Archives mensuelles : janvier 2012
Le tour de la journée en 80 mots, épisode III
Le tour de la journée en 80 mots, épisode II
Le tour de la journée en 80 mots, épisode I
La mélancolie expliquée aux enfants
L'après-midi se passe calmement : je joue quelques heures avec elle à l'instituteur. Le but : faire comme si nous étions en classe et lui donner des exercices. Curieusement, alors qu'elle déteste faire ses devoirs, elle adore ça. Pourquoi ? Parce que c'est un jeu, tout simplement. Durant les exercices, je constate à nouveau que Gaëlle n'est vraiment pas douée en lecture ni en écriture, au point que je me demande si elle n'est pas dyslexique. Elle inverse constamment les chiffres et les lettres (Armand Jammot doit se retourner dans sa tombe), elle ne sait presque rien lire, elle bute sur chaque syllabe. En mathématiques, par contre, aucun problème : les petites équations à une inconnue passent sans problème, elle comprend quelques rudiments de géométrie et est capable de compléter une suite logique... mais continue d'écrire la plupart de ses "1" à l'envers.
En soirée, je regarde avec elle L'histoire sans fin, le vieux (1984) film fantastique de Wolfgang Petersen que j'adorais quand j'étais gamin. Je le revois, après tant d'années, avec des yeux d'adulte et me dis que c'est vachement mal joué. Atreju a autant de jeu d'acteur qu'un cabillaud, les effets spéciaux sont vieillots... Comme c'est dommage de ne plus voir ce monde avec des yeux émerveillés.
Gaëlle pose des questions tout le temps car, comme tout enfant de six ans qui se respecte, elle est programmée pour poser des questions : "Pourquoi ils le poussent dans la poubelle ?", "Pourquoi il dit que le livre est dangereux ?", "Pourquoi le vieux monsieur sourit quand l'enfant prend le livre ?", "Pourquoi Bastien soupire ?", "Pourquoi il a peur ?", "Il va se faire mal s'il mange des pierres, non ?", "Pourquoi la perforatrice, elle se meurt ?" (en fait, elle voulait dire "l'impératrice"), "C'est quoi un élan-colis ?" (elle voulait parler des Marais de la Mélancolie), "C'est un dragon ou un chien ?", "C'est quoi un oracle sudérien ?", "Si la fenêtre s'ouvre dans l'école, c'est parce qu'il y a du vent dans l'autre monde ou pas ?" Pitié !
J'ai le roman dans ma bibliothèque, évidemment, et je le montre à Gaëlle. Il s'agit d'un de mes livres favoris, tout simplement parce que c'est le tout premier que j'ai dévoré (il n'y a pas d'autre mot) et qui m'a ouvert, enfant, les portes de la Fantasy. Il est composé de 26 chapitres, chacun s'ouvrant sur une lettre de l'alphabet, une lettrine enluminée. Un vrai trésor...
Quel rapport avec Orson Welles ? Aucun.
"Moi, j'aime bien la mort !"
Il faut que je lise de la philosophie, c'est très urgent. Pas n'importe laquelle. En tout cas autre chose que l'indigeste Logicomix (qui n'a de toute façon pas grand chose à voir avec de la philo). J'ai donc commandé trois ouvrages de Wittgenstein : Recherches philosophiques, Le Cahier bleu et le Cahier brun et De la certitude (faut bien commencer par quelque chose), ainsi que Le mythe du progrès du Finlandais Georg Henrik von Wright, intrigué que je fus par un article de Jacques Bouveresse sur le même sujet. La suite quand j'aurai reçu et digéré ces livres.
Claire me répond : "Comme ça tu vas prendre 2 machins avec un truc. Je connais pas l'expression en français". Claire est Italienne. Elle veut parler de l'expression "Faire d'une pierre deux coups", sauf qu'en Italien, ça ne se dit pas comme ça mais bien : "prendere due piccioni con una fava", c'est-à-dire : "attraper deux pigeons avec une fève". C'est très amusant car en anglais, pour la même expression, il est à la fois question d'oiseaux et de pierre (un mélange de l'italien et du français ?) : "kill two birds with one stone" (tuer deux oiseaux avec une pierre). En allemand, il est toujours question d'oiseaux : "zwei Fliegen mit einer Klappe schlagen" (frapper deux oiseaux d'un coup). Même chose ou presque en néerlandais : "twee vliegen in een klap slaan". Dans les autres langues, est-il question d'oiseaux et/ou de pierre ? Je n'en sais rien car Google translate est vraiment trop mal foutu.
En ce qui concerne l'expression française, en cherchant un peu, je tombe sur une étymologie sans aucun doute fausse mais loufoque : l'histoire d'un homme, un rien fainéant, logeant dans un entresol situé entre une cuisine et l'appartement de son amoureuse : quand il voulait recevoir la nourriture de l'un et l'amour de l'autre, il lançait une pierre au plafond. Le texte se trouve ICI.
Deux discussions avec Gaëlle, 6 ans, qui en valent la peine... Il s'agit presque de la retranscription exacte. Dois-je m'en inquiéter ? Dois-je amener ma fille chez un pédopsychiatre ?
— Le loup a mangé Tamala, mais ça ne me fait rien car moi, j'aime bien la mort !
— Hein ?
— Quand mon chat Ishu est mort, maman pleurait. Moi, je ne pleurais pas, parce que j'aime bien la mort. Ishu, il a été empoisonné. On croyait que le Monsieur l'avait fait exprès mais non, en fait. Ishu, il a juste mangé du poison qui n'était pas pour lui.
— Tu sais c'est quoi la mort, Gaëlle ?
— Oui, la mort, c'est quand on a peur.
— Non, ce n'est pas vraiment ça.
— Je sais, mais je ne sais pas l'expliquer.
— C'est quand on arrête de vivre, quand le cœur ne bat plus et qu'on ne peut plus voir, entendre, réfléchir... Quand on n'existe plus.
— Je sais. Je fais même des rêves de gens qui sont morts, puis quand on les revoit, ils sont vivants.
(Help !)
(Essayant de déchiffrer le titre d'un livre dans ma bibliothèque.)
— C'est pas grave. C'est presque la même chose.
— Ben non. Si tu utilises une lettre à la place de l'autre, personne ne te comprendra.
— Oui, mais c'est pas pour ça qu'on appellera la police.
(Mais où va-t-elle chercher ces expressions ?)
Logicomique
En toute logique – c'est le cas de le dire –, cette BD de plus de 300 pages aurait dû me passionner tant j'adore le sujet : le paradoxe de Russell, l'écriture des Principia Mathematica, la rencontre entre Russell et Wittgenstein, les débats du Cercle de Vienne, les débuts du positivisme logique, tout cela mis en cases dans une BD ! J'aime la période en termes de découvertes scientifiques et j'admire bon nombre de ces intellectuels. Bref : j'aurais dû applaudir l'initiative des deux mains (parce qu'avec une seule main, c'eût été beaucoup plus difficile).
"Il s'agit certainement du meilleur et du plus extraordinaire roman graphique que j'aie jamais eu entre les mains (Sunday Times)", pouvons-nous lire sur l'un des rabats de la jaquette. C'est à croire que le chroniqueur qui a signé cette critique n'a jamais rien lu d'autre. Maus d'Art Spiegelman, Persepolis de Marjane Satrapi, Jimmy Corrigan de Chris Ware, Pinocchio de Winshluss, Asterios Polyp de David Mazzucchelli, Bottomless Belly Button de Dash Shawn, pour ne citer que ceux-là : il existe des dizaines de romans graphiques bien plus extraordinaires que ce "machin". Alors quoi ?
L'intrigue dans les grandes lignes
Le scénario repose sur trois niveaux chronologiques : 1) "aujourd'hui" (une mise en abyme où nous pouvons observer les auteurs de la présente BD s'interroger sur la marche à suivre pour créer leur BD) ; 2) le 3 septembre 1939 (où nous suivons une conférence de Bertrand Russell dans une université américaine, consacrée au "rôle de la logique dans les affaires humaines") ; 3) la période 1876-1939 (un flashback sur la vie de Russell et sur ses rencontres, réalisé par Russell lui-même depuis la tribune de sa conférence de 1939). La BD joue sur ces trois niveaux : les auteurs qui racontent la conférence de Russell qui raconte sa vie.
Autoréférence, onanisme intellectuel et manque flagrant d'humilité
Car voilà : faire une BD sur Russell et les logiciens ne suffisait pas, non, non et non ! Il a fallu que les auteurs s'intègrent eux-mêmes dans leur œuvre, qu'ils se mettent à l'avant-plan, qu'ils fassent dans l'autoréférence afin de montrer leurs hésitations, leurs doutes, leurs petites chamailleries quant au cours que devait prendre leur histoire. Dès les premières pages, j'ai détesté ce procédé, non pas pour l'artifice en tant que tel mais parce que, dans ce cas précis, il n'améliore en rien le récit, contrairement à ce que croient dur comme fer lesdits auteurs. L'autoréférence, utilisée à bon escient, peut pourtant apporter beaucoup à une BD. Par exemple, dans Maus, Spiegelman utilise le même procédé pour créer une distance entre l'histoire réelle de son père et celle – forcément subjective – qu'il couchait sur le papier...
Ici, rien à voir... Imaginons le tableau... Bertrand Russell parle de sa vie à un parterre d'étudiants : il revient sur son enfance à Pembroke Lodge, sur ses premières découvertes, sur ses rencontres décisives, sur ses amours... Et puis – badaboum ! – retour au XXIe siècle et zoom sur les auteurs, qui ne peuvent pas s'empêcher de ramener leur fraise. Ils sont d'un orgueil démesuré, alors que le sujet aurait nécessité au contraire énormément d'humilité. Le dessinateur les représente toujours avec de petits yeux blasés, arborant un sourire ironique, genre "chuis universitaire et j'ai tout compris, ô lecteur !". Même le petit chien, "Manga" ("mec sympa" en argot grec, nous dit-on), est antipathique et sans relief (à la fin de l'histoire, il emmerde une chouette qui ne lui a rien demandé). Bref, c'est horripilant, mais ça passe encore.
Ça passe beaucoup moins quand les auteurs remplissent leurs phylactères – au lettrage mal centré soit dit en passant, mais peut-être est-ce là un défaut de l'édition francophone uniquement ? – d'autosatisfaction. Leur projet de BD ? "Franchement la chose la plus démente que j'aie jamais entendue !" (Christos, p. 22). La tautologie ? "Je sais ce qu'est une tautologie, merci ! Mais le lecteur moyen le sait-il, lui ?" (Christos, p. 97). La fidélité du dessin ? "Le petit garçon ressemble-t-il vraiment au petit Kurt Gödel ? — Son portrait craché !", répond le dessinateur (p. 199). Le Tractatus logico-philosophicus ? "Franchement, pour moi un des dix livres les plus surévalués !" (Christos, p. 265). Ben voyons... Tout comme Logicomix ?
Les deux chapitres les plus horribles en termes d'autoréférence sont ceux intitulés "Entracte" et "Finale", dans lesquels toute l'intrigue se déroule au XXIe siècle et s'éloigne du sujet. Les auteurs se disputent quant au fond de l'histoire : est-ce le chemin emprunté, avec tous ses tournants et ses culs-de-sac, ou la morale finale qui compte ? La logique est-elle "fille de la folie" ? Bref, des questions qui auraient dû être réglées avant d'écrire le scénario et non pas intégrées dans celui-ci.
Durant l'entracte, nous accompagnons Christos et Anne (celle qui s'est occupée de la recherche visuelle et du lettrage de la BD) à une répétition de théâtre. Christos n'arrête pas de lui parler de logique (et d'algorithmes), à la manière de Russell avec ses différentes épouses. La balade est l'occasion pour lui de visiter Athènes la nuit, qu'il ne reconnaît plus : il est très étonné de voir, dans un quartier qu'il connaissait bien, des prostituées, un magasin chinois, ainsi qu'un coiffeur avec une enseigne en hindi (oui, et ?). Il se fait harceler par un clochard pas net, puis se fait voler son portable par un "voyou". Ces quelques pages pourraient presque illustrer un tract du Front national sur "la déliquescence de notre belle société occidentale". Bon, OK, j'exagère un peu mais ça m'a marqué, tout de même : qu'est-ce que cette putain d'histoire de quartier pas sûr vient foutre dans l'histoire d'une "quête des fondements" ?
Même remarque pour la fameuse finale, où nous sommes tenus d'assister à l'Orestie d'Eschyle, qui permet aux auteurs de continuer leurs digressions et d'établir des liens ténus entre les différents aspects du récit (comparaison entre la rage des furies et la rage d'Hitler, mise en avant de la force de la raison, etc.). Trois niveaux chronologiques ne suffisaient donc pas : il fallait en rajouter in extremis un quatrième, ancré dans la Grèce antique. C'est maladroit, barbant et somme toute très pédant.
Graphiquement bon mais sans plus
Et les dessins dans tout ça ? Hé bien ils sont grosso modo dans le style de la ligne claire... Heureusement d'ailleurs, au vu de la difficulté et de la complexité du propos ! Dès la première page, j'ai néanmoins l'impression de voir une référence explicite à Scott McCloud, l'auteur de BD américain à l'origine de plusieurs essais théoriques sur la BD (dont le célèbre Art Invisible, 1993). McCloud, dans ses BD théoriques tout au moins, s'adresse lui aussi directement à ses lecteurs.
Pour le reste, le dessin reste assez banal, un peu fade. Je ne dis pas qu'Alecos Papadatos ne sait pas dessiner, mais simplement qu'il ne dessine pas comme quelqu'un qui est censé cosigner "le plus extraordinaire roman graphique de tous les temps". Tout n'est pas négatif, loin de là (ha bon ?) : il y a malgré tout une preuve certaine de savoir-faire : on reconnaît directement chaque personnage... Le "vieux Russell" ressemble au vieux Russell, avec son éternelle pipe ; Wittgenstein (assez réussi) ouvre, sur chaque case où il apparaît, ses grands yeux de génie excentrique... Revers de la médaille : le tout reste assez figé et il est possible de trouver des pages entières sans presque aucune variation de visage (à ce sujet, les scènes décrivant la conférence de 1939 sont assez exemplatives – voilà, j'aurai au moins placé un belgicisme dans ce texte).
Et puis, pourquoi toutes ces bulles gorgées de longues explications ? C'est un gâchis tellement dingue que j'ai du mal à y croire : nous avons devant les yeux une BD qui traite de philosophie et de logique, mais qui n'exploite pas l'immense possibilité du média. Quitte à copier Scott McCloud, pourquoi ne pas le faire jusqu'au bout ? Pourquoi ne pas avoir remplacé ces centaines de cases remplies de gros phylactères gorgés de textes par des schémas, des dessins expliquant plus légèrement certains concepts ? Mis à part quelques exemples rapidement expédiés (comme le paradoxe du barbier, représenté sous la forme d'un dessin plus "cartoon" qui ne paie pas de mine), rien, nada, que dalle.
Et sinon, ça parle de quoi ?
Les auteurs savaient-ils eux-mêmes où ils mettaient les pieds ? S'ils avaient su ce qu'ils devaient écrire, ils auraient pu supprimer sans problème un des niveaux : celui de l'autoréférence, cette partie futile où ils se mettent constamment en avant. La BD aurait gagné en fluidité : Russell parlant de son passé, c'eût été parfait, plus intéressant et beaucoup moins lourd. Seulement voilà : j'ai comme l'impression que ce livre est autant une apologie de Doxiadis, Papadimitriou et consorts qu'un retour sur la vie de Russell... Ou bien tout simplement une expérience qui a permis à quelques universitaires de digérer une matière et de faire leurs dents dans le monde de la bande dessinée.
À force de vouloir traiter de tout, ce livre traite de... pas grand chose. Les auteurs prennent de grandes libertés avec l'histoire, inventant des rencontres qui n'ont jamais eu lieu : ce n'est dons pas un livre à vocation historique. Et malgré de nombreuses conversations, les questions de logique et de philosophie ne sont qu'effleurées : ce n'est donc pas non plus un livre de vulgarisation (à moins de ne pas du tout connaître le sujet).
Je ne sais donc toujours pas quel est le sujet central de cette BD. Ce n'est pas grave : ça ne m'empêchera pas de dormir la nuit... Quoique...
Une journée en mono
Cholécystectomie laparoscopique et stoemp saucisse
Badminton sans raquette
Après le badminton, Mary, qui est en voiture, m'invite à boire un verre chez elle (elle habite à un kilomètre de chez moi). Elle a notamment de la Tripel Karmeliet dans son frigo.
Trois de ses colocataires sont présents quand nous arrivons : John (celui qui monte toujours dans sa chambre très tôt), Matt (celui que je n'avais encore jamais vu) et Sebastian (celui qui ne parle pas beaucoup, du moins de prime abord). Sont également présents, au tout début de la soirée, le frère de John et sa compagne.
Au cours de la soirée, Mary revient sur son obsession : me rhabiller. Il faut que je me rhabille. Elle propose de m'aider. Elle me bassinera avec ça jusqu'au moment où je lui dirai : "Oui, Mary, je vais suivre ton conseil, Mary". En outre, elle sait déjà ce qu'elle va m'offrir à mon anniversaire : un vêtement. Par pitié, qu'on ne me parle plus de vêtements !
Mary me reconduit en voiture vers 23h. Merci Mary ! Je suis fatigué, il faut vraiment que je dorme mais ne suis pas sûr du tout d'y arriver, à cause de cet horrible décalage causé par ma soirée de Nouvel An...