Archives mensuelles : janvier 2013

Un paragraphe et puis c'est tout ! - III

« Where's the emergency? » — Oui, je suis pour l'instant, à n'en pas douter, dans une phase « jeux vidéo », mais tout de même ! Tout de même, était-ce une bonne idée d'acheter StarCraft II ? Je m'étais arrêté au premier du nom, il y a de cela... ha ! ... tellement longtemps (du temps où l'on jouait encore en LAN dans les cybercafés)... Déjà à l'époque, gérant assez mal la décision en urgence et ayant besoin de beaucoup de calme pour réfléchir, je n'étais vraiment pas doué pour ce genre de jeu de stratégie en temps réel (STR) mettant les nerfs à rude épreuve. Et voilà que je retente pourtant le coup avec le second volet de la série ! — StarCraft II est l'un de ces jeux extrêmement bien balancés qui semblent très simples en apparence (construire une base, gérer au mieux les ressources [macrogestion] ; produire des armées et les amener au combat [microgestion]) mais qui s'avèrent particulièrement compliqués quand il s'agit d'y jouer contre autre chose que de simples et bêtes I.A., autrement dit contre d'autres êtres humains. Le jeu possède en effet, à l'instar d'une véritable discipline sportive, ses championnats et son armée de professionnels de haut niveau, ceux qui s'entraînent de nombreuses heures par jour depuis des années et pour qui la victoire est presque une affaire de microsecondes (voir la vidéo ci-dessous). La (très jolie) campagne contre l'ordinateur est donc une sinécure en comparaison de l'enfer de certaines confrontations sur Internet, où je ne me risquerai d'ailleurs certainement pas pour le moment avant d'avoir « bien » repris en main au moins l'une des factions. — Car la géniale particularité de StarCraft est de proposer trois factions, trois « races » ennemies qui ne sont pas de simples copier-coller des autres clans : les Terrans, ceux dont les unités ressemblent le plus à ce qu'une humanité future pourrait produire si elle suivait l'exemple des États-Unis en matière d'armement (en gros : des marines et des chars high-tech) ; les Zergs, aliens visqueux et grouillants dont les bâtiments et les unités sont organiques ; et enfin les Protoss, stéréotypes de la race extraterrestre humanoïde aux pouvoirs psychiques... — Je prends un sacré plaisir à (re)jouer mais bon sang que je suis nul ! C'est affligeant !

Des joueurs professionnels de StarCraft et Warcraft III expliquent
(et surtout montrent) ce que sont les APM (Actions per minute) :
la rapidité de leurs doigts rappelle cette cette fameuse scène 
dans le célèbre film d'animation japonais Ghost in the Shell.
(Je quitte mon boulot et je m'entraîne pendant dix ans ?) 

Un paragraphe et puis c'est tout ! - II

Voyageur des espaces morts. — Dans un très lointain futur, un voyageur doté de pouvoirs extraordinaires prend la parole devant un million de mondes (l'humanité sortie de son berceau). Très las, il déclare d'un ton calme et résigné : « J'ai exploré méticuleusement chaque bras spiral, visité des centaines de milliards de systèmes solaires, sauté d'amas en amas, déjeuné sur chaque bout de roche, respiré l'air vicié d'innombrables géantes gazeuses, scanné la croûte de billions de planètes telluriques, récolté la poussière des comètes, sondé les nébuleuses, parcouru le vide à l'intérieur du vide ; j'ai traqué la vie avec l'acharnement du plus dément des chercheurs d'or des temps anciens ! Hélas, hélas, HÉLAS ! Jamais je n'y ai trouvé la moindre parcelle de vie : pas même un fossile, pas même l'équivalent d'une algue ou d'une fougère, pas même le lointain cousin du regretté trilobite, pas même le début d'un commencement de structure organique ! Partout, la même mécanique d'horloger des soleils et des mondes, tournant sans finalité jusqu'à l'immobilité la plus complète... » Et le voyageur fatigué de terminer son discours sur ce terrible constat : « Nous sommes irrémédiablement seuls, nous sommes l'exception... Peut-être après tout ne sommes-nous qu'une erreur ? Peut-être les corps célestes eussent-ils dû tracer leur course dans le vide sans conscience pour les observer ? » — L'annonce engendre des milliards de morts au sein de l'humanité dispersée. Le modérateur tempère : « Haut les cœurs ! Voyageur, tu n'as parcouru que la seule Voie lactée ! Cette vie que nous chérissons tant, peut-être existe-t-elle au sein d'autres galaxies ? » Et pendant le million d'années suivant cette parole d'espoir, des milliards de voyageurs semblables au premier sont envoyés jusqu'aux confins de l'Univers. Mais tous reviennent bredouilles, sans avoir jamais débusqué un signe du vivant. Alors, un gigantesque désespoir touche l'humanité sur le million de mondes qu'elle a colonisés. Et à peine cent cinquante ans plus tard, sur la colonie industrielle d'Epsilon Eridani VII, meurt le dernier représentant de l'espèce humaine (un vieillard qui n'a même plus de larme pour pleurer), débarrassant l'Univers de sa seule et unique conscience. — Et comme plus personne n'est là pour le voir exister, en l'absence de tout bruit mais aussi de tout silence, l'Univers disparaît.

Un paragraphe et puis c'est tout ! - I

(Oui ! Un seul paragraphe parce que je suis en retard de publication et que j'en ai plus que marre, justement, d'être en retard de publication ! Considérons donc ce qui suit comme la substantifique moelle de ma journée de samedi. Et considérons sur la même lancée l'article de « demain » comme ce à quoi je réfléchis quand je suis seul chez moi et m'ennuie — un ennui nécessaire, comme dirait l'autre.) — Chez Donna & Fred Jr. — En cette fin d'après-midi, je suis invité chez Donna et Fred, à Écaussinnes, en compagnie de leurs deux enfants, la taciturne petite Mado et sa grande sœur, l'énergique et prolixe Anouchka (ma filleule) : « Tu t'es coupé les cheveux, Hamilton ? », « Gaëlle n'est pas là ? Elle est où ? Et sa maman, elle habite où ? Et Gaëlle, est-ce qu'elle a une chambre chez sa maman, aussi ? » — Digression : avais-je déjà mentionné dans ce journal que j'avais été jusqu'à tenir un cierge pascal et écrire mon nom au bas de son acte de baptême ? Par contre, le curé, un très vieil abbé un rien désabusé, avait expliqué à Fred (à mon grand soulagement d'ailleurs) qu'il n'était pas absolument nécessaire que je réponde « oui » à la question de mon engagement d'élever ma filleule dans la foi du Christ : il suffisait que... je ne dise rien (Amen !). Tout bien réfléchi, ce curé était tout de même assez débonnaire : « Laissez venir à moi les petits enfants », lut-il lors du sacrement, mais voyant que quelques « petits enfants » s'amusaient au fond de cette jolie chapelle de village, il soupira, du moins si mes souvenirs sont bons : « Oh, laissez les courir ! » (Mes souvenirs ne sont sans doute pas bons, auquel cas Fred me corrigera en temps voulu.) Fin de la digression. — Fred me montre fièrement sa dernière (?) acquisition vidéoludique, une Xbox 360 (re-?) et le jeu auquel il joue en ce moment, FIFA 2013 : « Tu veux essayer ? », me demande-t-il. « Euh... Non, non ! » (Fred et moi... hem... ne sommes pas exactement sur la même longueur d'onde en ce qui concerne les jeux — voir en date d'après-demain). Ensuite, je joue avec Anouchka à divers jeux de société, comme l'antique Qui est-ce ? ou encore Labyrinthe 3D, une version simplifiée du célèbre Labyrinthe du non moins célèbre éditeur de jeux Ravensburger (Le hamburger du corbeau ?). Anouchka n'aime pas perdre : fort heureusement, elle gagne deux fois à Qui est-ce ? Puis nous mangeons une (très bonne) raclette, tout ça parce que, dixit Donna, « Fred n'a pas eu le courage de cuisiner une lasagne. » Quant au chat de la maison, il se métamorphose à plusieurs reprises ; il passe d'un état à un autre : extérieur, frigorifié collé à la baie vitrée ; intérieur, dormant confortablement sur le chauffage. Et c'est moi qui le fais rentrer la première fois (mais où va le monde ?). Voilà : c'est fini, nous pouvons enfin respirer !

Trois paragraphes sinon rien - III

Inertie. — « Mais pourquoi ? Pourquoi t'obstines-tu à écrire à tout prix un article par jour ? », me demandait Judith hier soir. Pourquoi un tel rythme ? À chaque fois que je tente une explication, elle n'est satisfaisante ni pour moi, ni pour les autres. — Est-ce dans le cadre d'un simple exercice, d'un atelier d'écriture personnel « en temps réel » ? Non. Est-ce pour disposer à long terme d'un panorama complet de ma vie, à des fins de comparaison et de synthèse, comme je l'ai souvent soutenu ? Non plus (si c'était le cas, je m'en tiendrais à la plus stricte et à la plus plate des narrations). Est-ce pour être lu, exister par le regard des autres et par la critique ? Assurément pas. — Non, c'est vraisemblablement ma totale inertie qui est en jeu ici (je me satisfais de la situation dans laquelle je me trouve) : si je/on ne me lance pas, je ne bouge pas ; si je/on me lance (dans un projet, un sport, une activité...), je garde le même mouvement pendant très longtemps sans me poser de question. C'est désespérant.

Anecdote commerciale. — Une caisse de supermarché, à Forest, en début d'après-midi. C'est l'heure creuse et je suis le seul à faire la file (je suis une file à moi tout seul !). Pendant que j'installe mes quelques courses sur le tapis roulant, la jeune caissière discute avec un employé (un réassortisseur). Alors qu'elle passe mes achats sous le scanner, deux femmes traversent le couloir principal à l'entrée du magasin : « Salut Sylvie ! Salut Monique ! », lance la caissière, joyeuse, « Est-ce que je travaille demain après-midi, tout compte fait ? » Entretemps, l'employé s'est volatilisé avec un taux de furtivité digne d'un F-117 — c'est dire comme il fut à la fois rapide et silencieux ! La caissière me sourit : « Ha ha ! Vous avez vu ça ? Vous avez vu comme il s'est barré en courant, ce gros peureux ? La dame qui est passée, là, juste devant nous, c'était la chef de service... Alors mon collègue, du coup, hop ! Il se casse et fait semblant de travailler !... Tenez, le voilà qui revient déjà ! » — Chouette ambiance de vendredi après-midi !

Au bout du fil... — Lorsque tu me demandes comment je vais, je ne peux m'empêcher de penser que tu ne le fais que pour mieux rebondir sur tes propres malheurs, tes propres souffrances ; pour te servir de moi comme d'un entonnoir à problèmes. Tu te sens seul ? Ah, te dis-tu, mais pourquoi ne pas téléphoner à ce cher gentil Hamilton, un rien naïf, qui m'écoutera sans broncher ? J'en viens à me demander si tu es sincèrement capable de t'intéresser à autrui sans aucune arrière-pensée égoïste. — La semaine dernière, ton « Mais peu importe mes problèmes. Toi, comment vas-tu, mon grand ? » aurait sans doute été plus crédible si tu ne m'avais pas coupé après dix secondes par un cinglant : « Oh, tu sais, j'ai appris que dans l'adversité, il valait mieux ne pas écouter les petits problèmes des autres. » Et aujourd'hui, pour mettre fin abruptement à la conversation au moment où celle-ci déviait sur un tout autre sujet que toi, toi, toi, il aurait été préférable de trouver une excuse moins bidon que celle du quidam frappant à la porte de ton appartement. — Je ne te comprendrai jamais ; tu ne me comprendras jamais. Et la prochaine fois que le téléphone sonnera, je ne décrocherai pas. Acta fabula est.

Allegretto

Tu sais à quel point la musique est importante — vitale même ! — pour moi. À l'heure de rédiger ce message programmé, dans le tendre creux de cette nuit enneigée, j'écoute sans raison (comme dirait l'autre) le second mouvement de la Symphonie no 7 de Beethoven : le fameux Allegretto. — Tu disais jeudi dernier que le talent se reconnaissait directement ; que n'importe qui pouvait lire, voir, écouter, sentir ce putain de talent lorsque celui-ci se manifestait dans sa plus stricte nudité, sans devoir passer par de complexes initiations ou par un long travail d'érudition. J'étais en quelque sorte d'accord sans être d'accord (je reste persuadé que l'accès à certaines subtilités, quel que soit le domaine, demande du temps et de l'investissement). — Mais peu importe après tout ! Voilà donc un mouvement qui peut être appréhendé par les profanes que nous sommes ! Le même motif musical (un ostinato, comme ils l'appellent) répété inlassablement, d'abord par les cordes, puis par les vents... C'est à la fois léger et solennel. C'est une œuvre non pas simplement talentueuse, mais tout bonnement géniale (je sais que tu n'y crois pas mais je m'en fous, tu le sais bien) : elle est atemporelle, elle traverse les âges. Elle a même été reprise par Johnny Hallyday, à ce qu'il paraît. (Est-ce la marque du génie ?)

Symphony No. 7 in A major, Op. 92: Allegretto by Beethoven on Grooveshark

Léandra, je te dédie ce mouvement. Réjouis-toi : j'aurais pu te réserver « Tata Yoyo » ou encore « Tirelipimpon sur le Chiwawa », ha-ha ! — Haut les cœurs : il te va très bien, cet Allegretto, ce « mouvement très vif » ; écoute-le, c'est toi ! Il marche d'un pas ferme et décidé mais il lui arrive d'être sombre en chemin, très sombre même, parfois !

Léandra, puissent tes trente-quatre bougies être soufflées par un vent nouveau ; puisses-tu arpenter des terres inconnues ; puisses-tu oublier les fantômes du passé ainsi que ceux — encore bien trop présents — qui te bousillent l'existence ! Puisses-tu abandonner ces irrespectueux en rafale et trouver autre chose dans ta vie que des spectres ! Je serais le plus heureux des hommes si je pouvais passer, l'année prochaine, à l'occasion de ton trente-cinquième anniversaire, de la n° 7 à la n° 6, autrement dit de la Septième à la Pastorale, de la divine lourdeur à l'allégresse ! — Évidemment, même les symphonies bucoliques contiennent leur dose d'orage, mais que serait la vie sans orage, sinon un ciel monotone, entre le bleu et le gris ?

En deux mots : bon anniversaire !

À rebrousse-temps

Archéologues malgré eux. — Je comble à rebrousse-temps (ce joli terme prend sa source à la traduction d'un titre de P.K. Dick) les cinq interstices localisés entre ta fête d'anniversaire et la mienne. Dans quelques jours, plus personne ne s'en apercevra mais pour le lecteur assidu, celui ou celle qui lit ce blog quotidiennement — et il semblerait que ce lecteur- existe bel et bien ! —, la lecture ressemblera à une descente dans les profondeurs de la page. — Pendant quelques jours, ce lecteur se transformera en archéologue malgré lui, lisant par strates successives les épisodes de ma vie... à moins qu'il n'utilise un agrégateur de contenus, auquel cas il ne goûtera nullement aux joies de la fouille.
Le plagiat en héritage. — Un titre opposé au reste du texte par un tiret cadratin pour structurer chaque paragraphe : Nietzsche utilisait le même procédé dans ses ouvrages aphoristiques (comme Humain, trop humain ou Le Gai savoir, que je viens de me procurer en ce lundi de congé). — Constat : j'employais cette technique avant de lire quoi que ce soit de Nietzsche, de la même manière d'ailleurs que j'abusais déjà du tiret cadratin avant de découvrir Wittgenstein. Cependant, je me considère comme bien trop bête pour avoir trouvé tout seul cette habile structuration. La question est donc avant tout de savoir qui j'ai bien pu copier en décidant de ponctuer mes paragraphes de la sorte : si ce n'est Nietzsche, aurais-je plagié à mon insu un plagiaire de Nietzsche ?

Thaumaturgie informatique. — Le clavier et la souris de cet antique ordinateur ne répondent plus depuis des semaines, me préviennent Christiane et Sylvette. De bon matin, assis devant la machine récalcitrante que je viens seulement d'allumer, je constate que les deux périphériques fonctionnent pourtant parfaitement. Conclusion rationaliste : la panne était temporaire ; conclusion mystique : par ma seule présence, je commande aux machines ! — J'ai raté une belle occasion de lancer devant la vieille carte-mère paralysée : « Lève-toi, prends tes circuits électroniques et marche ! »

Le syndrome de l'imposteur. — Je leur dis : « Je donne l'image de quelqu'un qui maîtrise parfaitement toutes ces matières (la mise en page, le Web, les métadonnées et, plus personnellement en ce moment, des morceaux de philosophie) mais en réalité, je n'y connais que dalle. Mon entourage finit lui-même par croire que je m'y connais et pense sans doute : "Ha, voilà quelqu'un qui s'y connaît !", mais en fait, c'est faux : j'usurpe complètement ma condition. » C'est comme si j'avais constamment besoin de faire mes preuves, de montrer que je suis capable de cerner un problème de la manière la plus parfaite et professionnelle possible. (J'ai les mêmes hésitations avec ce blog : tout ce que j'y écris est en quelque sorte une usurpation de mon identité ; rien ne m'appartient en propre ; je ne suis pas capable de ça — et ne pas constater que je suis foncièrement malhonnête serait encore plus malhonnête.) Lorsque j'explique que j'ai constamment l'impression d'être un usurpateur dans tout ce que j'entreprends, mon chef Lodewijk ne comprend pas (« Si tout le monde reconnaît ton savoir dans une discipline, en quoi es-tu un usurpateur ? ») tandis que Charlotte s'exclame : « C'est le syndrome de l'imposteur ! ». Elle-même en « souffre » apparemment. Conclusion de mon chef : « Bon, sur le temps de midi, on vous couchera sur la table et vous nous expliquerez clairement votre problème. » — J'imagine déjà le tableau !

Cycles

Neige locale. — La neige est tombée sur Bruxelles. Ce matin, les transports en commun de la capitale (bus, trams, trains...) accusent de sérieux retards en raison des « conditions climatiques exceptionnelles ». Arrivé en gare des Guillemins, je m'aperçois avec stupéfaction que les flocons n'ont absolument pas gagné le bassin liégeois. Sur le chemin de l'arrêt de bus, je me justifie déjà en pensée auprès des collègues me voyant débarquer avec plus d'une heure de retard : « Mais puisque que je vous dis qu'à Bruxelles, il n'a pas arrêté de neiger ! » — Une vision ridicule car l'équipe en place sait très bien que je suis toujours en retard je fais tout mon possible pour arriver à l'heure.

Réseau itinérant. — Léandra a exceptionnellement fait le nécessaire pour disposer (enfin !) d'un accès Internet personnel dans son appartement. Comble de malchance, l'horrible — si j'étais porté sur la démesure, j'écrirais « horrible » avec au moins cinq « i » — service clientèle de Belgacom semble considérer ce simple acte technique avec le plus grand mépris. En conséquence, Léandra a annulé sa commande et n'a donc toujours pas accès au sacro-saint réseau chez elle. Se sentant obligée de répondre quotidiennement à certains courriers, elle se rend tout aussi quotidiennement à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (qui bénéficie du Wi-Fi, on l'aura compris), où je la retrouve naturellement, étant donné que j'y suis très souvent moi aussi, mais pour d'autres raisons (la principale étant : afin que tous les gens qui y traînent me foutent une paix royale et ne me parlent surtout pas — chose impossible si je reste tout seul chez moi, on en conviendra). Je passe donc une partie de la soirée avec Léandra : elle devant son ordinateur et moi devant le mien, mais nous discutons tout de même un petit peu, faut pas déconner.

Cycles. — Seule l'écriture journalière à moyen terme permet ce petit miracle qui consiste à comparer le même événement distant de quelques mois, voire de quelques années : cet anniversaire-ci, cet anniversaire-là ; l'un ou l'autre Nouvel An ; tel sursaut de conscience, telle déchéance ; et puis ces pensées qui ne changent pas, ou si peu... Voilà donc que le présent journal accepte désormais une certaine lecture cyclique, qui se fortifiera au fil du temps — avec ma vie.

Trois paragraphes sinon rien - II

« L’esprit quitte l’eau du corps lorsque se lève la première lune, dit Stilgar. Ainsi est-il dit. Lorsque se lèvera la première lune, cette nuit, qui appellera-t-elle ? » (Frank Herbert, Dune.)

Funérailles « à la fremen ». — Loin, tellement loin de ces funérailles récemment observées : l'adieu à Jamis dans le roman Dune de Frank Herbert. Les Fremen, habitants du désert, récupèrent l'eau de la dépouille de Jamis avant de procéder à la cérémonie funèbre proprement dite : ils forment un cercle autour d'un amas d'accessoires appartenant au défunt. À tour de rôle, un ami marche vers le centre, s'empare d'un objet et prononce un très court discours, comme celui-ci : « J’étais un ami de Jamis. Lorsque notre eau vint à manquer au siège des Deux Oiseaux, Jamis sut partager. » — Quelle belle façon de rendre un dernier hommage ! Je la verrais bien se dérouler de cette manière, ma propre cérémonie funèbre (puisque apparemment il en faut absolument une) : quelques amis et quelques parents disposés en cercle dans le cadre intimiste d'une grotte, chacun marchant vers le centre de la réunion pour récupérer un de mes rares objets personnels : ma vieille lunette astronomique ; Chronic Town, le premier vinyle « à la gargouille pensive » de R.E.M., et Spiderland de Slint ; Au carrefour des étoiles de Simak et L'Incal de Mœbius et Jodo ; une raquette de badminton et cette toute nouvelle boule de bowling ; des ouvrages d'histoire et des livres de ou sur Wittgenstein... « J'étais un ami d'Hamilton », diraient-ils, mais quelle raison avanceraient-ils ?

Cigarettes. — Petite librairie de la gare des Guillemins. La jeune dame devant moi demande un paquet de « Camel beiges ». Le libraire barbu et bourru s'exclame, pince-sans-rire : « Des Camel beiges ? Des Camel jaunes, vous voulez dire ? » Il semble réellement surpris. La dame partie, il m'explique, en me montrant le paquet : « Elle voulait des Camel beiges. Vous trouvez ça beige, vous ? Enfin bon ! Je n'allais pas la contredire plus que de raison... » Puis il continue sur sa lancée : « C'est la galère avec Camel en ce moment. Pour leur centième anniversaire, ils ont sorti cinq paquets de couleur différente. Mais les gens veulent seulement les paquets habituels, les jaunes... Quand je leur dis que c'est exactement la même chose, que ce sont simplement des éditions "collector", ils ne veulent rien entendre... » Gros silence, puis il fait demi-tour et regarde, les mains posées sur la taille, la publicité proposée par la marque pour l'occasion : « "Fait avec de l'eau, du tabac et du soleil"... Pfff, c'est pas possible ! Ils ne savent vraiment plus quoi inventer ! »

La routine s'installe dans les deux sens. — Lire ce blog aux aurores devant une bonne tasse de café, comme on lirait un journal en papier : aurais-je créé malgré moi une habitude, voire une addiction ? — Prochaine étape : lancer une gamme de tee-shirts « Hamilton's Diary » pour les aficionados ? (L'idée est de Doëlle.)

Trois paragraphes sinon rien - I

Erratum. — Écrire ma vie « à rebrousse-temps » est source d'erreurs. Relisant « l'épisode des cigarettes Camel beiges » (écrit en date de... demain), je tique : « Lundi... Lundi 14 janvier... N'étais-je pas en congé ce jour-là ? » Eh bien si ! Il faudra par conséquent que l'on m'explique comment j'ai pu observer une scène se déroulant à l'intérieur de la petite librairie de la gare des Guillemins, à Liège, alors que je n'ai pas quitté Bruxelles de la journée... La réponse est toute simple : j'ai transposé cet épisode un jour dans le passé. La scène a donc eu lieu mardi soir et non lundi. (Ce lundi-là, je l'ai passé à flâner chez Filigranes puis à « travailler » à la Maison du Peuple en compagnie de Léandra.)

Archéologie virtuelle. — Je me promène allègrement dans le monde d'Azeroth transformé par les deux dernières extensions de World of Warcraft. Plus aucune arrière-pensée conquérante n'occupe mon esprit : je me contrefiche pas mal d'avoir le tout dernier set d'armure qui fait mouche dans les instances de haut niveau (et c'est tant mieux). À l'instar d'Andrew qui jadis s'asseyait, à des fins de contemplation et de méditation, au bord d'une corniche isolée des Montagnes d'Alterac surplombant le lac Lordamere et les ruines de la ville déchue de Lordaeron, j'essaie d'évoluer tranquillement sur le chemin de l'inutilité la plus totale, loin, très loin du regard des « rageux ». — J'ai trouvé récemment un passe-temps en or, un nouvel artisanat secondaire que les concepteurs ont intégré pendant mon absence du jeu et qui semble de prime abord particulièrement inutile : l'archéologie. Ce nouveau métier consiste à se rendre sur quelques sites de fouille disséminés un peu partout dans l'univers de jeu et d'effectuer une triangulation simplifiée à l'aide d'une lunette de visée, et ce afin de découvrir des reliques d'anciennes civilisations (Nains, Elfes de la Nuit, Trolls, etc.). — Ha ! Voilà qui me rappellera ce cours universitaire consacré aux « techniques de fouille », à la fin duquel nous devions être capables, entre autres joyeusetés, d'utiliser une boussole et de planter des piquets dans le sol (tout un programme).

Le summum de l'indépendance d'esprit. — Ce serait de n'adhérer à rien d'autre qu'à ce que j'ai moi-même pensé en propre, sans aucune influence extérieure. — Une douce chimère : ce que je pense, je le pense toujours parce que quelqu'un l'a pensé (et fait savoir) avant moi. — Alors il ne me reste plus qu'à lire les bons textes : à défaut d'être original, à tout le moins ne serai-je pas complètement inintéressant. (Et un jour, après des années de « remplissage » mal géré, peut-être aurai-je moi aussi une véritable pensée propre ? — Chimère, chimère !)

En ces temps de retrouvailles...

L'Épouvantail, toujours à la recherche d'un cerveau malgré sa très grande présence d'esprit, a sans doute oublié jusqu'à la date de cette réunion annuelle ; le Bucheron en fer blanc, toujours en quête d'un cœur, s'est probablement égaré en chemin ; quant au Lion peureux, il n'a certainement pas eu le courage de se déplacer sous la neige et dans le froid glacial de l'hiver... D'un autre côté, comment ces trois anciens compagnons de route auraient-ils pu venir à mon anniversaire puisqu'ils n'y étaient pas invités ? — Certes, la rencontre était improbable mais pas totalement impossible.
Amis, vous étiez très nombreux à cette soirée à la Porte Noire. S'il y a bien une chose qui ne change pas dans mes rapports avec l'espèce humaine, c'est bien ce rendez-vous-. Vous avez bravé le froid et la distance pour venir boire un verre à ma santé, comme chaque année depuis... très longtemps. Je vous en remercie du fond du cœur (même si, paraît-il, je n'en ai pas ou si peu !). Cette fête fait office de marqueur pour moi : un cycle d'un an qui me donne l'occasion de faire le bilan sur ce qui a changé et ce qui est resté identique. Cette année, deux disparitions sont à signaler et quelques nouvelles têtes sont apparues, mais si peu ! — Ha ! Il est loin ce temps héroïque de l'université où les nouvelles amitiés fulgurantes constituaient la norme !
Vous qui n'avez pas pu vous libérer, vous aviez — j'en suis sûr — une très bonne raison de ne pas venir (maladie, progéniture[s] à garder, autre anniversaire, pièce de théâtre, chats à nourrir/lancer, attaque de Zéta-Réticuliens, adhésion à une secte d'adorateurs d'Asmodée, voire tout simplement quelque chose d'autre chose à foutre que de passer votre samedi soir en ma compagnie) et je ne vous en veux pas. — Quant à vous, camarades de la jeune génération (je parle désormais comme un vieux croûton), qui êtes venus alors que je ne vous avais pas invités, je ne vous en veux pas non plus (et merci pour les bières !).

Enfin, au cas où vous en douteriez encore, l'idée de m'offrir une boule de bowling comme cadeau collectif (avec qui plus est l'aval de Guy le Démolisseur) est merveilleuse. Elle m'oblige à prendre contact avec ce milieu et — qui sait ? — à peut-être enfin m'inscrire à des cours dignes de ce nom. Si la décision avait dû germer, seule, dans mon cerveau froussard et récalcitrant à tout changement, pendant combien de temps encore aurais-je postposé le rendez-vous ?

Merci, merci, merci !
Je vous aime ! (Mais gardez vos distances tout de même.)