Archives mensuelles : septembre 2012

« Tout flotte, en bas... »

Pour une raison inconnue, dimanche dernier, j'ai emprunté à ma mère un des plus célèbres romans de Stephen King : ÇA (IT, 1986)... L'histoire de sept enfants très soudés (la « Bande des ratés ») qui, au cours de l'été 1958, découvrent avec horreur que leur ville (Derry) est hantée par une « chose » effroyable (« Ça ») qui se nourrit de ses habitants, et particulièrement des plus vulnérables d'entre eux : les enfants. Vivant sous la ville, dans le dédale souterrain des égouts abandonnés, le monstre réapparaît depuis des siècles selon un cycle de plus ou moins vingt-sept ans en prenant souvent la forme assez ridicule d'un clown... Un clown aux dents longues, qui arrache le bras des petits gamins, découpe ironiquement des bûcherons en morceaux (en 1879) ou enlève des êtres humains pour les amener dans les profondeurs de la cité et les dévorer. Les enfants luttent contre la chose, la blessent, mais ne l'achèvent pas... Et vingt-sept ans plus tard, « Ça » revient.

(J'ai toujours martelé qu'il ne fallait jamais faire confiance à un clown.)

Je connaissais l'histoire depuis longtemps. Dans ma jeunesse, j'avais en effet été assez marqué par l'adaptation de ce livre en téléfilm (« Il » est revenu, 1990). Les acteurs n'y sont pas toujours bons, les trucages sont souvent très grossiers, mais l'atmosphère qui s'en dégage laisse une certaine empreinte. Par contre, je n'avais jamais lu le roman, du moins pas en entier. J'ai toujours eu un certain mal à lire du Stephen King. D'une part parce que j'ai souvent tendance à le mesurer à l'aune de Dan Simmons, que je trouve bien meilleur et souvent plus profond (L'Échiquier du mal reste pour moi le plus grand livre d'épouvante tombé entre mes mains — celui du genre à faire vraiment peur, à laisser une marque bien des jours après l'avoir refermé). D'autre part parce que je me suis toujours un peu méfié des succès de librairie... Qu'un auteur soit trop bien vendu et mon alarme intérieure retentit à grand fracas : si un livre rencontre un énorme succès, sachant que la plupart des gens ont des goûts de chiottes, il y a beaucoup de chance pour que ce livre soit une daube. (Oui, je sais, c'est très con, mais je fonctionne comme ça.)

Avec un thème aussi éculé, voire grotesque (un monstre/clown/araignée venu des profondeurs du temps et de l'espace qui se nourrit des habitants d'une petite ville de province), Stephen King aurait pu se rétamer lamentablement la tronche, mais ce n'est pas le cas. Comme souvent dans ses longs romans (cette édition-ci fait 1121 pages), l'auteur développe avec aisance la biographie et la psychologie du moindre de ses personnages. La monstruosité de « Ça » n'est somme toute qu'un prétexte pour développer longuement d'autres thèmes, comme la déformation ou l'enfouissement des souvenirs, la mélancolie, la mémoire, la nostalgie de l'enfance, les terreurs récurrentes ou la répétition amoureuse (Beverly est mariée à un homme qui la bat et la rabaisse constamment, comme le faisait son père ; Eddie sort avec la copie conforme de sa mère)...

Autre constat : je ne m'étais jamais rendu compte — je suis très lent d'esprit — à quel point cette histoire (et l'œuvre de King en général, d'ailleurs) était tributaire de H.P. Lovecraft. C'est pourtant flagrant. Tout d'abord, la ville de Derry (dans le Maine) est la ville lovecraftienne par excellence : fictive et secrète, comme peut l'être Arkham ; pourrie et dégénérescente comme peut l'être Dunwich (Massachusetts) dans les nouvelles du reclus de Providence. Même constat pour l'opposition entre la ville du « haut », visible, proprette (trop proprette même), et la ville du bas, cachée, pourrie, souterraine, où « tout flotte ». Ensuite, il y a cette entité très ancienne, « Ça », qui ne vient pas de notre monde mais des confins de l'univers... Comment ne pas penser à La Couleur tombée du ciel, qui met en place une mythologie similaire (une abomination extraterrestre qui s'écrase sur Terre). Enfin, le vocabulaire du roman, dans lequel « Ça » n'est que très rarement décrit : King parle d'abomination, de pourriture, de décomposition ; il est une sorte de Lovecraft moderne. D'ailleurs, le début du roman contient une mise en abyme, avertissement de l'auteur au lecteur (si l'on prend pour acquis que Bill Denbrough, dont il est question dans ce paragraphe, est le reflet de King lui-même) :

« Bill Denbrough, entre-temps, a écrit une nouvelle policière (meurtre dans une pièce fermée de l'intérieur) et trois nouvelles de science-fiction, plus quelques histoires d'horreur qui doivent beaucoup à Edgar Poe, Lovecraft et Richard Matheson. (Il comparera plus tard ces "œuvres de jeunesse" à des corbillards XIXe équipés d'un moteur turbo et peints en couleurs phosphorescentes.) »

Pour terminer dans la bonne humeur, je ne peux m'empêcher de recopier ici l'opinion de Stephen King, du moins au travers de son narrateur, sur les notes de bas de page. C'est très bien vu. King, qui est passé par l'université, a l'air de pas mal s'y connaître ; en tout cas, je trouve l'avis qui suit extrêmement sensé... (Sus aux notes de bas de pages !)

« (...) les notes de bas de page sont une espèce étonnante, voyez-vous ; comme des sentiers serpentant dans un paysage sauvage et anarchique, elles se dédoublent, et se dédoublent encore ; à un moment donné, vous prenez la mauvaise direction et vous vous retrouvez dans un roncier inextricable ou dans un marécage aux sables mouvants. "Quand on en trouve une, avait dit un jour mon prof de bibliothéconomie, il faut l'écrabouiller avant qu'elle ne fasse des petits." »

(La suite au prochain épisode, car je n'ai pas encore tout lu...) 
* * *
Que s'est-il passé ce jeudi dans ma vie ? (Après tout, il faut bien que j'alimente ce journal de détails inintéressants sur moi-même...) Après une longue journée de travail, je rejoins mon appartement où Mary est à nouveau en train de cuisiner le repas du soir : du poisson et du riz aux légumes (très bon). Après le repas, elle propose de regarder La Vie des autres (Das Leben der Anderen, 2006), ce long métrage allemand qui raconte la surveillance d'un couple d'artistes par la Stasi, en RDA. Un excellent film, mais nous n'en voyons que la première heure car Mary, fatiguée, s'en va dormir.

Puzzle

Au départ, comme c'est souvent le cas dans ce genre de situation, il est un peu inquiet : « Ces micros sont-ils vraiment nécessaires ? », « Allez-vous vraiment tout enregistrer ? », « Certaines choses ne devraient être dites qu'en off... » Et puis, très rapidement, l'atmosphère devient plus détendue : il comprend en quoi consiste l'entrevue, que nous ne lui voulons aucun mal, que nous sommes historiens (de gauche en plus, comme lui) et que nous cherchons simplement à savoir comment « ça » s'est déroulé.

De quoi je cause ? D'une interview historique. Celle du grand chef. Presque la dernière avant la clôture de nos textes et la mise en page du livre.

Pas question de dévoiler le contenu de ce témoignage. Je remarquerai simplement que j'ai été agréablement surpris, car l'entretien s'est déroulé dans la confiance et la franchise. (Tout historien, anthropologue ou sociologue ayant conduit des interviews dans le cadre de sa discipline sait que la chose ne se passe pas toujours aussi bien : certains enrobent leur discours dans une légende confortable, n'expriment que des semi-vérités, cachent les coups durs, les accrocs, pour ne garder que le mythe. Or, s'il peut parfois s'avérer intéressant pour le sociologue ou l'anthropologue, le mythe est une catastrophe pour l'historien. Il ne fait que mélanger les pièces du puzzle patiemment récoltées au fil des recherches.)

Les dernières pièces de mon puzzle mental étaient très mélangées, mais au cours de cette interview, je reçois enfin des réponses à mes questions et remets les évènements à leur juste place : ha, c'est donc comme ça que ça s'est passé ! Dans toute recherche historique, du moins chez moi, il y a toujours quelques rares moments où tout se met en place d'un seul coup et où je me dis : voilà ce qu'il faut dire, tel sera le squelette ! — Le dernier de ces instants est enfin arrivé et je vais pouvoir arrêter de me ronger les ongles (en tout cas jusqu'au sang).

* * *

Dans un restaurant italien, à midi, le vieux patron nous accueille, avec un air légèrement mafieux, en agitant les mains : « Comment ça va ? Ici, les églises sont désertes... Mais le syndicat, hé, il marche très bien... » (C'est dit sur le ton de l'humour, mais c'est curieux... et ça nous fait rire.)


* * *


Une satisfaction : elle me remet enfin LE registre. Quand je le vois, je suis émoustillé : « Non ? C'est le registre des entrées et sorties du personnel ? Oui ? Mon dieu, il remonte loin en plus !
— Oui, Jacques était très méticuleux... Il a tout noté... L'arrivée et le départ de chaque personne du service, leur changement de statut, les décès...
— Oh ! Mais il y a même la date exacte de l'arrivée de Bastien Durrée à Liège ! »
Lodewijk se fout gentiment de ma poire. Un peu plus tard, au restaurant italien susmentionné, entre deux interviews, il dira même à la petite tablée : « Hamilton est tout content car il a enfin eu accès au registre du personnel. Il a presque eu un orgasme tout à l'heure ! »

Je suis célibataire depuis si longtemps que je jouis devant un registre... Si ça, ce n'est pas de l'abnégation au travail ! (Je tiens à préciser que le verbe « jouir » est ici à prendre au sens figuré.)

Bribes de souper

Mary est un peu malade mais elle mange tout de même avec nous. Au menu de ce soir : des pâtes au poulet et au parmesan. 

Une sacrée réminiscence de notre vol Montréal-Bruxelles : je suppose — c'est Léandra qui m'y a fait penser — que je ne voulais pas garder un si mauvais souvenir de ce plat en barquette made in Air Transat, alors je l'ai recréé... (La recette : mélanger des dés de poulet avec des échalotes finement coupées, quelques morceaux d'ail pilé, du vin blanc, de l'huile d'olive, un peu de jus de citron, du persil plat, du poivre et du sel. Faire revenir le tout dans du beurre. Ajouter de la crème fraîche lorsque le poulet est tendrement cuit ainsi qu'un soupçon d'huile à la truffe. Placer des copeaux de parmesan et du basilic frais après la cuisson. En option, verser un peu de crème de vinaigre balsamique pour faire joli.)

Léandra va mieux car elle a compris que Jonas n'allait pas bien. Qu'il soit en forme pendant qu'elle déprime est intolérable à ses yeux ; qu'il soit malheureux rend par contre sa douleur beaucoup plus supportable. Si je prends ces éléments sans le moins du monde les interpréter, je constate que pour l'instant, il faut qu'il aille mal pour qu'elle aille mieux. (C'est totalement surréaliste !)

Un peu comme si je me réjouissais que la relation que vit actuellement mon ex-compagne soit compromise et que (par exemple) elle pleure chaque soir : elle m'a fait souffrir, c'est normal qu'elle souffre à son tour. Bien sûr, ça m'a déjà effleuré l'esprit (souvent même, surtout au début), mais je pense qu'il faut lutter de toutes ses forces contre de pareilles pensées : à quoi cela sert-il de vouloir que les autres soient eux aussi malheureux ?

Je souhaite beaucoup de bonheur à tout le monde. Ce n'est pas parce que je ne suis pas très en forme qu'il faut que j'entraîne les autres — amis, « ennemis », inconnus — dans une spirale destructrice.

* * *

« Laisser vingt longs messages vocaux par jour à quelqu'un pour lui signifier qu'il est dans l'erreur n'est absolument pas du harcèlement. »
SI, C'EST DU HARCÈLEMENT, BORDEL !
(La majuscule et le caractère italique, utilisés avec modération, ont presque autant d'effet qu'un cri de rage dans la nuit.)

Si on m'envoyait une série de messages à n'en plus finir pour me signifier quelque chose (peu importe le contenu, la forme et le média), je couperais directement le contact... Mais on ne m'a jamais envoyé de tels messages. Lewis a peut-être essayé, à un moment. (Il s'est lamentablement planté, en fin de compte.)

Une conclusion : l'envoi de ces bouteilles procède d'une double dynamique... Il faut quelqu'un qui les lance et quelqu'un qui veuille bien les recevoir, du moins dans une certaine mesure. Il est inimaginable que le receveur n'y trouve jamais son compte. « Masochisme » me vient à l'esprit mais ce n'est sans doute pas le terme adéquat. (L'alcool éveille mais brouille, aussi.)

Si personne ne m'a jamais traité de la sorte, c'est sans doute parce que je n'ai jamais voulu jouer ce jeu-là, par trop malsain, dans un sens comme dans l'autre. 

* * *

Dans je ne sais quel contexte, je leur ai dit que j'avais vraiment du mal avec ce regard particulier qui signifie autre chose qu'un simple regard ; ce regard qui signifie « J'ai envie de toi ! »... Il est rare que je ne détourne pas la tête dans ce cas. « Putain, mais laisse tomber ! », me lance Mary, presque énervée... (Mais c'est justement ce que je fais !)

Même chose avec la danse.

* * *

« Toi non plus, tu ne tiens pas les promesses faites à toi-même : tu avais dis que tu arrêterais l'alcool et tu n'y es jamais arrivé... », me lâche Léandra en désignant mon verre d'Achel blonde.
Et pan dans la gueule ! —
Je ne réponds rien.
Je rentre dans un débat interne pendant environ dix longues secondes.
Je ne trouve pas de répartie.
Et je finis par me dire qu'elle a raison, sur ce point.

Entendu au Québec : « Il a arrêté de boire mais il est toujours alcoolique. Ce n'est pas parce qu'on a arrêté de boire qu'on n'est plus alcoolique. L'alcoolisme, c'est pour la vie. » (C'est foutrement vrai !)

* * *

Cette histoire de pardon semble très compliquée quand ces deux-là en parlent, alors que ça me paraissait très simple de prime abord : comment peut-on demander pardon sans comprendre (et ressentir) pourquoi on le demande ? Mais il semble y avoir autre chose que je n'appréhende pas. — C'est terrible : nous parlons sur des chemins parallèles ; nos phrases ne se croisent jamais.

Ce qui ennuie Léandra dans ce type de livre de psychologie, c'est le jargon symbolique. Je trouve que ça pourrait être pire. Elle me répond : « C'est normal que tu dises cela. Tu es habitué. Tu lis pas mal de philosophie en ce moment. » C'est vrai, mais s'il y a bien une chose que j'ai appris de ma lecture de Ludwig, c'est bien celle-ci : nul besoin d'utiliser des mots extraits/subtilisés de leur usage courant pour philosopher ; au contraire, c'est dans l'étude et la pratique du langage de tous les jours qu'on trouve matière à réflexion. Le langage est un mur infranchissable. Mary n'est pas d'accord... Ou peut-être que si (j'ai oublié).

Dans la phrase qui suit, je n'arrive plus à faire le tri entre ce que j'ai vraiment dit et ce que j'ai seulement pensé : « Non, non, pas de transcendance, pas d'absolu, il faut revenir aux cas concrets, à la pratique, à la vie réelle ! » (En disant/pensant cette phrase, j'ai eu l'impression de réciter la pensée de quelqu'un d'autre.)

* * *

Évidemment, tu ne trouves rien de mieux à faire que d'écrire ces paragraphes jusqu'à deux heures du matin. Tu les relis et tu n'es pas certain de leur pertinence... Alors tu attends le lendemain pour les vérifier/corriger. (Et tu auras fini par boire les quatre Achel du frigo. — Rien ne va plus !)

Retour à la normale

Nous sommes le 17 septembre, je suis de retour au travail et je crois avoir épuisé l'entièreté de mes congés payés. Jusqu'à la fin de l'année, ma vie n'aura plus qu'une seule couleur : celle, grise, du métro-boulot-dodo, ponctuée néanmoins par les noires pauses café et les blondes soirées houblonnées. Une fin d'année extrêmement remplie, avec un gros projet dont la phase finale se rapproche dangereusement et dont la deadline, contrairement aux autres deadlines, ne peut en aucun cas être dépassée.

Mes ongles sont particulièrement rongés pour l'instant.

Pour couronner le tout, je suis malade depuis près d'un mois. Mal de ventre d'origine inconnue avant de partir au Canada, qui s'est transformé en une « simple » gastro-entérite à Montréal et qui s'est éclipsé en faveur d'une trachéite à Québec, puis d'une sorte de bronchite à Tadoussac. Et maintenant, voilà-t-y pas qu'arrivent les symptômes d'un rhume, accompagnés d'un état grippal généralisé. Mais je fais semblant de rien. Si je vais chez le médecin, il va me dire de me reposer, me prescrire du Dafalgan et l'un ou l'autre sirop pour la toux... Peut-être voudra-t-il même m'envoyer à nouveau à l'hôpital pour une échographie de l'abdomen. Mais j'en ai marre d'être tout le temps malade... Donc je fais semblant de rien.

Point positif de cette morne journée : le soir, en rentrant chez moi, le repas avait été préparé par Mary — qui est devenue ma colocataire attitrée désormais, l'avais-je déjà mentionné ? Depuis combien de temps n'ai-je plus eu droit à un repas préparé chez moi à mon retour du boulot ? Depuis peu de temps, en fait, dans la mesure où j'ai passé la moitié des mois de juillet et août chez mes parents. Mais qu'importe !

Je n'ai strictement rien d'autre à raconter aujourd'hui.
(Une vraie merde, ce texte, mais c'était ça ou rien du tout...)

Aquarium

Elle est bouleversée car il l'a « déjà » remplacée. Sortaient-ils toujours ensemble ? Il semblerait que non — ou peut-être que oui, je ne sais plus. D'habitude champion des occurrences léandriennes, j'ai perdu ce compte depuis bien longtemps... Combien de fois se sont-ils quittés puis remis en couple ? Sept fois ? Huit fois ? Je suppose que le calcul dépend en grande partie de ce que l'on entend par « se quitter » et « se remettre en couple »... Combien de fois a-t-elle placé des échéances, lancé des ultimatums ? Là encore, le comptage s'avère des plus complexes.

De toute façon, il lui avait promis qu'il l'informerait de tout changement de situation. Il ne l'a pas fait : c'est un menteur, un sale menteur, un putain de menteur. Il faut qu'il paie, le salaud, qu'il ressente la douleur qu'il m'a causée... Car elle ne sera satisfaite que le jour où il percevra réellement, au plus profond de son être, tout le mal qu'il lui a fait. Mais est-ce seulement possible ?

Elle se sent seule, et surtout lésée : qui était aux petits soins lorsque tout allait de travers ? Et qui était aux abonnés absents quand tout allait bien ? Et maintenant cette fille, qui n'a rien fait, qui ne le connaît pas, va se balader en rue avec lui sans rien connaître de notre histoire commune ? Il faut qu'elle sache !

De mon côté, petit connard fataliste devant l'éternel, croyant dur comme fer qu'on ne change pas les gens — ne voulant de toute façon pas les changer — et qu'une relation, quelle qu'elle soit, ne se base pas sur ce genre de don de soi oblique (voire totalement vertical), combien de fois ne lui ai-je pas répété qu'il fallait tout laisser tomber et bâtir autre chose avec quelqu'un de plus stable ? Là encore, le compte se perd dans la brume... Mais je sais très bien — je ne suis pas complètement idiot — que je ne sers ici que de piètre béquille et que je ne suis absolument pas là pour donner des conseils, qui ne seront de toute façon jamais suivis. Mon amie est bornée : elle ne se fera une raison qu'après de nombreux mois de douleurs, vives, lancinantes puis enfin endormies, comme ce fut déjà le cas avec le docteur... et avec d'autres.

J'ai l'impression d'assister, encore et encore, à la même répétition théâtrale : celle des mêmes couacs au sein de la même représentation ; celle aussi des mêmes jeux entre des représentations différentes. Toujours cette tendance à accourir vers l'autre au moindre appel, à jouer les protectrices, dans un rapport qui se pratique principalement à sens unique : elle donne beaucoup, mais ne reçoit guère. Un peu comme ce parent qui, chaque matin, prépare les tartines de son gamin sans jamais rien demander en retour. Le parent est habitué, l'enfant aussi, et c'est ainsi que se déroule la pièce... Sauf que nous ne sommes plus des enfants.

(Dans mon aquarium, nagent les mêmes petits poissons aux grandes aspirations. Nous sommes des littéraires. Nous avons tous une idée très précise de ce que nous voulons. Les romans, les poèmes et les grandes biographies ont dessiné dans les circonvolutions de notre turbulent cerveau une vision impossible des grandes amours et des grands destins. Nous voulons quelque chose de magnifique, s'il vous plaît ! Et nous n'arrêtons pas de projeter, de projeter, de projeter, encore et toujours, putain de bordel de merde...)

Ce soir, Andrew et moi, un rien nostalgiques sans doute, avons discuté des paysages de World of Warcraft pendant que, silencieuse, elle cherchait le nom de la nouvelle élue sur mon/son ordinateur... Une recherche méticuleuse dont elle seule a le secret, mais qui ce soir n'a pas du tout abouti. Sa traque est obsessionnelle et je ne la comprendrai jamais. — Là où je m'effacerais dans le plus grand silence, elle cherche, fouine, envoie des messages, des messages, encore des messages...

Et puis, elle finit par s'en aller de la Maison du Peuple, sans dire grand-chose. Forcément, la suite de la discussion tournera autour du même sujet. Forcément, sa déprime aura un effet sur mon — notre ? — moral. Je voudrais un jour démolir cette carapace qui m'entoure depuis bien trop d'années, mais ce n'est sans doute pas le bon moment : il faudrait avant tout qu'il y ait beaucoup plus de bonheur autour de moi (et c'est apparemment très loin d'être gagné).

Jet lag blues

Samedi minuit. Chez mes parents. Le jet lag dans la tronche, un verre d'Orval à ma gauche. Un petit ordinateur en face de moi, la télévision en sourdine. Il faut que je me reprenne. Il faut que je reprenne le rythme d'avant. (Un article par jour, un jour par article, bla-bla-bla...) Au moment où j'écris ce message, j'ai encore le goût des « IPA » en bouche, l'odeur du large dans les narines, le cri des mouettes dans les oreilles, la caresse du vent sur les mains et du fjord plein les yeux... Maudites vues somptueuses sur le Fjord du Saguenay et sur cet estuaire tellement gigantesque qu'on ne perçoit l'autre rive que lorsque la brume s'est entièrement levée ! — En bref : le Nouveau Monde, où tout est plus grand et plus beau (sauf la sécurité sociale).

La « nuit » d'avant-hier, je l'ai passée dans un avion en compagnie de Léandra et de Flippo. Nous avons comme il se doit traversé l'Atlantique en avalant les fuseaux, ne dormant tout au plus que quelques heures, avec pour seul repas du poulet au parmesan (quelle blague !) servi dans des barquettes réchauffées au micro-ondes. (Je crois, mais je ne pourrais le jurer, avoir entendu Léandra affirmer que les pâtes en accompagnement étaient bonnes. — Léandra est spéciale, c'est pour ça que je l'aime bien.)

La nuit d'hier, je l'ai passée à récupérer. Quinze heures de sommeil ininterrompu ou presque. (Mais qu'est-ce que je fous encore debout ?)

Dès le début de mon voyage, je me suis dit qu'écrire un article le jour de mon retour en Belgique était de l'ordre de l'impossible ; que je serais beaucoup trop crevé pour raconter quoi que ce soit. J'avais raison. Je me suis donc permis, comme rarement, de ne poster que quelques lignes extraites d'une jolie chanson de Sébastien Lacombe... Après toutes ces cartes postales, cette rupture brutale signifiait : « Fini le Québec ! Malgré le souvenir, je passe à autre chose ! »... Oui, mais à quoi ? De retour en Belgique, à la gare de Bruxelles-Midi, j'ai eu l'impression de me retrouver dans un pays froid (au sens figuré) et mal éduqué. Plus de « Bonjour, ça va bien ? » lancé par des inconnus souriants, mais seulement des inconnus maussades s'engouffrant dans les rames de métro sans se rendre compte qu'ils ne sont pas les seuls à devoir y entrer. — Il va falloir que je me réacclimate à l'incivisme... et à la routine aussi.

Je pense que j'exagère et aussi que mon texte est très décousu. (Un résidu de jet lag, sans doute.)

Hier, chez mes parents, j'ai retrouvé Gaëlle qui m'a accueilli avec un grand « Papa ! » enthousiaste. Aujourd'hui, nous sommes tous les deux allés à l'anniversaire de Fred Jr. Un anniversaire en très petit comité, à l'opposé de celui que mon ami avait organisé l'année dernière (j'en fais la description ICI — de l'intérêt de tenir un blog journalier au long cours, ou en tout cas en phase de le devenir). Seuls invités : Marguerite, Gérard et leur bébé ; Célestine et Eriksson — zut, j'ai oublié de leur demander ce qu'ils avaient fait de la bande dessinée que je leur avais prêtée ! —, Sidney et Jeronimo... Une jolie soirée à taille humaine, comme je les aime.

Que raconter d'autre ? — Il est tellement plus facile d'écrire des tartines quand tout va mal !

Je me souviendrai

« Et même au bout de la terre,
Dans un autre univers,
Je me souviendrai
D’où je viens... »

(Sébastien Lacombe, « D'où je viens », Territoires, 2012)
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Chers oubliés,

Cher G., toi qui apparemment lis le présent journal, 
Chère C., toi qui ne le lis peut-être plus, 
Cher H., dont je n'ai plus de nouvelles depuis des lustres, 
Chers ceux et celles dont j'ai promis de taire le nom, 
Chers/Chères Légionnaires,
Chers lecteurs et lectrices inconnus, 
Chers amis et amies qui ne le sont plus vraiment, 
Chers A., B., C., D., E., etc., 
En bref : chers oubliés, 

Vos initiales n'apparaissent pas dans les vingt-huit cartes postales virtuelles que j'ai envoyées depuis le Québec. « Pourquoi ? », vous demanderez-vous ou, à plus forte raison, ne vous demanderez-vous pas. Les causes de cet oubli se perdront à jamais dans les brumes de la Nouvelle-Écosse que nous survolerons dans quelques heures, laissant la Belle Province loin, très loin derrière nous...

Je pense à vous (pour certains), 
On se reverra (ou pas) en Belgique !
H.

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Chère M.,

La première destinataire de mes cartes postales de vacances étant Léandra, il était logique, par souci de symétrie, que tu en sois la dernière. Vous êtes en quelque sorte les deux femmes de ma vie, mais absolument pas pour les mêmes raisons, évidemment... — L'ancien amour et l'amie.

J'ai passé ma dernière journée complète au Québec avec Léandra et Flippo. Au début de l'après-midi, nous avons visité l'immense Jardin botanique de Montréal et particulièrement apprécié son impressionnant Jardin de Chine. Pour l'automne, comme chaque année, le jardin a été décoré par des centaines de lanternes qui s'éclairent la nuit... Certaines prennent la forme de chevaux, d'autres de pandas, d'autres encore de femmes chinoises en costume traditionnel, qui m'ont fait penser à toi — sans raison, comme dirait l'autre.

Bonne vie,
H.

pingouins

Hey G. !

Aujourd'hui, au Biodôme de Montréal, j'aurais aimé que tu sois là ! Tu te serais bien amusée... Il y avait Skipper, Rico, Kowalski et Private (le petit timide à gauche sur la photo) en pleine réflexion pour tenter de raisonner un méchant pas beau ! J'ai même pu entendre Skipper demander : « Kowalski, quelles sont les options ? »... C'était vraiment beaucoup plus impressionnant qu'à la télévision ! Sinon, ça ressemblait vraiment à la série : ils sont extrêmement rapides dans l'eau et très gauches sur terre... Dernière précision : ce ne sont pas des pingouins, mais des manchots (les pingouins, ils sont beaucoup moins beaux).

Bisous et à ce vendredi !
P.