amazon", celui que j'ai commandé il y a deux semaines. Il contient trois livres de Ludwig Wittgenstein (Recherches philosophiques, Le Cahier bleu et le Cahier brun, De la certitude) et Le mythe du progrès de Georg Henrik von Wright. 
J'ai envie depuis quelques mois de me replonger dans la philosophie. Lire Wittgenstein post-Tractatus (celui que l'on nomme parfois le "second Wittgenstein") m'a paru une bonne idée pour commencer, je ne sais pourquoi. Ou plutôt si : je sais exactement pourquoi ! Je suis beaucoup trop solipsiste pour le moment ; trop versé dans l'idéalisme, au sens philosophique du terme ; j'ai trop tendance à considérer ce que je vois et ressens comme étant le fruit d'une construction de mon cerveau.

Comme l'a notamment expliqué Bertrand Russell dans Human Knowledge: Its Scope and Limits (1948), ce type de conception est "psychologiquement impossible à croire et est rejetée dans les faits par ceux-là même qui disent l'accepter". Un exemple paradoxal : si j'explique à Léandra que je conçois mes pensées comme étant le seul univers existant (sous-entendant que le reste de l'humanité, y compris Léandra donc, n'existe pas en tant qu'ensemble de personnalités individuelles douées de raison), je suis dans une contradiction avec moi-même : si je pense cela, pourquoi dès lors est-ce que je lui parle, pourquoi est-ce que je réagis avec les humains comme s'ils existaient ? Autrement dit : lorsque je pense en termes de solipsisme, je pense une règle du jeu que je suis incapable d'appliquer réellement. Heureusement, sans doute.
Mais pour tout dire, je ne suis pas certain que Wittgenstein m'aidera en quoi que ce soit pour surmonter mon "blocage philosophique" actuel. Rien qu'en feuilletant De la certitude, je me dis que l'ami Ludwig et ses aphorismes vont peut-être même réussir l'exploit de me rendre encore plus incertain qu'avant. Exemples :
« 24. La question que pose l'idéaliste est à peu près celle-ci : "De quel droit est-ce que je ne doute pas de l'existence de mes mains ?" (Et à cela la réponse ne peut pas être : je sais qu'elles existent.) Mais celui qui pose une telle question néglige le fait qu'un doute portant sur l'existence ne peut fonctionner que dans un jeu de langage. Qu'il nous faudrait donc d'abord demander : de quoi aurait l'air un tel doute ? Car nous ne le comprenons pas d'emblée. » 
« 159. Enfants, nous apprenons des faits, p. ex. que tout être humain a un cerveau, et nous les acceptons les yeux fermés. Je crois qu'il existe une île, l'Australie, qui a telle forme, etc. Je crois que j'ai eu des arrière-grands-parents, que les personnes qui disaient être mes parents étaient réellement mes parents, etc. Cette croyance peut ne jamais avoir été exprimée ; et même la pensée qu'il en est ainsi, jamais pensée.  » 
Je vais être obligé d'être très attentif pour suivre la pensée de cet homme hors du commun, à l'écriture incisive et à la ponctuation très particulière. Je vais devoir me jeter à corps perdu dans cette philosophie si je veux en retirer quelque chose, ou à tout le moins la comprendre. Rien que cette idée me met du baume au cœur.

À propos de consolation : j'ai une explication à ma déprime ambiante de la semaine. Aujourd'hui, je suis malade (oui, encore !) : toux, courbatures, nez bouché et tête qui tourne. Si j'étais mal en point depuis lundi dernier, c'est parce que je préparais un petit état grippal, voilà tout. Ou pas.
* * *


Pour endormir Gaëlle cette nuit, je lui raconte deux histoires : la première est celle de bruits étranges dans un grenier au-dessus de la chambre d'une petite fille, bruits qui s'avèrent être le déplacement et le hululement d'un hibou (un classique) ; la seconde est, de nouveau, celle de bruits étranges dans un grenier mais qui ne sont plus causés pas un hibou. Ce dernier est d'ailleurs devenu l'ami de la petite fille et l'aide à retrouver la cause des nouveaux bruits. La réponse ne se fait pas attendre : il s'agit d'un gentil monstre en forme de petite boule de poils noirs qui se déplace très rapidement dans le grenier et dans la chambre. Gaëlle n'est pas rassurée :

— Ça n'existe pas vraiment, hein, ça, papa ?
— Ha mais je n'en sais rien...
— Allez, s'il te plaît. Dis-le moi : c'est inventé, hein ?
— Mmmmh ?
(Début de pleurs...)
— Raaah, oui, oui, c'est inventé !

La parabole du quai de gare

Et si on était un mot ?

Léandra me rejoint au Potemkine vers 20 heures. Elle me parle en début de soirée d'une discussion qu'elle a eue hier avec ses amis de l'impro. Le thème : "Et si on était un mot ?"

— Si j'étais un mot, me dit Léandra, ce serait l'adverbe "particulièrement". C'est ce qu'on appelle, dans le jargon, le complément d'une relation. "Particulièrement", c'est comme "très" mais en mieux. Il n'apporte pas un sens positif ni négatif ; il ne fait que renforcer la relation, comme dans la phrase : "Il est particulièrement beau"...

Nous en venons à la conclusion que si j'étais un mot, ce serait "Phylloxéra" ou bien "Allo" prononcé avec l'accent de l'Entre-Sambre-et-Meuse (à savoir : "Allôôô ?"). Emily serait "Ballot", car elle dit souvent "C'est ballot". Walter serait "Certes" car il dit souvent "Certes". Quant à Andrew, il serait "Constructivisme" ou rien !

Et si on était une ponctuation ?

Je lance dès le début de la discussion une question annexe : "Peut-on choisir d'être une ponctuation plutôt qu'un mot ?"

Réponse : mais oui, bien sûr ! Dans ce cas, Léandra serait une parenthèse, je serais un astérisque (qui n'est pas une ponctuation mais un symbole typographique), Emily évidemment un point et Andrew peut-être des guillemets (ou bien alors de l'italique, si on jouait plutôt sur la graphie). Et Walter ? Un point d'interrogation ? Bof... Jonas, quant à lui, pourrait être un chevron, ce signe qu'on utilise en HTML et en XML pour ouvrir et fermer des balises. 
Incises et parenthèses
Comme j'adore les interruptions superfétatoires, je pourrais également, à l'instar de Léandra, être une parenthèse ou bien alors un tiret cadratin voire demi-cadratin. 

Digression : j'explique à Léandra que j'ai lu quelque part qu'il valait mieux ne pas user trop souvent des parenthèses et des incises dans un texte car celles-ci ont la fâcheuse tendance, durant la lecture, de couper l'expression d'une idée ou d'une proposition.


Ceci étant dit c'est plus fort que nous, Léandra et moi n'arrêtons pas d'utiliser ces coupures à tort et à travers : "Serais-tu capable d'écrire un article entier sans utiliser une seule parenthèse ?" me demande mon amie. (Pour celui d'aujourd'hui, la chose semble déjà totalement compromise, en tout cas.)

Je pense très sérieusement que l'utilisation des parenthèses et des incises dénote une certaine façon de penser : tous ces thèmes qui s'entrechoquent, ces idées qui reviennent à la surface lorsque j'effleure un sujet, comment les mettre en avant sans utiliser ces jolies parenthèses ?

La parabole du quai de gare
Alors que nous mangeons à la Brasserie du Parvis en fin de soirée, je parle à Léandra de mes relations avec l'autre sexe :

— Depuis que je suis célibataire, j'ai souvent eu à côté de moi une femme que je vois très souvent, beaucoup plus que toutes les autres. Il ne se passe jamais rien, mais je la vois de nombreuses fois par semaine. Toi, évidemment, tu es en dehors de cette catégorie car tu es une amie, en dehors de tout ça...
(Léandra ne dit rien mais me comprend parfaitement. Je continue.)
— Après un temps plus ou moins long, cette femme finit toujours par s'en aller. Elle s'éloigne irrémédiablement, quitte Bruxelles, trouve quelqu'un ou que sais-je encore... Bref : elle fait sa vie, quoi...
— Normal...
— Oui, c'est normal. Et moi, donc, je reste là et je recommence constamment un nouveau cycle. Depuis quatre ans, je trouve que ma vie ressemble à un quai de gare. Je suis sur ce quai et je vois le train démarrer sans moi. (Un rêve que je fais de temps en temps, soit dit en passant...)
— Et tu n'entres jamais dans le train ! Haha !
— Non, même pas la moindre petite pénétration, pffff... En fait, je n'essaie jamais d'ouvrir la porte, pour tout dire.
— Hahaha !
— Et donc, avec tout ça, je reste sur le quai de la gare.
— Va sur un quai de métro, ça ira plus vite !
(Petit fou rire. À défaut de carnet, j'écris la phrase sur mon téléphone. Il faudra que je la ressorte sur mon blog en entier, cette discussion.)

Turing

Turing : à ne pas confondre avec tuning. Mathématicien britannique, Alan de son prénom. Un des fondateurs de l'informatique et as du décryptage durant la Seconde Guerre mondiale. Persécuté pour son homosexualité (société puritaine à la noix oblige), il se suicida en 1954, peut-être par ingestion d'une pomme enduite de cyanure (une référence à Blanche Neige de Walt Disney ?).

Je continue la lecture de la passionnante aventure des codes et des chiffres (Simon Singh, The Code Book), qui constitue un cheminement dialectique par excellence car à tout moment dans la longue histoire de la cryptologie (l'art de crypter et de de décrypter les messages), sont à l'œuvre deux forces antagonistes : d'un côté, celle des cryptographes (experts en cryptage) ; de l'autre, celle des cryptanalystes (experts en décryptage). Ces métiers ne sont somme toute que les deux faces de la même médaille.

Le long texte qui suit est une manière pour moi de digérer ce que j'apprends. Je conçois que tout cela puisse sembler rébarbatif. Le lecteur uniquement intéressé par ma vie privée déprimante peut dès lors sauter ces quelques notes de lecture personnelles pour ne lire que les six derniers paragraphes. Quant au lecteur qui s'en contrebalance complètement, je me demande ce qu'il fout encore ici mais... pourquoi pas tout compte fait ? Je ne suis pas contre le joyeux foutage de gueule.

* * * 


Dans la mesure où la cryptologie offre de nombreuses applications dans les domaines militaire, industriel et commercial, une progression en cryptographie (comme la création d'un message plus difficile à décrypter) entraîne forcément une évolution en miroir de la cryptanalyse (la nécessité de trouver de nouveaux stratagèmes pour briser le nouveau cryptage)... et inversement. La maîtrise des codes et des chiffres ressemble à une guerre permanente : chaque offensive entraîne la mise en place d'une stratégie défensive appropriée et vice versa.

Des deux faces de médaille évoquées plus haut, c'est le métier de cryptanalyste qui m'impressionne le plus. Déchiffrer un message dont on ne connaît rien ou presque est une forme d'art qui confine à la magie. Les plus grands dans le domaine sont tout simplement des génies, des cerveaux hors norme capables d'assimiler rapidement une série de données et de jouer constamment sur les formes et les structures internes d'un message a priori indéchiffrable. Tout cela demande à la fois un appareillage logique, une bonne connaissance des langues mais aussi aussi une étincelle de pure intuition. L'exemple le plus incroyable que j'ai lu dans ce livre pour l'instant est sans aucun doute celui de Michael Ventris, un jeune architecte qui a réussi à déchiffrer presque entièrement le linéaire B, antique langage syllabique découvert en Crète, tout cela à partir de... rien ! (Cet exemple-là, je le réserve pour plus tard.)

Dans les chapitres 3 et 4, Simon Singh s'intéresse à la mécanisation du cryptage et au cas "Enigma", une machine électromécanique, c'est-à-dire dont les composantes sont en partie électriques (pile, lampes...) et en partie mécaniques (clavier, rotors...). Inventée par l'ingénieur allemand Arthur Scherbius dans les années 1920, Enigma fut utilisée, sous une version modifiée et plus complexe, par l'armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale pour l'envoi de messages chiffrés.

Je connaissais la machine mais pas son fonctionnement. C'est très intéressant. Pour résumer, en pressant une lettre du clavier (de type "QWERTZ"), un signal électrique était envoyé à travers trois rotors qui, assemblés, permettaient le passage d'un courant à travers un réseau complexe de 26 fils électriques (correspondant aux 26 lettres de l'alphabet) installés dans chaque rotor selon un emmêlement spécifique et ayant par ce simple fait la particularité de substituer une lettre par une autre. En associant plusieurs rotors (trois dans la version "standard"), les cryptographes obtenaient une gamme assez conséquente de cryptages possibles. En outre, à chaque lettre encodée, le premier rotor tournait d'un cran ; à chaque tour complet, le premier rotor entraînait le second rotor d'un cran, qui opérait de la même manière sur le troisième... Un peu à l'image d'un compteur kilométrique mécanique de voiture...

Couplé à un système de permutation des lettres, ce système faisait d'Enigma une machine de chiffrement terriblement efficace. En outre, grâce à un réflecteur situé en fin de parcours, chaque lettre tapée engendrait une autre lettre qui s'affichait à l'aide d'une lampe en haut du clavier. L'envoyeur et le récepteur d'un message avaient tous deux la même machine Enigma, dont ils devaient configurer les rotors et les permutations exactement de la même façon (grâce à un volumineux livre de clés journalières). À configuration identique, pour déchiffrer un message, le récepteur devait simplement taper le mot chiffré sur le clavier et la réponse s'affichait en clair, lettre après lettre, lampe après lampe. Une explication plus complète (et donc forcément moins caricaturale) de ce système se trouve sur Wikipédia.

De nos jours, il existe des simulateurs d'Enigma sur le Web, comme celui-ci. Avec les réglages initiaux (1er rotor sur "A", 2e sur "M", 3e sur "I", ainsi que quelques permutations de lettres), "HAMILTON" devient "ANHROZFU". Et, grâce au fameux "réflecteur", si je tape "ANHROZFU", je retombe sur "HAMILTON". Par contre, si je décale le second rotor (simple exemple) ne fût-ce que d'une lettre ("N" au lieu de "M") par rapport au réglage initial, le cryptage change totalement et "HAMILTON" devient "GSBNHXIA". C'est magique !

Mais la magie ne s'arrête pas là... Plus fantastique encore est la façon dont les cryptanalystes alliés ont réussi à déchiffrer ces séquences de lettres censées être imperméables sans disposer de la configuration initiale des rotors. Le premier à avoir percé le mystère d'Enigma (première version) est Marian Rejewski, un jeune mathématicien polonais travaillant pour le Biuro Szyfrów (Bureau du chiffre). Au début des années 1930, avec l'aide des services secrets français qui lui ont fourni quelques livres de codes allemands décrivant les configurations journalières d'Enigma, ce gars est arrivé, à force de persévérance, d'intuition et d'esprit logique, non seulement à déduire la configuration des rotors d'Enigma, mais aussi à déchiffrer les messages eux-mêmes sans connaître la configuration quotidienne spécifique de la machine. Pour ce faire, Rejewski s'est focalisé sur une faiblesse du système de cryptage allemand : il a analysé systématiquement les six premières lettres de chaque message intercepté. Ces six lettres étaient à chaque fois constituées d'une chaîne de trois lettres (également chiffrée), répétée deux fois pour éviter les erreurs de lecture. En effet, afin d'augmenter la sécurité, la configuration des rotors changeait sans cesse et chaque opérateur débutait son message par ces 2 x 3 lettres. Ce qui était censé constituer une sécurité supplémentaire s'est avéré être une faille. Les Polonais sont également à l'origine de la première "bomba kryptologiczna" (bombe cryptographique), un ordinateur ancestral qui reproduisait mécaniquement chaque position des rotors d'Enigma.

Durant la guerre, le concept polonais de "bombe cryptographique" fut repris par l'équipe de cryptanalystes confortablement installée dans le manoir de Bletchley Park en Angleterre. L'équipe rassemblait entre autres des mathématiciens et des linguistes mais aussi... des joueurs d'échecs et des cruciverbistes ! Tous avaient leur utilité propre dans l'effort de déchiffrement (encore et toujours cette putain d'intuition !). La situation me rappelle curieusement (ou pas) un roman de Philip K. Dick intitulé Le Temps désarticulé (Time Out of Joint, 1959), dans lequel [attention spoiler !] le "héros", Raggle Gumm, se rend compte que toute sa réalité (une petite ville des années 1950) n'est en fait qu'un simulacre destiné à le maintenir dans une situation parallèle particulière (une sorte de Truman Show avant l'heure), situation qui lui permet de sauver quotidiennement la Terre des bombes nucléaires. En effet, le petit jeu en apparence inoffensif auquel il s'adonne dans le magazine local n'est autre qu'une façon pour lui de prédire, de manière très complexe, les lieux de retombée de missiles... Un jeu auquel il excelle : Gumm est un cryptanalyste qui s'ignore !

Bletchley Park était fréquenté par un authentique génie (ça pullule dans le milieu de la cryptologie) du nom d'Alan Turing. Excentrique, sportif et d'une intelligence exceptionnelle, Turing a amélioré avec le mathématicien Gordon Welchman le schéma de la bombe cryptographique. Il est également l'initiateur d'un nouveau système de décryptage d'Enigma, basé sur des "mots probables" (appelés cribs) souvent contenus dans les messages allemands cryptés, mots dont la recherche est rendue possible grâce à l'analyse mécanique de chaque combinaison possible.

Turing est un des pères de l'informatique, avec quelques autres dont il sera peut-être question une autre fois dans ce blog. La fin de sa vie est d'une tristesse absolue : il fut reconnu coupable d'indécence (selon le Criminal Law Amendment Act 1885, un ridicule reliquat de l'ère victorienne) pour son homosexualité. Pour éviter la prison, il accepta un traitement hormonal destiné à "diminuer sa libido". Il se suicida au cyanure le 8 juin 1954.

La boucle est bouclée.

* * *


Je crois que je n'ai jamais été aussi fatigué et déprimé depuis des années.  Cela fait trois jours que je ne dors que quelques heures par nuit... Comme d'habitude, ce n'est pas de l'insomnie au sens "classique" (je pourrais m'affaler dans mon lit et m'endormir en quelques minutes à peine). Non, non, c'est beaucoup plus con : je n'ai simplement pas envie de mettre mon cerveau en mode "off", parce que la nuit est sans doute le moment de la journée durant lequel je suis le plus en paix avec moi-même et peux faire ce que je veux sans être dérangé : lire, écrire, regarder un film/une série/un documentaire, réfléchir sur plein de choses... J'ai vraiment l'impression que je suis plus vif et perspicace la nuit, malgré (ou à cause de ?) l'alcool qui coule souvent en abondance dans mes veines... 


Et évidemment, je ne pense jamais au lendemain, au fait que je serai tout logiquement très fatigué au réveil. Cette absence de considération pour l'avenir, pour le futur, cette nonchalance par rapport aux projets, quels qu'ils soient, est un trait de ma personnalité dont l'origine s'est perdue dans les brumes de ma mémoire. À dix ans, je pouvais me le permettre. À vingt ans, j'avais la journée pour me reposer. À trente ans, c'est plus difficile de trouver un moment pour dormir.

Ce soir donc, lorsque je rejoins Emily pour un verre au Potemkine, c'est un zombie à l'air triste qu'elle voit arriver à sa table. Je ne sais pas aligner une phrase sans bégayer (comme d'habitude donc, mais en pire) et j'ai les yeux à moitié fermés.  

J'écoute Emily parler de son boulot, de son collègue informaticien très compétent mais ne supportant pas le travail sous pression (comme je le comprends), de son chef aux techniques managériales plus que douteuses ("En Inde, ils travaillent plus vite, bande de larves !"). De mon côté, je ne parle pas beaucoup, si ce n'est d'Alan Turing et de Michael Ventris, mes héros du jour... 

Assez curieusement, Emily me dira à la fin de la soirée qu'elle n'est "pas très en forme" et n'a donc "pas beaucoup parlé". Est-ce du mimétisme ? Elle était pourtant dans son état naturel, pour autant que je sache (je la trouve même assez sthénique, pour tout dire). C'était moi – et seulement moi – qui étais crevé et donc laconique... 

Ce soir, je m'endors vers minuit (un exploit !), devant Into the Wild Green Yonder, le quatrième film de Futurama.

Sans objet

Paradoxalement, l'histoire – ou plus exactement la mémoire – veut que je ne me rappelle plus du jour précis – une soirée universitaire sans aucun doute mais quand et où était-ce ? – durant lequel nous nous sommes vus pour la première fois. C'était il y a plus ou moins 13 ans.

C'est sans doute ce jour-là (ou pas loin) que j'ai également rencontré Zapata... L'épisode n'a pas dû être marquant, ni pour toi, ni pour moi. Normal : nous étions entourés d'une bande d'amis et sans doute un peu saouls. Et... nous ne pouvions nous douter, à cette époque bénie et sans prise de tête, que nous serions toujours les meilleurs amis du monde plus ou moins 13 ans plus tard.

Hamilton II n'est plus du tout là, même quand il devrait absolument l'être (pas grave, nous avons l'habitude). Fred Jr est toujours un grand et véritable ami (mais il est loin de Bruxelles).

Quant à toi, l'amie, il ne se passe pas une seule semaine sans que nous nous voyions, que ce soit devant un paquet de frites improvisé chez toi, un verre matinal ou nocturne à la Maison du Peuple, une soirée épique, un karaoké, un cinéma (plus rarement) ou que sais-je encore ? T'ai-je déjà dit que tu étais un repère à mes yeux, la seule et unique personne à qui je pouvais parler de tout ce dont j'avais besoin de parler ?

En l'honneur de tes 33 ans (« l'âge du Christ », « dites 33 », « pouet-pouet », « 33 tours » et toutes ces considérations honnies), j'ai passé les quinze premiers jours de janvier à capturer 33 chats... Trente-trois félins ridiculement apathiques que je sacrifierai aujourd'hui à minuit à l'aide du couteau sacrificiel consacré. Puissent leurs nombreux miaulements stridents et désespérés te porter chance !

En deux mots : bon anniversaire !

* * *

Ce soir à 20 heures, un bowling est prévu pour fêter l'anniversaire de Léandra, en compagnie d'Emily, Andrew, Flippo et Jonas. Je suis à l'avance et décide d'attendre à la Fleur en Papier doré, à une centaine de mètres du bowling.

Pour patienter, seul à ma table, je continue la lecture de l'Histoire des codes secrets (The Code Book) de Simon Singh. C'est toujours aussi passionnant : je dévore les deux chapitres consacrés à la mécanisation du codage et à « Enigma », véritable machine de guerre utilisée pour le chiffrage des messages militaires de l'Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. C'est tellement intéressant que j'y consacrerai un petit article demain.

Ils ont de la Malheur 10 (au fût), à défaut d'Orval. Brassée par la Brasserie de Landtsheer (ça ne s'invente pas !) à Buggenhout, cette bière est un véritable petit trésor : une blonde houblonnée et fruitée, dont la douceur apparente cache son taux élevé d'alcool (10%). Lorsque j'en recommande une deuxième, je lance au serveur :

« Elle est délicieuse, cette bière !
– Oui, mais attention, hé, me répond-il avec son accent flamand, elle est aussi très forte !
– Ah ? Je ne trouve pas, comme ça...
– Bois celle-là et puis tu verras, hé ! »

En effet, quand j'arrive au bowling une demi-heure plus tard, je me sens un peu nébuleux, chose qui m'arrive rarement en ne buvant que deux bières. Le résultat ne se fait pas attendre : je suis désinhibé, je ne réfléchis pas quand je lance ma boule (de bowling) et je pulvérise les scores : strike, 9, strike, spare, 8, strike, strike, 9, etc. Au final, j'atteindrai 153 points, ce qui bien mais pas top. La seconde partie par contre sera beaucoup plus catastrophique, dans la mesure où j'atteindrai difficilement les 80 points.

Léandra, de son côté, est plus déprimée que jamais. Ça se ressent dans son jeu ainsi que dans son attitude un peu lasse. La raison principale : Jonas n'a strictement rien fait pour son anniversaire : ni cadeau, ni coup de fil, ni message, ni truc spécial... Le pauvre essaie de réparer la situation mais c'est trop tard évidemment et Léandra traîne une mine jusque par terre. Toute cette histoire de manque d'attention la ronge énormément.

Après le bowling, Flippo et Andrew (malade et fatigué) reprennent le bus. L'équipée restante se rend chez Jonas pour un souper improvisé (des pâtes avec un – 1 ! – morceau de jambon et du fromage). C'est la première fois que je vois son appartement. Le cadre extérieur est pourri mais l'intérieur est très propre et bien aménagé.

La discussion tourne entre autres autour de style musical. Jonas aime le jazz, le blues, le rock et... Queen. Il parle de ce dernier comme d'une quête de l'absolu en matière de show musical. Chacun son truc... Emily n'a d'yeux que pour Opeth, Perfect Circle et Devin Townsend : des « métalleux », quoi... Quant à Léandra, elle ne dit pas grand chose mais si elle parlait, elle mentionnerait sans doute Keren Ann, Bénabar Benjamin Biolay ou Françoise Hardy. Ces différences musicales entre amis sont tellement marrantes que je garde le « gros de l'affaire » pour un prochain article.

Emily doit travailler demain (moi aussi d'ailleurs) et il est déjà minuit. Nous laissons donc Léandra et Jonas et repartons en voiture vers nos appartements respectifs (comprendre : Emily me reconduit jusque chez moi).

De l'art d'être transparent

Maison du Peuple, courant de l'après-midi, en ce lundi de congé. Je suis seul, installé à une table, devant le petit ordinateur que Léandra m'a prêté. Toutes les heures, je fais un détour par le bar pour commander un café et un ticket pour le Wi-Fi.
Et je suis transparent...
J'en ai déjà parlé aux amis, de ce "problème" : le syndrome de l'homme qui est là sans être là. J'attends au bar pendant des plombes, patiemment, sans rien dire, et d'autres personnes arrivent, happent un des serveurs et commandent leur verre. 
Et j'attends.
J'attends toujours.
J'attends encore.
Je me fais doubler, tripler par tout le monde.
Bref, je ne suis pas vraiment là.
Je pense que certaines personnes sont plus transparentes, ont moins de charisme que d'autres. C'est la vie...
Je pense que pour être plus "opaque", il faut avoir un côté beauf et sans gêne. Ou alors paraître plus confiant. Ou bien être beau, tout simplement.
Je lance de gentils "s'il vous plaît" et "merci beaucoup" lorsqu'ils me servent enfin, mais ils me jettent mon café sur le comptoir, sans un mot, comme si j'étais un moins que rien.
Je me demande pourquoi je me rends encore dans cet endroit.
L'habitude sans doute...

* * *
Le soir, badminton ! Je joue une heure et je m'en vais. La raison : l'armature de ma raquette (la jolie Nanospeed 7000 fin de série que mes amis m'ont offerte pour mon anniversaire il y a un an presque jour pour jour) est légèrement fêlée. Conséquences : des vibrations beaucoup plus fortes lors de l'impact avec le volant, qui me créent une méchante douleur à la main dès la première demi-heure. Je sais que si je force, le mal peut "descendre" et provoquer un tennis elbow (ou plutôt un "badminton elbow") beaucoup plus embêtant. Du coup, j'arrête de jouer.
Je me rends seul au Corto. Je ne suis vraiment pas en forme. J'envoie un message à Emily pour savoir si elle n'a pas envie de boire un verre dans le coin, mais ne reçois aucune réponse. J'aimerais tellement ne pas être seul en ce moment.

* * *
Pour passer le temps, j'ai avec moi Histoire des codes secrets de Simon Singh, que Jonas m'a offert ce samedi. Je dévore les 150 premières pages au Corto devant deux Jupiler. Ce livre est passionnant : ça parle de cryptographie (l'art de coder ou de chiffrer des messages) et de cryptanalyse (l'art, sans doute plus fantastique encore, de les décrypter). L'aspect historique est parfois un peu naïf et résumé (par exemple, parler de "Grecs" au sens général a-t-il un sens à l'époque des cités ?). Par contre, l'aspect technique est terriblement excitant. J'y découvre des génies qui ont déployé des trésors d'inventivité pour casser des cryptages a priori indéchiffrables, parfois par simple défi.
Je suis amusé par cette histoire d'amoureux de l'Époque victorienne qui, pour s'envoyer des mots doux sans être découverts par leurs parents puritains, écrivaient des messages cryptés dans les colonnes des journaux. Beaucoup plus dingue encore est l'histoire du Chiffre de Beale (histoire soumise à caution, cela dit) : le récit rocambolesque d'un trésor dont l'emplacement est encore aujourd'hui secret (!), à cause d'un message crypté dont seule une des trois parties (la deuxième) a été déchiffrée à ce jour. La difficulté du déchiffrage réside dans le fait que la clé est constituée de textes qui n'ont jamais été révélés directement. Dans le cas du deuxième message, un auteur anonyme a fini par se rendre compte que le texte-clé était la Déclaration d'indépendance des États-Unis. Et pour le reste ? Des chercheurs talentueux ont passé leur vie sur ce problème et s'y sont grillés les neurones !

J'aime également la echnique qui consiste à placer des points presque invisibles en dessous de certaines lettres. Par exemple, qui a remarqué le point sous le "t" du mot "technique" ci-dessus ? Bref : tout cela constitue une série de procédés que je pourrai utiliser à bon escient dans ce blog (en plus des liens invisibles)...
* * *

Mary passe au Corto après son entraînement de badminton, afin de récupérer l'écharpe qu'elle avait oubliée la semaine dernière. Nous prenons un verre en vitesse puis elle me reconduit en voiture jusque chez moi. Elle ne me parlera pas de mes vêtements aujourd'hui, mais elle porte des baskets blanches qui ne sont pas du tout appareillées au reste de son habillement. Tsss...

Univers_observable

Ma vie au sein du Superamas de la Vierge

Hamilton, mon petit Hamilton (comme dirait Fany), combien de fois t'ai-je fait comprendre que tu ne devais sous aucun prétexte ne fut-ce que jeter un œil à des articles relatifs à la taille de l'Univers observable ou à la position de notre petite planète au sein de celui-ci ? Dès que tu y réfléchis un tant soit peu, tu te tapes une crise d'angoisse.
Sauf que voilà : tu n'as pas pu t'empêcher d'aller (re)lire hier, avant ta soirée d'anniversaire, ces nombreuses pages anglophones de Wikipedia – la version francophone est souvent nettement inférieure – consacrées à la taille de l'Univers, à sa topologie, à son âge... 
Et alors ? Alors, se rendre compte de l'immensité du "vide" qui entoure notre ridicule planète bleue est à la fois passionnant et extrêmement angoissant... Passionnant car on ne peut qu'être ébahi par la taille, la structure, l'organisation et la beauté de ce que l'on observe au travers d'un télescope... Angoissant car cela mène au constat que nous ne sommes qu'une merde de mouche – c'est un euphémisme – dans le Cosmos, comme le montre le schéma ci-dessous*, reprenant la position de la Terre dans l'Univers observable (à savoir cette sphère d'environ 47 milliards d'années-lumière de rayon dont on peut en principe observer le contenu depuis la Terre, car la lumière a eu le temps de se propager jusqu'à nous) :


À chaque fois que je regarde un tel schéma, je ne peux m'empêcher de penser que ma vie est totalement et définitivement insensée et surréaliste. Tout cela n'a aucun sens. À quoi cela sert-il de se rendre compte que nous sommes là ? D'avoir l'intelligence suffisante pour constater notre propre conscience ? À quoi cela sert-il, sincèrement, de se débattre, d'avoir des projets, d'écrire, de discuter, d'apprendre, d'aimer ? En fait, cela ne sert strictement à rien, si ce n'est à passer le temps, à combler le vide d'une petite existence avant le grand Néant.

Dieu (haha, la bonne blague !) merci, je ne pense pas à cela tout le temps, auquel cas ma vie serait un véritable calvaire. En tant qu'athée, je ne peux néanmoins en aucun cas me rassurer au travers d'une quelconque religion à laquelle il m'est impossible de croire, tant je décèle les ficelles par trop humaines qui se cachent derrière tout ça. Alors quoi ? Que me reste-t-il ? Les amis ? Oui, c'est vrai. Les livres ? Ouaip. L'alcool ? Ha oui, il me reste l'alcool... Bordel ! Comme c'est triste d'en arriver là...

* * *

Je me rends à la Maison du Peuple l'après-midi. Emily arrive en même temps que moi. Elle doit travailler pour son boulot (un dimanche !). Je m'installe à sa table et j'écris ma journée d'anniversaire. Le soir, Léandra me propose de boire un café chez elle. J'accepte. Je ne sais plus de quoi nous avons parlé, si ce n'est du fait que Léandra devrait se racheter un carnet de note et que je devrais faire de même.
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* Retravaillé depuis le travail personnel d'Azcolvin429 sur Wikimedia Commons (voir ICI).

Triple anniversaire

Je ne suis pas content de la façon dont j'ai décrit cette journée assez spéciale. Je trouve le texte ci-dessous plat, matérialiste et sans passion. Et j'en suis le premier désolé.

Ce samedi soir est l'occasion de fêter un triple anniversaire : celui de mes 32 ans (le 10 janvier), celui des 33 ans de Léandra (le 17 janvier) et celui enfin de mes 4 ans de célibat (pile le 14 janvier !). Léandra et moi avons décidé de fêter les deux premiers à la Porte Noire, café celtique situé dans une vieille cave très proche de l'ancien tracé de la première enceinte médiévale de Bruxelles. Pour moi, c'est une habitude. La nouveauté réside dans la mutualisation de l'événement avec Léandra.


Sur la plan humain, il est possible de considérer quatre ensembles différents :
0x0 : ceux qui n'étaient pas invités et qui ne sont pas venus.
0x1 : ceux qui n'étaient pas invités mais qui sont venus quand même.
1x0 : ceux qui étaient invités mais qui ne sont pas venus.
1x1 : ceux qui étaient invités et qui sont venus.
0x0 : ceux qui n'étaient pas invités et qui ne sont pas venus

C'est un peu con d'en parler, puisque cet ensemble intègre la quasi-totalité de l'humanité... Je n'ai pas invité Mohandas Karamchand Gandhi ; il n'est pas venu ; normal d'ailleurs, car il est mort. Je n'ai pas non plus invité Richard Stallman et force est de constater que lui non plus n'est pas passé faire un petit coucou. Et que dire des centaines de millions de paysans chinois, que je n'ai pas invités et qui ne sont pas venus non plus ?

Plus prosaïquement, Léandra et moi avons décidé de ne pas inviter un certain nombre de personnes, principalement quelques anciens amis que nous avons perdus de vue depuis plusieurs années, ainsi qu'une grande partie du "groupe des Français". De ce pseudo-groupe, ne restent que quelques rescapés : Emily évidemment (la question de l'inviter ne se pose même pas), Lyric (que Léandra adore), Christelle (mais qui est hélas loin, très loin, trop loin de Bruxelles) et Fany (au départ, je ne l'avais pas invitée mais elle m'a envoyé un très gentil message pour mon anniversaire, donc je me suis ravisé). Pour le reste, hé bien voilà : après moult réflexions, nous avons fait l'impasse sur Lytle, Vespertine, Charles-Henri, Annabelle (qui n'est pas Française, ceci étant dit) et tous les autres. Quel intérêt de toute façon ? Nous nous sommes perdus de vue à très grande vitesse... C'est en grande partie de ma faute, d'ailleurs !

0x1 : ceux qui n'étaient pas invités mais qui sont venus quand même
Un seul élément entre dans cet ensemble et c'est le même que l'année dernière : il s'agit de Harisson, un Français, pote de Lyric... Celui qui aime bien la science-fiction et qui m'avait traité de "troskiste" un jour parce que je lui avais dit que j'étais clairement et définitivement de gauche (un curieux amalgame). Bref, ça commence à faire partie d'une tradition : Harisson vient faire un petit coucou et prendre un verre, malgré tout. Pourquoi pas, après tout ?

1x0 : ceux qui étaient invités mais qui ne sont pas venus

Dans cette catégorie, la palme d'or revient à Hamilton II, "mon vieil ami" qui m'avait confirmé qu'il passerait mais qui, au dernier moment, a préféré ne pas venir, car il est "un peu malade". Ce comportement est tellement courant de sa part qu'il vaut mieux en rire. L'année prochaine, peut-être se fera-t-il mal en ouvrant une boîte de pizza ou bien se coincera-t-il le petit orteil dans son clavier d'ordinateur ? L'année prochaine, peut-être vais-je oublier de l'inviter ?

D'autres amis ont de meilleures raisons pour ne pas venir : Fred Jr doit garder ses filles (et nous a vu jeudi dernier pour "réparer" son absence d'aujourd'hui) ; Christelle est à Lyon ; Judith fête l'anniversaire de son compagnon ; FBsr est à une réunion de parents d'élèves ; Claire est à Rome ; Vinge... euh... doit se faire opérer à au moins cinquante-sept endroits du corps (mythomane et hypocondriaque, lui ? Meuh non !).

1x1 : ceux qui étaient invités et qui sont venus

Ne reste plus qu'à traiter du plus important des ensembles, celui des amis qui nous ont fait le plaisir d'être là : Andrew (fatigué), Doëlle et son copain (en coup de vent), Emily (toute souriante, ça fait plaisir), Flippo (saoul ?), un ancien collègue de Léandra et sa compagne, Jonas (en forme), Lyric (en début de soirée, avec Harisson), Mary et deux de ses colocataires, Pat (venu de Namur juste pour l'occasion), Romain, Tom et Ophely (avec leur bébé Sophia, âgée de quatre mois !) et Walter (extrêmement stressé par son départ pour le Congo demain matin). Je ne pense avoir oublié personne.

La soirée

J'ai carburé à la pinte de Guinness toute la soirée. Je sais d'expérience qu'il ne faut jamais, au grand jamais, mélanger les bières. Pari gagné : malgré trois litres de Guinness (ou de "stout" dans le même genre) dans le corps, je ne serai à aucun moment malade. Les invités sont calmes, très calmes. Le système est, comme d'habitude, celui du (ou des) verre(s) offert(s) : dites "Anniversaire de Léandra et d'Hamilton" au bar, et vous recevrez une bière gratuite. Tout le monde a été très sage à ce niveau ou bien a refusé de profiter du système.

Comme cadeaux, outre la présence-de-mes-amis-qui-est-mon-plus-beau-cadeau-au-mondeuh-gnagnagna, j'ai reçu une série d'objets qui montrent que tous ces gens me connaissent quand même vachement bien. De Jonas, Histoire des codes secrets de Simon Singh et des cordes de guitare (!). De Flippo et Romain, Le miroir d'Andrei Tarkovski (Flippo : "Pour une fois que je peux offrir un film de Tarkovski à quelqu'un"), un guide sur Montréal et Québec ainsi que The Beats, une "anthologie graphique" sur la Beat Generation. De la "dream team" (moins Léandra qui m'a déjà offert des savons), Paroles de l'ombre. Lettres et carnets des français sous l'Occupation (1939-1945), un très beau livre-objet contenant des fac-similés de documents d'époque, ainsi que Le grand roman de la physique quantique de Manjit Kumar. De Tom et Ophely, un CD de la Passion selon saint Jean de Bach. De Pat, une bouteille de Pomerol. Tous ces cadeaux me permettront de nourrir ce blog comme il se doit durant les prochains mois. Même le Pomerol me sera utile car au plus je bois, au plus mes textes sont naturels et touchent l'essence même des choses (ben voyons !).

De la soirée en tant que telle, difficile de décrire quoi que ce soit faute d'avoir pris note. Je n'allais pas commencer à sortir un carnet tout de même !

Je pense que la plupart des gens s'y sont plu. Un constat négatif néanmoins : la Porte Noire est très bruyante passée une certaine heure, en partie à cause d'hystériques qui ne peuvent s'empêcher de parler en criant comme des sopranos à la voix éraillée. J'ai un gros problème : je ne peux tenir une discussion dans un pareil  boucan (c'était déjà comme ça dans les soirées universitaires, il y a de cela une dizaine d'années). J'ai besoin de calme pour réfléchir et pour parler. Léandra se demandera à un moment : "Peut-être est-ce nous qui devenons vieux et qui ne supportons plus ça ?". Mais non, mais non... 

Toujours est-il que nous avons décidé d'un commun accord de nous rendre en fin de soirée dans un endroit plus tranquille, à savoir le Moeder Lambic du Centre-ville. À ce moment, ne restent plus qu'Emily, Flippo, Romain, Jonas, Léandra et moi. C'est à mon sens le meilleur moment de cette soirée, sans que je puisse rationnellement expliquer pourquoi.

Vers 2h20, tout le monde rentre chez soi. Je réclame ma cigarette d'anniversaire (une Gauloise blonde horriblement forte pour un non-fumeur) à Flippo. Léandra dira : "M'enfin, c'est totalement ridicule de te voir avec une cigarette à la main !" En effet, c'est ridicule... Ensuite, nos chemins se séparent : Flippo et Romain rentrent à pied, Léandra et Jonas aussi (ce dernier habite à deux pas), Emily et moi nous dirigeons vers les arrêts de bus Noctis. Nos bus respectifs arrivent rapidement. Le mien est rempli d'une bande de jeunes saouls qui gueulent, croyant être marrants (c'est raté).

"Asterios Polyp" en 80 mots

Le talent ne requiert aucun commentaire particulier.
J'ai écrit une tartine sur Logicomix, car j'ai détesté.
Je serai très court sur Asterios Polyp, car j'ai adoré.

Asterios Polyp est un chef-d'œuvre et David Mazzucchelli un virtuose, tant sur la forme que sur le fond : la quadrichromie – en particulier le cyan et le magenta – est utilisée pour exprimer l'opposition, la dualité ; les phylactères varient selon la psychologie des personnages ; Le scénario joue sur de nombreux niveaux...

Le tour de la journée en 80 mots, épisode V

Je passe la soirée chez Léandra en compagnie de Fred et de Jonas. Fred ne peut se libérer samedi et nous offre donc nos cadeaux aujourd'hui. Pour moi, ce sera la BD Asterios Polyp de David Mazzucchelli. Je connais mais je n'ai pas. Jonas parle de théorie des jeux. Le four de Léandra dégage beaucoup de fumée. Je pars en même temps que Fred et attends avec lui son train. Je me rends compte que 80 mots, c'est très court.